Il était une fois Robert. Robert a vécu près de 82 ans comme tout le monde. Il est né quelque part en Auvergne, a connu une enfance heureuse bien que sombre étant donné les temps qui courraient à l’époque. Mais il a grandi, est devenu mécanicien et est tombé amoureux de Marceline avec qui il est parti de sa région natale. Il s’est marié, a fait des enfants, a visité quelques régions de France et du monde. Il est tombé malade, quelques fois, et s’est toujours relevé. Il a connu des coups durs entre les joies. Il a vu ses enfants partir, et revenir avec leurs enfants à eux. Il a pris sa retraite et a voyagé avec Marceline. Il a fait du sport tout au long de sa vie. Il a bien mangé aussi. On ne peut pas dire qu’il a eu une vie parfaite, qu’est-ce donc qu’une vie parfaite ? Mais il a vécu heureux sans doute. Et puis un jour, le cholestérol peut-être, et c’est l’AVC. Robert s’est réveillé à l’hôpital, diminué, affaibli et sans autre avenir qu’une chaise roulante qu’il est à peine capable de déplacer seul, malgré la commande électrique. Et les escarres à répétition. Et les trois cent cinquante pilules à engloutir toute la journée. Et la dépendance pour aller se laver, aux toilettes, s’habiller, se coucher ou pour manger. Cette sensation de ne vivre « plus qu’à moitié ». Cette lassitude, tous les matins, au réveil. Quand on sait la longue journée d’attente qui arrive. Quand on sait qu’on s’ennuiera, toute la journée. Mais le pire … le pire c’est le regard de Marceline. Ce sont les regards des enfants. Ce sont les regards de ses proches. De tout le monde. De la pitié, de la désolation, de l’impuissance. Et à travers le reflet de leurs prunelles, Robert voit ce qu’il est devenu : un demi-homme. Un boulet que l’on traine. Oh non, ils ne veulent pas le voir partir. N’empêche que, si cela arrivait, combien de temps s’écoulerait-il avant qu’ils ne se disent « C’est surement mieux ainsi, sa souffrance a pris fin ». Si bien que, de fil en aiguille, Robert prend conscience d’une chose : il veut mourir.
L’euthanasie.
« Eu- » est un préfixe souvent utilisé pour dire « bien » ou « vrai ». Par exemple, eucaryote quand on parle d’une cellule signifie une cellule qui possède un « vrai noyau » par opposition aux « procaryote » qui n’en ont pas. Dans la mythologie grecque, Thanatos est la personnification de la mort. On est donc en présence d’un mot qui signifierait, en quelque sorte « vraie mort » ou « bonne mort ». A croire que la nature n’ait pas doté l’homme d’une mort véritable. Je n’ai toutefois pas vraiment d’arguments sur l’autre qualificatif : il existe un certain panel de morts naturelles possibles qui sont loin d’être spécialement « bonnes ».
L’histoire complètement fictive de Robert, mais pas si imaginée que cela, a ceci d’intéressant : Robert pourrait être vous, moi, tout le monde. Robert aurait pu avoir une sclérose en plaque, Alzheimer, une sclérose latérale amyotrophique, ou mille autres pathologies. Robert aurait pu être veuf, sans descendance. Mais Robert avait perdu quelque chose de précieux. Robert voyait sa dignité partir. Comme un château de cartes balayées par un coup de vent. Et Robert voulait mourir. Il ne pouvait pas se tuer lui-même. Alors, comme c’est très en vogue actuellement, est venue la question de l’euthanasie.
Dépénaliser, pour ne pas dire légaliser, ou non ? C’est devenu une question capitale que se pose la société dans son ensemble. On a tous été un jour confronté à une histoire un peu comme celle de Robert. Et nous avons tous, vraisemblablement, des avis qui convergent et divergent sur le problème. A qui peut-on donner le droit d’abréger les souffrances d’un malade auquel la science ne peut promettre une amélioration de son état ? Comment ceci doit-être réalisé ? Est-ce que même cet acte doit être permis ? Et sous quelles conditions ? Autant de questions qui ne font qu’en soulever tant d’autres, telle une hydre de Lerne.
Dépénaliser la mort médicalement assistée, n’est-ce pas courir le risque de la survenue de multiples dérives ? Cela n’entrainerait-il pas une influence sur certaines personnes qui, puisque l’acte serait légal, n’hésiteraient plus à y recourir ? Un grand écrivain belge, Hugo Claus, alors qu’il n’était qu’au premier stade de la maladie d’Alzheimer, a décidé de recourir à une telle pratique. Était-ce parce que la Belgique est l’un des premiers pays européens à accorder ce droit ? Si cela n’avait pas été le cas, l’aurait-il demandé ? Serait-il allé ailleurs ? Aurait-il tenté de mettre fin à ses jours par lui-même ? Par exagération, ne peut-on pas dire que, désormais, toute personne développant Alzheimer devrait bénéficier de cette possibilité ? Sitôt que les limites de la médecine seraient franchies, devrait-on entrer dans la chambre du patient, déposer un petit récipient rempli de barbituriques et autres substances savamment dosés et fermer la porte un peu comme si de rien n’était ?
En effet, il y a des gens qui souffrent de maux incurables et douloureux. Des gens incapables de se mouvoir et qui attendent, des années parfois, que la Mort froide et glacée vienne frapper à la porte de leur conscience. D’autres, relativement plus chanceux, qui ont le pouvoir et le courage de ne pas attendre et de faire fi des lois en sautant par la fenêtre ou engloutissant des séries de médicaments divers et variés dans l’espoir de prendre un train direct vers l’autre monde. Mais est-ce à la loi de faire en sorte qu’on puisse, selon ses directives, se suicider en parfaite légalité avec le soutien d’une équipe médicale ?
