Stage d’initiation aux soins infirmiers : Chapitre IV – Concision

Jour 4 – Matin (7h-14h)

6h45 : Entrée dans le poste de soin.
6h50 : Sonnette. Une patiente présentant une mort fœtale in utero a des contractions. Je lui transmets les ordres de l’infirmière. Elle doit prendre une douche pendant que nous appelons quelqu’un pour la descendre en salle de travail.
7h30 : Participation à la préparation des plateaux pour les prises de sang programmées ce matin (révision parallèle de l’ordre de remplissage des tubes). Appréhension : aujourd’hui, je me lance. En un mot : Gloups.
8h30 : Première tentative de prise de sang. La mise en place du garrot a été difficile : patiente fragile, parlant pas français ; l’infirmière donne une précision qui me perturbe alors qu’il s’agissait exactement de ce que j’étais en train de faire ; patiente qui essaye d’aider mais complique un peu les choses en défaisant le garrot. Je trouve la veine. L’infirmière vérifie. La patiente lui demande de piquer. L’infirmière pique. Je reprends la main pour remplir les tubes. Verdict : j’ai fait une prise de sang partielle, il ne manque que la piqure. La Quintessence.
9h00 : Tentative d’auto-persuasion. Mais non je ne suis pas nul. Mais non je n’ai pas échoué. Pour le premier « mais », échec.
9h30 : Deuxième tentative de prise de sang. Je demande à la patiente si elle est d’accord pour que je procède. Elle déclare pendant cinq bonnes minutes qu’elle est douillette, mal réveillée, d’accord mais si je suis douée, préfère l’après-midi. Au final, avant même de poser le garrot, je demande à l’infirmière de piquer. La patiente me remercie chaleureusement (très soulagée).
9h35 : Deuxième tentative d’auto-persuasion. Même résultat.
9h45 : Prise des constantes (tension, température, SAT) chez une patiente, tout seul. Ouf, ça au moins, je sais faire (un peu facile comme réconfort : j’ai déjà travaillé en tant qu’AS pendant un mois il y a deux ans).
10h : Récupération d’un échantillon d’urine chez une patiente pour un ECBU. Ça aussi, seul, ça va (même critique que précédemment).
10h05 : Gribouillage sur le tableau blanc récapitulant les patientes présentes dans le service. J’inscris le nom de la pathologie et le terme de la grossesse. Grand moment de fierté personnelle. (Faut bien se faire mousser un peu).
10h10 : Participation à l’accueil et à la constitution des dossiers de deux nouvelles patientes.
10h45 : Troisième tentative d’auto-persuasion. Même résultat.
11h00 : Petit cours du super-externe de la dernière fois sur l’ECG. Je sais répondre à toutes ses questions. L’externe est interrompu à de nombreuses reprises pour X ou Y raisons.
11h10 : Quatrième tentative d’auto-persuasion. Résultats en cours, veillez patienter.
11h15 : Réalisation d’un Dynamap (protocole de mesure de la tension sur plusieurs minutes) seul sur une patiente. A perfectionner.
11h20 : Malgré l’envie de retourner voir si l’externe peut continuer son « cours » j’accompagne l’infirmière faire une virée dans les étages inférieurs à la recherche d’un masque à oxygène pour une patiente en insuffisance respiratoire dont les lunettes (embout à mettre dans les narines) commencent à l’irriter. Retour bredouille.
11h55 : Sonnette. Patiente en hypoglycémie. Mission verre d’eau sucrée.
12h05 : Fin du cours du super-externe.
12h10 : Topos de l’infirmière sur les différentes pathologies et différents protocoles du service actuellement. S’adresse à moi et à l’élève infirmière également présente.
13h00 : Mini-staff en présence d’une interne, d’une sage-femme et d’une des deux chefs de service qui fait aussi bien les sourires chaleureux que sa collègue fouette. Extase intellectuelle au milieu des mots savants.
13h30 : Interruption par un mari maniéré qui exige que sa femme soit placée en chambre seule, s’offusque devant le refus de la sage-femme qui lui explique qu’en raison de la suspicion de pré-éclampsie chez son épouse, on préfère qu’elle soit accompagnée de sorte qu’on puisse être prévenu en cas de crise. « Ecoutez, je ne suis pas médecin, mais je ne vous crois pas, par conséquent, j’espère que vous ferrez l’effort de mettre ma femme en chambre 72 qui est libre. Je vous remercie pour votre application ». Porte qui claque. Stupeur parmi les soignants.
13h45 : Retour du mari maniéré. « Oui, j’aimerais savoir si c’était possible d’avoir un fauteuil dans la chambre pour mon petit dos qui souffre. Ah et je compte sur vous pour la chambre 72. Merci pour votre obligation ! ». Porte qui claque. Une aide-soignante : « Et il ne veut pas un coussin pour son p’tit cul tant qu’on y est ? »
13h50 : Une infirmière revient de la chambre de la femme du mari et informe qu’il aurait dit qu’il n’y avait que des connes ici. Une aide-soignant : « Et bien son fauteuil il peut s’assoir dessus ! ».
13h52 : Fin du mini-staff.
13h55 : Arrivée de l’équipe de l’après midi et de l’autre stagiaire en P2.
14h00 : Cinquième tentative d’auto-persuasion : Erreur 0042 Veillez réessayer ultérieurement.
14h35 : Fin des transmissions.
14h40 : Sortie de l’hôpital, retour maison, faim.

