La Manif pour TOUT

Que cela soit pour lutter contre le mariage gay, interdire l’IVG ou, peut-être bientôt, un film d’animation jugé « pornographique », certaines organisations manifestent à tire-larigot, arguant la défense d’une opinion collective. Face à ce genre de motifs, on ne peut que constater l’écart depuis les « manifestations » de 1789 à la conquête d’une République, ou, plus récemment peut-être, celles de Mai 68, à l’origine d’une « société post-moderne ». Alors, si on remet à sa juste place La Manif pour tous (c’est-à-dire, bien loin d’ici, merci), on peut peut-être se poser la question de la Manif pour Tout.

Qu’est-ce qui justifie que, parce que notre vision du monde est plus ou moins étriquée, l’on puisse défiler dans la rue pour interdire et protester contre des droits qui ne nous concernent pas directement et n’introduisent aucune forme d’inégalité entre les êtres humains ? Qu’est-ce qui permet à Monsieur Untel, catholique hétérosexuel pratiquant (mais pas trop souvent, c’est péché) et né une cuillère en argent dans la bouche (et pas ailleurs), de se battre corps (pas trop) et âme pour interdire à Mademoiselle Unetelle, issue d’un milieu défavorisé, violée, violentée et j’en passe, de recourir à l’IVG ? En quoi est-il légitime que Madame Machin, fière militante du Sens Commun, face défiler ses enfants en leur faisant porter des bannières aux slogans charmants tels que « un papa, une maman » ou « on s’est battu contre les pédés, on se battra contre l’IVG », alors même qu’une interdiction (du mariage) des personnes de même sexe ou l’interdiction de l’IVG n’aura pour elle comme conséquence, au mieux, de la faire se sentir plus confortable avec l’idée merveilleuse qu’elle a de son petit monde parfait ; alors même que ces gens privés de droits se verront attaqués sur leur légitimité à aimer, se verront stigmatisés et seront les proies d’une homophobie socialement acceptée (et rappelons que si être homophobe permet de gagner les primaires de droite, l’homophobie, entre les agressions et les suicides, tue) ; enfin, vous souvenez-vous des temps où l’IVG était techniquement possible mais interdite ? Vous en voulez encore des femmes qui meurent d’endométrite séquellaire des « faiseuses d’anges », des aiguilles à tricoter mal désinfectées, des réseaux clandestins parfois hors-de-prix… ?

Les clichés sont volontairement utilisés, certes, mais toute ressemblance avec une situation réelle ne serait que purement fortuite. Au-delà de ces considérations personnelles à peine orientées, une question se pose : qu’est-ce qui rend légitime une manifestation concernant les droits d’autrui, quand ceux-ci n’ont aucune conséquence directe sur ma propre situation ?

Rappelons que le droit de manifester n’existe pas, à proprement parler, dans le droit Français ou la Constitution. Les quelques conditions juridiques qui s’y appliquent sont notamment l’obligation de déclarer une manifestation dans un délai précis, et certaines conditions de faisabilité (risque de trouble de l’ordre public sans moyen d’encadrement, situation exceptionnelle ou si ses mots d’ordre sont contraire à la loi). Alors, la loi autorise-t-elle une manifestation dont le motif derrière l’hypocrisie politiquement correcte de défense des enfants ou de l’institution du mariage est celui de l’homophobie ?

Pour revenir à la question d’origine, la présence même d’un début de condition « quand ceux-ci n’ont aucune conséquence directe sur ma propre situation » évoque la nécessité de critères qui distingueraient une manifestation « légitime » d’une manifestation « illégitime ». Comment ne pas virer à une forme de totalitarisme par répression de la liberté d’expression ? Sommes-nous revenu à l’éternel débat entre éthique conséquentialiste et éthique déontologique ? En effet, en médecine par exemple, quand il faut justifier un acte thérapeutique, la notion de balance bénéfice/risque se confronte à (ou se renforce par) certains principes dont primum non nocere pour argumenter l’attitude choisie. Quid de la manifestation portant atteinte aux droits de femmes et d’hommes que je ne côtoie pas et dont les limitations que je cherche à leur imposer n’affecteront au mieux que l’idée du monde parfait auquel je rêve la nuit ? (Revendication déontologique versus contre-arguments conséquentialistes). Mais alors, si je suis un homme, comment justifier ma participation aux manifestations pour le maintien du droit à l’IVG ? (Revendications conséquentialistes versus contre-arguments déontologiques).

