Votre avenir ? Grattez Dédé !

Vous vous souvenez probablement de cette publicité de la Française des Jeux sur un fameux ticket à gratter (https://www.youtube.com/watch?v=iMS1Vs30DX8). En réalité, peut-être qu’il s’agit là de l’allégorie la plus parfaite de la problématique du tirage au sort comme mode d’entrée à l’université. Réfléchissons.

(image trouvée sur lequotidiendupharmacien.fr)

Posons le problème :

Pour pallier à l’augmentation constante du nombre d’étudiants qui entrent chaque année à l’université (environ 30.000 supplémentaire par an), et parce que les capacités de formation seraient dépassées dans certaines filières « sous tension » telles que : le droit, la psychologie, STAPS (sciences et techniques des activités physiques et sportives) ou encore la PACES (Première Année Commune aux Etudes de Santé) ; le gouvernement précédent a, semble-t-il, profité de la période électorale pour faire passer une circulaire au bulletin officiel permettant de tirer au sort, en dernier recours, les étudiants qui souhaitaient s’inscrire sur ce genre de filières. Et pourtant, tout le monde, des enseignants aux étudiants s’y opposent, en témoigne par exemple l’action en justice portée par Promotion et Défense des Etudiant, organisation de représentation étudiante. Même Thierry Mandon, alors secrétaire d’Etat à l’enseignement supérieur, qualifiait le tirage au sort d’être le « plus bête des systèmes ». Or, tout début Juin, le Conseil d’Etat valide cette circulaire. Est-ce donc la meilleure action possible ? Est-ce donc… éthique ?

Quelques éclaircissements :

En 2016-2017, le nombre d’étudiants inscrits à l’université est de 1 623 500 (+1,9 % par rapport à 2015-2016 ; +1,1 % soit 16600 inscriptions si on écarte les doubles inscriptions en Classes Préparatoires aux Grandes Ecoles – CPGE). L’augmentation porte sur les inscriptions en licence (environ +30.000 étudiants), en master (+5.000) et on note une diminution du nombre de doctorants (- 1.500). A noter que la différence entre les +16.600 correspond à la part des doubles cursus en CPGE. Plus de chiffres par ici : http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid116946/les-effectifs-universitaires-en-2016-2017.html.

Le système du tirage au sort est déjà effectué par certaines universités dont les capacités d’accueil et de formation sont dépassées (essentiellement STAPS), et il en résulte un flou juridique menant certains étudiants à obtenir gain de cause (ou pas) par le biais d’une réclamation en Justice. Et comment leur en vouloir ? Quand on apprend, dans le dernier article du journal Le Monde, qu’en 2016, « 3 500 candidats qui avaient pourtant opté en premier vœu pour une filière universitaire de leur académie se sont retrouvés sur le carreau. » (http://www.lemonde.fr/campus/article/2017/06/09/resultats-apb-2017-le-tirage-au-sort-a-l-entree-a-l-universite-touche-169-licences_5141359_4401467.html?utm_campaign=Lehuit&utm_medium=Social&utm_source=Twitter).

En Janvier, une première tentative gouvernementale a été désamorcée concernant la solidification du système du tirage aux sorts pour éviter les réclamations. C’est donc bien le contexte de l’élection présidentielle qui a permis cette décision prise de manière unilatérale et presque sournoise, puisque sans concertation avec les universitaires enseignants ou étudiants.

Quels seraient les intérêts d’un tirage au sort ?

On peut imager l’aspect juste en matière de justice égalitaire, puisqu’uniquement dépendant de la probabilité d’être sélectionné, probabilité identique pour tous les candidats. On imagine également la notion de lutte contre l’établissement d’une élite sociale, l’algorithme piochant de fait sans considération socio-économique des candidats (à supposer que cette incertitude encore plus délicate à supporter pour des familles aux conditions socio-économiques défavorable ne conduisent pas ces foyers à dissuader leurs enfants de candidater au profil de cursus plus « sûrs »). Il s’agirait d’une solution facile à mettre en place, peu couteuse, et efficiente en ce sens qu’elle règlerait le problème des capacités de formation, puisqu’ainsi le besoin (nombre d’étudiants) s’aligne sur les moyens (capacité de formation). En matière de morale, il parait acceptable que chacun puisse tenter sa chance, et ne pas avoir plus d’avantages que les autres, tout en résolvant un problème sociétal (ou presque). C’est donc une solution d’allure idéale, pratique et pragmatique, et vraisemblablement efficace. Tentante donc. Gratte donc ton ticket avec Dédé, si ça se trouve, tu vas gagner des sous ! (Ou pas).

Où est Dédé ?