Stage d’initiation aux soins infirmiers : Chapitre III – « L’Art est long et le Temps est court »

Jour 3 – Matin (7h-14h)

« – Attends, tu me dis que Mme … comment déjà ? Celle du 67 … Oui, celle-là. Elle a une thrombophilie ?
– Oui il me semble …
– Non, c’est une thrombopénie, pas philie. Tu te rends bien compte de la différence ?
– Ah oui … pardon, j’ai mal lu … »

L’externe, déjà sous pression, baissa encore un peu plus les yeux sur sa feuille. Le poste de soin s’était transformé en une grande salle de réunion où externes, internes, chefs de service, infirmières, sages-femmes, aides-soignants et d’autres stagiaires avaient pris place. L’une des chefs, au tempérament qui lui justifiera son pseudonyme de « Docteur Fouet », s’en prenait désormais à l’une des sages-femmes présentes car l’une de leur collègue avait téléphoné à un autre docteur pour demander une information sur un médicament, qui, selon le Dr Fouet, ne nécessitait que la maîtrise de Google pour être trouvée. Parce que vous comprenez, on nous appelle toujours, nous les médecins, et que ce n’est pas normal que nous soyons les larbins des sages-femmes et que son information à lui fournir nous fait perdre du temps alors qu’elle pouvait la trouver en cinq minutes, démonstration à l’appui. Intérieurement, je me remémorais la veille lorsqu’elle m’avait délicieusement remis à ma place de « sous-sous-déjection de l’hôpital » quand j’avais eu le malheur de lui dire qu’une patiente était « complètement déboussolée », en d’autres termes, qu’elle pleurait que ça serait bien si une personne compétente pour répondre à ses questions pouvait éventuellement prendre deux minutes pour aller la voir, lui parler et, tant bien que mal, essayer de la rassurer un peu … Et j’étais secrètement content que ma « remise en place » n’ait duré qu’une poignée de secondes quand la sage-femme essuyait un flot ininterrompu de vociférations à demi contenues. Sèches et claquantes comme un bon coup de fouet administré dans les règles de l’art. Puis juste après, le Dr Fouet, qui est tout de même, il faut l’avouer, loin d’être incompétente sur le plan technique du métier, échangea, le plus naturellement du monde, une petite blague avec une infirmière. J’hésitais à reprendre ma respiration.