Au-delà même des arguments de chaque débat, la question de fond (qu’est-ce qui justifie une manifestation ?) reste entière… et bien délicate. C’est un enjeu démocratique majeur si les majorités (ou les plus bruyants) s’octroient le droit de dissimuler les minorités, pourtant premières concernées par les effets des revendications disputées.

La même réflexion en vers : Manifestation

12 réflexions au sujet de « La Manif pour TOUT »

  1. Juste en passant, la manifestations d’une droite réactionnaire est loin d’être une nouveauté. Le plus bel exemple en France reste dans les années 30 avec les ligues diverses et variées et plus récemment dans les années 80 avec la soit disant « école libre ». Sous d’autres cieux, la rue a été très occupée par une droite plus que réactionnaire que ce sois en Allemagne ou en Italie et ce dès la fin de la première guerre mondiale.

  2. Toute manifestation est légitime, du moment qu’elle l’est aux yeux de ceux qui manifestent, tout simplement.
    Certaines des questions que tu poses dans ce texte, je les ai déjà entendu des dizaines et des dizaines de fois à propos de grèves SNCF, de mouvements sociaux divers, où la question de la légitimité (des actions, des manifestants) est perpétuellement remise en question.
    L’argument moral (« on est les progressistes, les gentils, le camp du Bien ») ne suffit pas, car ceux qui manifestent COMME ceux qui les critiquent croient chacun, fermement, représenter « le Bien ». C’est le fameux « L’ennemi est bête : il croit que c’est nous l’ennemi alors que c’est lui ! » de Desproges.
    Et l’argument « ce qui ne nuit pas aux droits des autres ne doit pas être interdit » est, éventuellement, recevable si on est libertaire. Or : tout le monde n’est pas libertaire. Une société se fonde autour de valeurs, de définitions communes de ce qui est « bien » ou « mal », de ce qui est autorisé ou non, et sous quelles conditions. LMPT et leurs opposants n’ont tout simplement pas les mêmes valeurs, pas le même projet de société, et s’affrontent à coups de slogans, de pétitions, d’articles, d’actions, de manifestations. C’est l’exercice on ne peut plus normal de la démocratie.
    Je vois souvent des « progressistes » fustiger les « réac » (ou conservateurs) en utilisant l’argument : « La société n’est pas figée, elle évolue ! » ; or, ce que ces progressistes oublient, c’est que ça s’applique aussi à eux : cette évolution de la société n’est pas figée, elle n’est pas obligée d’aller que dans un sens, le leur.

    Et bref : je vois beaucoup chaque « camp » ruer dans les brancards, je déplore d’en voir si peu prendre du recul et réfléchir.

    • Merci pour ton commentaire.
      Oui, la prise de recul est peu encouragée, à mon avis.
      Par contre, l’argument moral, comme je l’évoque dans la lutte entre une approche éthique déontologique versus éthique conséquentialiste est critiquable des 2 côtés. Les progressistes, pas forcément du côté du « bien », d’ailleurs, versus ceux qui affirment lutter pour la préservation de « bonnes » valeurs. Les valeurs que l’on défend s’interrogent perpétuellement, je crois. C’est ainsi qu’on se comporte de la façon la plus éthique possible, à mon sens. Chaque situation est différente, chaque débat est unique : invoquer des valeurs immuables, c’est s’enfermer dans un dogmatisme d’une réalité illusoire et idéalisée. Il n’y a qu’à voir comme ce qui est « bien » ou « mal » peut varier d’un pays à l’autre, sans pour autant qu’on puisse dire qu’une société est plus évoluée ou meilleure que l’autre. L’argument conséquentialiste n’est pas seulement valable dans une approche libertaire, je crois. D’autant s’il implique le recours à une évaluation morale (ou plutôt une réévaluation de la morale, un questionnement éthique donc).
      En tout cas, on a de quoi réfléchir 😉