Le médecin est un personnage extraordinaire. Dans la représentation populaire, et celle qu’il se donne malgré lui, il est celui qui sait « la vie ». De ses conseils avisés, ses prescriptions réfléchies et ses examens minutieux, il peut faire en sorte de rendre la santé, calmer les douleurs, découvrir des problèmes et les régler au mieux dans la foulée. Mais le grand savant a ses limites. Bien qu’il exploite toutes les ressources de son savoir et de la science pour retarder l’échéance de la mort, il arrive qu’il ne puisse rien faire. Accompagner, certes, est une chose. Tuer en est une autre. Je crois bien que le Serment d’Hippocrate lui fait par ailleurs jurer de ne pas se servir des connaissances qu’il détient pour semer la souffrance et donner la mort. Alors est-ce qu’une jeune loi, aussi réfléchie soit-elle, peut aller à l’encontre d’un des textes les plus anciens qui soit ? Le médecin, garant de la vie, peut-il devenir, l’homme qui donne la mort ?
Je ne nie pas que des gens seraient mieux une fois morts, car c’est uniquement cela qui peut mettre un terme à leurs souffrances et au saccage de leur dignité. C’est pourquoi, l’acte doit être, selon moi, sous forme d’exception, inscrit dans la loi. Il est nécessaire de dire que c’est interdit pour en limiter l’usage. Mais chaque situation doit être regardée avec le regard de l’Humain, avant celui du Juriste. C’est ma position, aujourd’hui, d’étudiant en deuxième année de médecine qui se passionne peut-être un peu trop pour ses cours d’éthiques au détriment de ses cours de biophysique. Peut-être changera-t-elle ? Peut-être pas. Seul l’avenir nous le dira.
agée de 65 ans1/2, pas très en forme, je suis partante pour l’euthanasie dès que je me sentirai diminuée, mais quel toubib accepterait de m’assister dans cette oeuvre d’amour et de bienfaisance en france ? ( pas le courage, l’imagination, pas assez futée pour le suicide.. et je voudrais pas un corps moche qui « suinte » de fluides dégoutants et qui pue: j’ai fait don de mon corps à la science le jour de mes 65 ans: j’espère que les morceaux n’en seront pas complètement pourris, et peut-etre récupérables ?) – ayant eu à subir sur de longues années des mamies de 87-89 ans complètement délabrées et acariatres, je ne veux pas faire subir ce calvaire répugnant à mes enfants et petits-enfants: je veut partir en fumée vers les anges du ciel et me transformer en oiseau, partir avec un sourire en écoutant chopin…
dominique, diplomée sciences po paris après bac S mention, attachée financière du ministère de la défense jusqu’à ma retraite il y a 2 ans, opérée il y a 10 ans d’un thymome- gros mais bénin- à l’HIA PERCY, tombée raide et définitivement amoureuse – sans espoir – de l’actuel directeur de l’EVDG ( chirurgien à l’époque )
Une simple passante, tombée par hasard sur ton blog (n’ayant rien à voir avec le monde de la médecine, mais qui vient tout de même de dévorer la plupart de tes articles), et qui va réagir puisqu’ici tu l’y encourages…
Cet article sur l’euthanasie m’a fait monter les larmes aux yeux, car je pense aussi que la dignité est une notion fondamentale (même si je reconnais, au simple vu d’aspects quotidiens de la vie de tous les jours, qu’elle n’est pas ressentie par tout le monde de la même façon… Loin s’en faut. C’est sûrement pour cela qu’en tant qu’argument de l’euthanasie elle n’a pas fini de faire débat).
Mais mes larmes ont,bien entendu, un critère plus personnel… Mon défunt père s’est probablement « laissé mourir », d’une certaine façon (assez pudiquement pour parvenir toutefois à nous laisser, aux survivants, « le bénéfice du doute »…) Mais c’était une personne qui avait définitivement clôt le débat en refusant depuis toujours les soins médicaux (bon… En réalité, c’était un peu plus « épidermique » que cela… Disons qu’à chaque fois qu’il avait affaire à l’univers médical il finissait toujours par se fâcher et repartait bien vite de tous les pieds qu’il lui restait!) Heureusement sa santé a toujours été assez bonne dans l’ensemble… Mais cette incompréhension avec la « machine » médicale lui aura tout de même coûté la vue : comme personne inteligente qu’il était, il a fini par admettre -à demi-mots- que la cécité qui a assombri les dernières années de sa vie aurait pu être évitée… Mais, à quel prix? Celui de renoncer à sa liberté, devenir pour quelques mois/années patient-cobaye, un numéro ou une référence à qui on n’explique pas tout (et qui croit/doit donc deviner dans le moindre regard échangé entre « carabins », dans la moindre parole, une allusion ou un sous-entendu?)
Plongé ad vitam eternam dans un océan de ténèbres… Qui pourrait lui jeter la pierre d’avoir un jour songé que le voyage méritait de s’arrêter là ?
Peut-être que s’il y avait davantage de médecins comme toi mon père n’aurait pas été si radical… Peut-être. (Avec des « si »…..) Mais bon.
C’était juste un mot-réponse de cette simple passante -qui, héritage familial inconscient oblige, n’est pas « fan » des médecins non plus ;)- pour t’encourager dans la voie de l’éthique et de l’humanité que tu as choisies (comme « options facultatives de quotient insignifiant dans la notation ») pour étayer ta vocation. Bon courage et large route à toi
Elísa