Les externes continuèrent de présenter leurs patientes respectives, tandis que les chefs de services et, quelques fois, les internes, se permettaient de glisser quelques questions, de répondre à d’autres, et de corriger les erreurs de présentation ou de formulation. Ce dialogue était la démonstration de la montagne de connaissances qu’il me restait encore à acquérir. Je n’étais à peine qu’au pied du monstre et pourtant, je n’éprouvais nul désespoir d’y parvenir un jour. Au contraire, un coup de fouet (plus efficace que celui de la professionnelle en la matière) secouait mes neurones comme pour leur dire de ne pas perdre plus de temps et de se mettre immédiatement au travail. J’écoutais avec la plus grande attention, notais les termes qui m’étaient étranger pour m’assurer d’en découvrir le sens par la suite, et suivait particulièrement l’histoire de certaines patientes qui, un jour auparavant, pleuraient …

Et peut-être qu’un jour elles ne pleureront plus. Et peut-être qu’un jour, je n’aurais pas besoin de dire à un grand professeur dans l’art du maniement du fouet qu’une patiente était déboussolée. Et peut-être qu’un jour, je toquerai à la porte, m’excuserai de déranger, m’étonnerai devant les larmes et me permettrai alors de demander : « Madame, est-ce que je peux vous aider ? Voulez-vous discuter un peu ? » …

Stage d’initiation aux soins infirmiers : Chapitre II – Que je t’aime, empathie, que je te haïs !

Jour 2 – Matin (7h-14h)

Tant de choses à apprendre, tant de choses à savoir, tant de compétences à acquérir, et une volonté de fer pour y parvenir. Je regarde les externes, les internes, les docteurs mais aussi les infirmières avec une admiration uniformément partagée. Chacun sa tâche, chacun son rôle, chacun son niveau dans la démarche du soin, de l’entrée du patient à sa sortie. Et c’est formidable, cette mécanique fort bien huilée, quand tous les rouages s’enraillent les uns avec les autres, travaillant en une inertie extraordinaire, le tout dans des cliquetis de bonne humeur à en faire de la musique. Tout, tout est dévoué au bien-être du patient. Tout. Mais la fatalité vient toujours mettre son grain de sel. Et la machine dérape un instant …

Dans la chambre, une femme se retient de crier tandis qu’un soignant essaye tant bien que mal de la perfuser. J’ai chaud pour elle.
Sur son lit, la patiente a l’air vide, répond à nos « bonjour » sans entrain. Elle a encore perdu un enfant et son mari est parti. Mon ventre se recroqueville pour elle.
A côté, une femme pleine de vie parle avec deux proches, dans sa langue natale et nous accueille toujours avec un large sourire. Mes sourires sont peut-être plus grands pour elle.
Dans sa pièce un peu fraiche, elle pleure avec son mari en envisageant une interruption de sa grossesse. Mon cœur se sert pour elle.
Dans l’ascenseur sur son brancard, des larmes de joie côtoient son visage fatiguée tandis qu’elle porte entre ses mains, sa créature la plus précieuse au monde : un petit garçon au bonnet bleu. Mes yeux brillent pour elle.
Perdu dans le couloir, monsieur cherche le service d’anesthésie, une angoisse de plusieurs jours trainant sur les rides de son front. Ma main tremble pour lui.
Au milieu du poste de soin, la chef de clinique ne comprend pas l’une de mes remarques sur le moral catastrophique d’une patiente et m’envoie bouler « aimablement ». Mon poing se serre pour elle.
Dans le couloir, l’aide-soignante me propose de l’aider à prendre soin des patients d’une « autre manière ». Ma tête acquiesce pour elle.
A l’entrée du service, madame me salue chaleureusement. Mes lèvres s’étirent pour elle.
En plein changement de son bandage, il souffre beaucoup et ne parle même pas français pour nous le dire. Mes tripes s’emmêlent pour lui.
Sur un brancard, elle n’est qu’un corps perforé de multiples tuyaux et aux yeux des soignant, un dossier colossal. Ma respiration trébuche pour elle.
Près de la salle de détente, l’externe m’explique l’examen qu’il vient de faire. Mes oreilles s’ouvrent grand pour lui.
Du côté fenêtre, elle s’agite en serrant les dents car elle n’aime pas du tout les prises de sang. Mes jambes vacillent pour elle.
Devant l’entrée du service, il nous adresse un signe aimable. Mon bras se lève pour lui.
Dans sa détresse, l’autre me parle, en silence, avec ce langage étrange et délicat que je pourrais si mal comprendre, mais qui me touche bien plus profondément que le royaume de la raison. Et mon esprit s’affole … pour eux.