  3. bonjour,
    tout à fait d’accord avec le commentaire précedent de la bonne fée 🙂
    vous caricaturez je pense à desseins ou existe t il réellement des gens comme ceux que vous décrivez ? que je sache , des homos ont aussi manifesté contre le mariage pour tous, comme quoi…
    peut etre y a t il des  » régles » anthrologiques de base ? qu’elles sont elles ?
    peut être y a t il la notion de  » droit naturel » ?
    peut être aussi, que l’IVG de convenance est un peu  » facile » ? c’est à dire, dans le cas d’une famille sans problémes, gagnant convenablement sa vie = IVG pour que cela colle mieux avec ses  » vacances » de la femme, qu’elle va poser, suivies de l’arret maternité, le tout dans un calcul assez macabre à mon sens.
    attention à l’IVG comme moyen de contraception..( sinon, personnellement je n’ai rien contre évidemment, en tant que femme , donc concernée )
    ceci dit, à mon avis, le droit de manifester, doit être associé au devoir de ne rien casser.

    • Bonjour,
      Merci pour votre message.
      Il y a de la caricature, certes, pour l’exercice littéraire en quelque sorte. Mais toute caricature puise dans un fond de vérité, à mon avis… Que des homos aient manifestés contre le mariage pour tous n’en rend justifie pas davantage le cortège bien que cela questionne effectivement sur le problème de fond (qu’est-ce qui rend une manifestation « légitime » ?). Cela suggère aussi qu’une manifestation est souvent portée par une noyaux aux idées fortes, et qu’autour, beaucoup viennent y défendre des idées satellites ou similaires, mais peut-être plus modérées ou du moins différentes. Dans ce cas, quelles revendications sont réellement défendues ?
      Votre question sur les « règles anthropologiques est très pertinente pour moi 😉
      La notion de « droit naturel » m’amuse beaucoup dans sa formulation. Le droit, « par nature », est artificiel. Du moins, si on se place dans une approche Hobbesienne de la société (caricaturalement « l’homme est un loup pour l’homme » et le contrat entre tous pour faire naître l’Etat et ne plus s’entretuer). Le droit, l’ensemble des règles qui régissent les rapports entre les hommes et/ou entre les institution en société m’apparaît éloigné de l’état de nature. De la même façon, quand certains personnages politiques disent vouloir inscrire, sous quelque formulation « un papa, une maman [sous-entendu sont nécessaires à la conception d’un enfant] » dans le droit français, j’en ris doucement : il s’agit d’une vérité biologique, mais qui ne concerne pas vraiment le droit.
      Je ne vous rejoins pas pour l’IVG comme moyen de contraception ou de prolongation de vacances. Les cas anecdotiques, à supposer qu’ils existent, ne doivent pas dissimuler une réalité bien différente. Je suis probablement biaisé par mon expérience d’apprenti soignant, mais j’ai croisé peu de femmes ayant recours à ce que vous appelez une « IVG de convenance » et je ne crois pas que beaucoup d’entre elles se soient dit un jour « oh, aller, j’ai envie d’aller me faire faire une petite IVG tiens, ça fait longtemps » comme on irait chez le coiffeur.
      Enfin, le devoir de ne rien casser… tout est relatif. Primum non nocere certes. Mais pour destituer la monarchie et instaurer la République, il a fallut défaire quelques pavés… 🙂

  4. Là où ça m’embête c’est que dans votre exposé il manque juste quelqu’un: c’est l’Enfant… Or le droit de l’Enfant est le cœur des revendications de LMPT caricaturé assez facilement comme reac hostile aux droits des personnes homo….

    Idem pour l’IVG. rien sur les souffrances des femmes ayant avortées, encore moins sur l’enfant avorté… L’avortement est et reste un drame. Je vous invite a revoir ce qu’en disait Simone Weil https://twitter.com/ZeroPointu/status/804454033293328384 on parle de 220 000 avortements par an en France. Enorme. Il faudra peut être un jour s’interroger.