Que reste-t-il de tout cela ? Un poids lourd sur le myocarde ? Un nom griffonné sur un papier ? Une étiquette dans un dossier ? Une présence dans les rêves ou les cauchemars ? Un souvenir un peu confus ? Des restes de peine, de joie, de rire et de larme qui, inlassablement, reviennent …

Parler, se confier, dire et informer. Oui. Mais quand le cœur se ferme aux confidences. Quand l’émoi se cache derrière les portes de l’éloquence. Quand la panique a trouvé sa place, quelque part, entre la voix et le silence. D’autres perçoivent peut-être ce mystérieux langage ?

De quelques-uns, il reste des morceaux de vers. D’autres, des mots gribouillés sur un cahier. Quelques-uns ont leur place en ces lignes. Et pour tous ceux qui n’y sont pas, et ceux qui n’y sont pas encore, ce petit texte, pour vous rendre hommage. Parce que la profession ne serait rien sans vous, patients. Et parce qu’on aimerait bien qu’il n’en soit rien. Que vous n’ayez pas besoin de nous. Que vous viviez, que vous riiez sans crainte d’entrer un jour dans une chambre correcte mais inquiétante. Que vous subissiez des examens. Que vous vous fassiez ponctionner le sang. Qu’on vous embête avec des protocoles. Qu’on collecte vos urines. Qu’on vous regarde dans tous les sens. Que des étudiants vous fixent avec une curiosité « intéressée ». Qu’on ne vous informe pas toujours, pas assez, pas assez bien, ou bien trop. Un hommage pour vous encourager. Vous soutenir. Vous remerciez, si je puis dire, d’être assez tolérants, chacun à votre niveau, pour endurer tout cela. Enfin, devrais-je dire, d’être courageux. Car il en faut, du courage. Et pas qu’un peu. Et parce que la profession ne serait rien sans vous, soignants. Pour votre dévotion. Votre humanité. Votre aptitude. Votre éducation. Vos enseignements. Votre patience. Votre motivation. Et votre courage, aussi. Et j’en oublie.

Mais parce qu’on n’oublie jamais vraiment. Le temps emporte les noms, les visages, les examens, les diagnostics et même la vie. Mais il ne peut effacer le battement de cœur, le frisson, le sourire, le salut, la larme, le rire, la chaleur, la contraction, le geste, ni l’émotion.

Stage d’initiation aux soins infirmiers : Chapitre I – La grande découverte

Jour 1 – Matin (7h-14h)

J’arrive vers 6h45 au GHR, le service des Grossesses à Haut Risque. Je vais vers l’endroit que j’ai visité hier. On m’avait dit de m’y rendre le lendemain à 7h. Alors j’y suis.

J’entre dans le poste de soin. L’équipe de nuit est là, préparant les transmissions. Je les salue, dois me racler la gorge, les salue à nouveau de façon plus audible et commence par m’excuser : n’ayant pas encore de blouse, je les prie de bien vouloir prévenir l’infirmière du matin si elle arrive que je suis arrivé, mais que je file me chercher une blouse à la lingerie. Elles acceptent avec plaisir. Je repars.

Plutôt optimiste, je me précipite vers le hall de l’hôpital. Une médecin m’interpelle, et finit par me montrer où trouver cette fameuse lingerie. Je la remercie chaleureusement et y cours. J’entre alors dans un bâtiment où je trouve un petit couloir vers l’objet de ma quête. Sitôt dit, sitôt fait, je retourne à mon service blouse en main.

Les infirmières du matin sont là, des aides-soignantes aussi. J’offre du chocolat à tout le monde. Puis les transmissions commencent, on m’a tendu une feuille. Je prends note. Difficilement tout d’abord, ayant du mal à me repérer dans les informations. Puis j’arrive à saisir l’essentiel … sur l’identité du patient. J’ai noté quelques diabètes, un mystérieux problème placentaire, des « IMG » dont j’éluciderais plus tard la signification. Rapide présentation avec les membres de l’équipe soignante. L’ambiance a l’air très bonne, les soignantes sont très sympathiques et le stage promet d’être très intéressant. Dans le lot, une élève en IFSI est là. Toute aussi gentille que les autres. Elle échange avec moi le même genre de regard, un brin perdu, un peu désarmé, mais avide d’apprendre et surtout de se rendre utile.

Je commence par suivre l’une des deux infirmières, me contentant d’observer ce que je connaissais déjà du fait d’un job d’été à l’hôpital. J’ai repéré quelques différences entre les deux établissements. Au bout du deuxième patient, suite à une discussion avec l’infirmière de mon initiative, j’essaye de me présenter aux patientes comme étant « Machin, l’étudiant en médecine ». J’aimerais proposer aux patientes de choisir si elles acceptent que je regarde/participe à leurs soins. Mais la timidité m’empêche d’aller plus loin que ma présentation qui me fait déjà me sentir plutôt ridicule. Pour l’instant.

Je suis par contre, avec l’infirmière, un moulin à questions. Tout me passionne : de l’hypertension d’un signe de pré-éclampsie au traitement associé, jusqu’à l’utilisation du tensiomètre en passant par l’organisation du service. Je passe d’une infirmière à l’autre, regrettant toujours de pouvoir passer à côté de ce que fera celle que je quitte pendant que je serai avec la seconde, tout en me disant que l’inverse me mettrait dans la même situation. Bref, j’assiste à la première pose de perfusion de l’élève en IFSI et prends bonne note des indications de l’infirmière. Je vois d’ailleurs la difficulté d’un « premier geste ». La patiente me fait souffrir. Je suis tellement empathique – trop sans doute – à tel point que j’amplifie tout ce que je crois qu’elle ressent. Elle a l’air d’avoir mal, de ne pas être très rassurée, et d’hésiter à faire arrêter l’acte de soin par l’élève pour réclamer l’infirmière. Je frôle le malaise vagal, qui, il me semble, passe inaperçu. J’ai quand même eu besoin de m’assoir « l’air de rien » sur une chaise et de regarder ailleurs. Il fait chaud, tout à tout. Très chaud. L’air semble lourd et pesant, comme si l’oxygène se faisait rare. Je n’ose pas m’approcher de la fenêtre entrouverte par laquelle semble passer un courant d’air salvateur. Un bourdonnement envahit mon esprit. Mon champ de vision semble amputé de sa périphérie. J’ai du mal à rester immobile, le besoin de faire les cent pas se fait sentir. Une douleur me comprime le haut du ventre, comme si un être invisible s’appuyait de toutes ses forces sur moi pour m’étouffer. Je vois le sang qui ne veut pas s’écouler de l’aiguille. Je vois la femme qui se crispe. J’interprète ses regards fuyants, ses cris retenus, ses jambes qui se plient, se déplient et se replient. J’ai envie de claquer des doigts et que la perfusion soit posée. J’ai envie de sortir de la pièce mais je ne veux pas avoir honte. Un souvenir me traverse l’esprit. Un pied dépourvu des derniers doigts, une infirmière qui en change le pansement, me demandant de le tenir. L’odeur épouvantable. La souffrance du patient. Mais je tiens bon : on a besoin de moi. On est bien assis sur cette chaise finalement. On reprend un peu son souffle. La patiente a l’air un peu mieux : la perfusion est presque achevée. Plus que deux ou trois détails à régler. Je sors avec un sourire. A moitié, il s’agit de politesse. Pour l’autre partie, c’est un soulagement. Je crois que la patiente aussi est soulagée. Et cela recommencera quelques heures plus tard lorsqu’il faudra perfuser de nouveau cette patiente, faute d’une veine qui aura « éclaté ». C’est l’infirmière qui s’en chargera. Infirmière qui d’ailleurs me fait un nœud aux tripes quand elle me prévient que la prochaine, c’est moi qui m’y colle. * Gloups *