    J’ai l’intime conviction que sur ces sujets, connaissant votre sensibilité, des évolutions se feront dans votre manière d’aborder ces sujets éminemment éthiques… avec un peu de recul et du temps. Amitiés pour tout ce qui nous relie et qui fait votre force et la passion avec laquelle vous exercez cet art qu’est le soin.

  5. Tu as trouvé les mots justes pour moi parce que j’ai la même vision des choses. Le problème c’est qu’on ne peut pas dire ce ces gens qu’ils sont fermé d’esprits tout en refusant qu’ils expriment leurs idées. Je sais pas si tu comprends exactement ce que je veux dire. Mais en gros, je ne leur donne pas raison mais si on veut avoir droit à la parole il faut qu’il l’est aussi… Ils passent pour des gros cons à nos yeux comme on passe pour des gros cons aux leurs. Question de point de vue (bon en vrai même en cherchant à comprendre le leur j’ai du mal mais enfin…)

    J’aime tellement ton blog, pourtant c’est la première fois que je commente… Tu me reverras peut-être dans les commentaires, ou peut-être pas. En tout cas sache que je te lis et que j’aime beaucoup.

    Joyeux Noël avec un peu de retard.
    Bisous.

    • Bonjour, merci pour ta contribution, n’hésite pas à l’avenir, c’est très agréable à lire 😉

      Je suis tout à fait d’accord avec toi sur les points de vue. Et bien évidemment, ce billet comporte une part indissociable de mes convictions, je ne le nie pas. Et effectivement, nous sommes tous les cons d’un autre 🙂

      Joyeux Noël à toi aussi ! Et bonnes fêtes de fin d’année 😉

      • Je sais bien que c’est toujours agréable de se sentir lu mais pourtant je ne commente pas assez… J’essayerai d’être plus présente ici 🙂

        C’est ton blog, ton endroit, encore heureux que tu exposes tes points de vue tant que tu es conscient qu’il y en a d’autre (or c’est le cas). C’est plutôt chouette de te lire.

        Bonnes fêtes de fin d’année à toi aussi 😀

  6. Votre question est pertinente et bien réfléchie, merci pour cette réflexion. Et, en effet, « viscéralement », ça m’énerve lorsque je vois des gens défiler pour des causes que je juge opposées à mes visions de la vie. Ma réflexion personnelle me conduit néanmoins à quelques contre-arguments qui me font nuancer votre thèse.
    Tout d’abord, comme l’écrit la Bonne Fée plus haut, le « bien » des uns n’est pas celui des autres. Ensuite, sur le plan éthique, vous devez savoir je pense qu’aucun système n’a pour l’instant démontré sa supériorité sur les autres : si au déontologisme on peut reprocher d’avoir fait le lit du nazsime, le conséquentialisme fait celui du stalinisme.
    Enfin, en ce qui concerne les IVG, avec 30 ans d’expérience de médecin, et bien que très fortement favorable au principe de la liberté de choix de la femme, je dois néanmoins reconnaître avoir été confronté à un grand nombre de cas où, (de mon point de vue personnel d’homme), la motivation était très discutable moralement et/ou intellectuellement, plus de l’ordre du confort ou de l’absence totale de réflexion que d’une nécessité.

    • Merci pour votre message et votre contribution à la réflexion. Je lance la question, et j’attends ainsi de voir ce qu’elle donne à réfléchir. Il est clair, comme vous le souligner, qu’aucun système n’a démontré sa supériorité. Toutefois, je ne peux m’empêcher d’être déçu par certains combats si peu menés (écologie, santé, égalité homme-femme, etc.) et d’autres… peut-être trop, et peut-être trop porté par des conceptions déontologiques contraignantes pour qui n’est pas directement concerné.
      Mais bien sûr, le cas particulier révèle toujours sa part d’incertitude et de surprise, bonne ou mauvaise, qui justifient nos décisions 🙂

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