La matinée qui s’annonçait calme finit en journée où toutes les chambres sont remplies. Je fais toujours des allers retours entre mes deux infirmières préférées (les deux présentes). Jusqu’à ce que Madame Truc-bidule-machin-chouette arrive. Parle pas très bien français, est un peu perdue, doit être admise dans le service, mais doit passer aux admissions avant tout. « Vous voulez bien l’accompagner ? ». Heu … moi ? Le petit DFGSM 2 (on n’a plus le droit de dire P2 techniquement) qui a passé en tout et pour tout 2-3h à arpenter un ou deux couloirs de l’hôpital ? Ok, pas de problème ! Si Madame Truc-bidule-machin-chouette veut bien me suivre… Je l’emmène tant bien que mal à bon port (mon sens de l’orientation n’y étant pour rien, je peux vous le garantir !). Sur le chemin, elle m’explique qu’elle a un RDV chez l’anesthésiste dans 20 min. Je l’assure que nous aurons le temps de nous occuper de cela après, que peut-être même l’anesthésiste passera la voir dans le service. Elle semble d’accord. Nous arrivons aux admissions. L’hôtesse me pose une question à laquelle je ne suis pas capable de répondre. Pensant qu’il y aurait quelques formulaires que la dame devrait remplir, je lui propose de m’attendre ici si elle le souhaite pour que je puisse la raccompagner au service. Elle semble d’accord, encore. Je repars dans les dédales de l’hôpital. J’obtiens la réponse à ma question, retourne aux admissions et là … catastrophe ! Plus de patiente ! Envolée, disparue ! L’hôtesse me dit qu’elle est partie à son RDV. S’ensuit une course folle à travers l’hôpital, moi cherchant la patiente, elle cherchant le service, d’autres patients cherchant un endroit en me confondant  avec un docteur, d’autre patients cherchant le service, moi cherchant le service, elle ayant disparue ! Le service est là ! Je m’y précipite et ne la vois pas dans la salle d’attente. Je m’adresse à la secrétaire, lui demandant si madame n’est pas passée. « Il me faut son prénom sinon je ne la retrouverais pas en cas d’homonymes » Enfer et damnation ! Non je n’ai pas son prénom ! Il n’y a quand même pas 532 Madame Truc-bidule-machin-chouette que diable ?! La secrétaire est inflexible. Je m’auto-flagelle. J’aurais quand même pu le retenir. Je repars dans une recherche désespérée à travers tout l’étage. Puis je remonte « le stétho entre les jambes » si je puis dire, à mon service d’affectation. L’infirmière me voit arriver « Ah ! Le service d’anesthésie a appelé, Mme Truc-bidule-machin-chouette y est allée finalement, ne t’inquiète pas ! ». Grblblblblblblblblbl ! [Traduction : « Ouf mon dieu j’ai cru que je l’avais perdue et je suis à moitié essoufflé et en train de décompresser tout le stress qui est monté au-delà du seuil de résistance à la crise d’angoisse imminente qui va pouvoir rejoindre le monde du non-être … »].

La suite de la matinée continue. Je fais la connaissance (de loin) de l’interne, fort sympathique et ses externes qui m’ont tout l’air d’étudiants en médecine tout bien comme il faut. La sage-femme est là elle aussi. S’ensuit le ballet des prescriptions d’appoint, la visite des patientes par les « médicaux », distribution des repas, prises de constantes des nouvelles patientes, etc… En posant une question à une infirmière, c’est l’interne qui me répond. Et je bois ses paroles comme un petit être insignifiant qui reçoit les paroles d’un dieu suprême. On pourrait presque croire que la PACES ne sert à rien et pourtant … quelques mots/notions me sont familiers dans son discours. Et j’aime ça.

La formation en soins infirmiers continue ! Au programme pour les dernières heures du jour, le remplacement d’une seringue pour une perfusion à l’aide d’un pousseur de seringue électrique. Rien de bien compliqué mais il s’agit de mon premier geste technique de la journée (hors prise de la tension, et transport de divers matériels). Je suis en panique à l’intérieur mais je garde mon calme, du moins en apparence. C’est pourtant rien comme geste, mais je m’applique consciencieusement et suis à la lettre les consignes de l’infirmière. Success ! Quoique, j’ai encore peur de m’être planté et que cela ait des répercussions quand j’y retournerai … * mode scénario catastrophe : on * « Tu as injecté de l’air dans la tubulure de la patiente et celle-ci a fait une embolie gazeuse dramatique … elle est décédée ! » … AHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHH !!![…].*  Mode scénario catastrophe : off *.

Conclusion : une excellente première matinée à l’hôpital. J’espère être un peu plus « dans mes chaussettes » la prochaine fois. Mais ce stage est loin d’être terminé et il reste encore tant de choses à voir et à apprendre. Et pour l’instant, c’est un excellent souvenir. Intense, éprouvant mais considérablement motivant.

Stage d’initiation aux soins infirmiers

Journal du DFGSM 2 : Stage d’initiation aux soins infirmiers.

– Premières pérégrinations de l’étudiant en médecine –

Introduction
Angoisse, attente, destin inéluctable. L’hôpital n’était peut-être pas spécialement nouveau pour le bientôt étudiant en médecine que j’étais, mais je ne pouvais empêcher mon cœur de battre la chamade à l’idée que, prochainement, j’arpenterais les couloirs du CHU en portant une blouse. Prise de sang, Perfusion, certes, mais aussi beaucoup d’humanité ? Seul l’Avenir me le dira, et il n’y a pas meilleure romancière que la destinée.

I. La grande découverte.
II. Que je t’aime, empathie, que je te haïs !
III. « L’art est long et le Temps est court ».
IV. Concision.
V. La générosité de la Peur.
VI. Tous pour un !
VII. Du papier au patient.
VIII. Ces instants peu prolixes.
IX. Stupeur et effarement …
X. Télégramme de minuit.
XI. Révélation.
XII. Perles et cannelés.
XIII. Dernières heures avant d’autres.

Conclusion
Excellent service, excellente équipe médicale et paramédicale, excellent stage. Que du bonheur, beaucoup de travail, énormément d’apprentissage. Des angoisses qui s’envolent, petit à petit, et laisse un peu d’air à l’espoir jusque là asphyxié de devenir un jour, un médecin, et si possible, un bon médecin. A toutes celles et tous ceux qui m’ont tant appris jusqu’ici, merci.

Seule parmi les autres

« – Elles sont là ! Elles me veulent du mal, je le sais ! Je les ai vu je vous dit ! Au secours … »

J’attendais. Dans la pénombre de la petite chambre, Mme Perdue s’évertuait à me raconter des horreurs. Elle venait de crier. Selon elle, sa sonnette était cassée. Et elle criait depuis des heures. L’infirmière a regardé le mécanisme, l’a activé devant elle sans problème et est repartie. Cela faisait un long mois qu’elle était dans ce service. L’équipe soignante avait tout essayé. Ils ne pouvait pas la garder. Elle aurait même giflé une aide-soignante quelques jours plus tôt. Était-ce vraiment de sa faute ? Est-on vraiment soi-même lorsqu’on vient d’un autre pays jusqu’en France, pour subir une chirurgie cérébrale ? Est-ce qu’on reste vraiment soi-même lorsqu’on vit cela, et qu’on stagne, plusieurs semaines, dans la chambre d’un hôpital, désorienté, parlant juste ce qu’il faut de français pour se faire comprendre, cloué au lit car handicapé par sa maladie et ne sachant pas pourquoi on ne peut pas manger quand on le voudrait, ce que veut dire diabétique, ni pourquoi on ne peut pas rentrer chez soi.

J’avais peut-être un peu plus de patience que les autres soignants. Ou alors, et c’est plus probable, cela ne faisait que quelques jours que je m’occupais d’elle. Par conséquent, je n’avais pas encore baissé les bras. Je lui accordais même une attention particulière, bien que chacun des patients que je côtoyais était particulier pour ma part. Avec elle, je veillais à bien choisir mes mots. A me poster, posément, à quelques pas du lit et à la regarder dans les yeux pour y lire la petite étincelle de compréhension quand je lui parlais. A ne pas avoir de gestes brusques, et à répondre à toutes ses questions, toutes ses demandes, en lui expliquant pourquoi, à deux heures du matin, il n’était pas vraiment utile de se brosser les cheveux et qu’elle ferait mieux d’essayer de dormir un peu.

Quelque part, à cause de ses origines peut-être, ou sa coiffure, elle me rappelait ma grand-mère. Bien que cette dernière soit en très bonne santé, je ne pouvais me défaire de cette impression étrange et, chaque fois que Mme Perdue me parlait, je l’imaginais dans une maison, entourée d’enfants et de petit enfants, un sourire aux lèvres, la vie heureuse … Ainsi, ce soir, quand elle s’adressait à moi, je remerciais les ténèbres de dissimuler mon visage pâlissant.

« – Elles sont venues ensembles. Elles étaient en bandes. Je vous jure. Elles me font mal. Elles m’ont fait mal. Des bâtons … elles m’ont mis des bâtons. Et je criais. J’ai mal. Elles sont là, je les ai vu passer ! Mais pourquoi vous ne m’écoutez pas ?
– Je vous écoute, Mme Perdue.
– Vous les avez vues ? Elles me veulent du mal !
– Qui vous veut du mal ?
– Les filles ! Elles prennent des bâtons, ô j’ai mal …
– Il n’y a personne, à part les infirmières et les aides soignants, je vous assure …
– Mais elles sont là, je les ai vue ! Vous ne me croyez pas ? Pourquoi vous ne me croyez pas ? Je ne suis pas folle, vous savez ! Je ne suis pas folle. Non. J’ai mal. Je crie. Pourquoi personne ne vient quand je crie ?
– …
– Pourquoi vous ne répondez pas ? Vous ne m’écoutez pas ? Pourquoi personne ne m’écoute ?
– Je vous écoute, Mme Perdue.
– Je peux vous raconter ? Elles m’ont fait du mal ! »

J’échangeais avec elle un regard. Ou plutôt, je plongeais mes yeux dans un abîme de détresse. Une sorte d’ « Au secours, j’existe, et j’ai mal ». Elle ne semblait pas pleurer. Mais peut-être que l’obscurité dissimulait ses larmes, comme elle étouffait mes battements de cœurs. Incroyablement puissants. Incroyablement forts. Presque douloureux.

Alors elle me raconta. A grands renforts de gestes explicites pour me faire comprendre que les bâtons, c’était là qu’elle les prenait. C’était là que ces barbares les lui enfonçait. Qu’elle avait mal, ici et là. Qu’elle criait, mais que personne ne l’entendait. Qu’elle ne pouvais rien dire. Que c’était les filles du village. Qu’elle lui en voulait. Que l’une d’elle s’appelait Bienveillance. Bienveillance était aussi le nom d’une aide-soignante du service qui était, je trouve, assez « expéditive » avec Mme Perdue. Violée, humiliée, livrée à elle même, elle me raconta pendant plusieurs minutes. Et je me taisais. J’ouvrais grand mes oreilles et je souffrais avec elle. Je vis une ou deux larmes perler sur son visage. Puis son récit s’acheva et le silence de la nuit prit sa juste place. J’approchais alors, lui tendis un mouchoir et passait quelques temps à lui dire qu’elle était en sécurité ici, que nous allions vérifier qu’il n’y avait personne et que nous ferions le nécessaire pour qu’elle ne risque rien. Et au fond de moi même je me demandais : était-ce un cauchemar, ou était-ce un souvenir ?

Mme Perdue a fini par partir avec sa famille. Mme Perdue a laissé une trace indélébile dans mon esprit. Parfois, on peut répondre aux besoins des patients. Parfois, on peut savoir ce qu’ils veulent. D’autre fois, on ne peut pas. Pour différentes raisons. Mais quand ce que l’on pense être la folie vient prendre le pas sur la raison, et quand l’être humain se retrouve perdu dans sa chambre d’hôpital, sans savoir où il est, sans savoir où il vit, sans même savoir ce qu’il a été, que peut-on faire, nous, soignants, pour qu’ils se retrouvent eux-mêmes ? Peut-on vraiment juger et dire qu’untel est fou car le psy l’a affirmé et renvoyer le patient chez lui ? Comment peut-on distinguer les éclairs de lucidité ? Comment peut-on saisir l’importance d’une demande venant du patient se trouvant dans un tel état ? Écrire « folie » ou toutes les expressions similaires, médicales ou non, sur un dossier, nous autorise-t-il à prendre en charge le patient comme on irait prendre soin du chat du voisin en le nourrissant 2 ou 3 fois par jours, en passant en un coup de vent et « à la prochaine ! » ?

Moi je n’ai pas pu. Et j’espère que je ne serais jamais un courant d’air. Mais peut-être que la réalité du métier viendra toquer à ma porte. Et peut être que je ne lui ouvrirai pas. Toutefois, j’essayerais quand même de fermer la fenêtre. Dès fois que le courant d’air, un instant, s’arrête, et forme un calme tourbillon.