Et si, le problème, ce n’était pas l’afflux d’étudiants souhaitant s’instruire à l’université, mais le manque de moyens pour améliorer les capacités de formation de ces étudiants ? Ahhhh, j’entends déjà les réponses à type d’« idéaliste ! » ou de « oui, mais c’est une solution au long terme et l’urgence est présente maintenant ! ». C’est vrai, il y a urgence. Il y a urgence pour permettre à chacun d’apprendre et de se former. Il y a urgence que la connaissance circule, se transmette, et stimule nos cerveaux avides de savoir. Sommes-nous le pays des Lumières et de l’Encyclopédie, ou celui de l’obscurantisme et de l’ignorance ? D’autant plus aujourd’hui…

Veut-on vraiment sélectionner nos futurs masseurs-kinésithérapeutes, enseignants, juristes, psychologues, sage-femme ou médecins au bon vouloir du hasard ? Il s’agit, pour rappel, de près de 169 licences qui sont concernées ! Pour le cas du médecin, que je connais le mieux bien que l’exemple soit valable pour les autres, alors même qu’on dénonce de plus en plus l’effet d’« élite », fruit d’une sélection longue depuis la PACES jusqu’au statut de PU-PH, en passant par les ECNi, les nominations, la sélection socio-économique, et j’en passe, veut-on vraiment rajouter une sélection sur la chance, histoire que nos grands professeurs puissent non seulement nous dire, « je suis l’élite, mais aussi l’élite officiellement reconnue chanceuse de ce pays » ?

Veut-on vraiment mettre sur la touche l’étudiant malchanceux qui aspire à devenir juriste depuis quelques années, ayant choisi son orientation en seconde, ayant éventuellement pris quelques options (grec, latin, plutôt que musique ou théâtre, par exemple), réfléchi à son cursus en terme d’université, d’ouvrages à lire en pré-requis, de perspectives professionnelles entretenant sa motivation à long terme (car PACES, psychologie, STAPS ou droit sont des filières amenant au moins à un BAC+3 à 5 pour être exploitables a minima, il faut donc un tant soit peu de quoi entretenir son courage à long terme…) ; au profil d’un étudiant candidat qui se serait inscrit « pour voir » (qui n’en sera peut-être pas moins brillant, certes) ? On ne peut pas rester indifférent à ces 857 lycéens, sur le point de passer le BAC, et qui sont, pour l’heure, recalé quant à leur souhait d’entrer en PACES l’an prochain, et qui l’apprennent à l’instant, en pleine révisions de dernières minutes, alors que peut-être certains ont suivi des enseignements supplémentaires, comme cela se fait parfois, pour préparer le concours de la PACES qui n’est pas réputé pour sa facilité…

Si cette solution est mise en place, va-t-on vraiment, comme l’encourage paradoxalement la décision du Conseil d’Etat, mettre en place une réorganisation du système pour permettre à ces étudiants recalés d’accéder à la formation qu’ils espèrent ? Ne va-t-on pas gentiment s’en contenter, voir en profiter comme d’une transition vers des moyens encore plus idiots tels que la sélection sur dossier ? Qui n’a pas cet ami passable au bac, qui s’est révélé dans sa filière universitaire et sa carrière ? Ou cet ami brillantissime au lycée, qui s’est fait briser par une PACES redoutable (ou même le cursus en découlant) alors que tout le monde lui promettait un succès assuré ? Combien de littéraires talentueux, cèdent à la pression sociale et obtiennent un BAC S moyen au lieu d’un BAC L excellent, et se verrait ainsi fermer des portes par une analyse superficielle d’un dossier variable, sujet aux conditions socio-économiques liées à l’établissement fréquenté, aux relations des uns et des autres, à l’aléa de l’alchimie entre une matière enseignée par un enseignant donné qui ne captiverait pas un étudiant donné, et tout ceci gangrénant davantage un système scolaire à repenser ?

Il existe d’autres moyens que le tirage au sort et son illusion de justice, d’autres moyens que la sélection sur dossier et son allure élitiste. Il faut peut-être, et pardon pour cette notion un peu « prévention primaire », revoir l’aide à l’orientation, la construction d’une motivation en termes de perspective, la formation des conseillers d’orientation (vraiment, pitié). Peut-être faut-il examiner en entretien, au cas par cas, les candidatures des étudiants aux filières pour se rendre compte d’un éventuel projet, pour informer sur des filières peut-être encore plus pertinentes, ou pour revoir, retrospectivement, l’organisation de l’enseignement tel qu’il se présente ? Le nombre d’étudiants en médecine qui ont la tête pleine de rêves sur le métier de médecin, et qui, arrivant dans les années supérieures, se heurtent à l’univers hospitalier dans tout ce qu’il peut avoir de violent, et se détournent alors de la médecine, devenant chercheurs, spécialistes en santé publique (parmi ceux, pas tous, qui n’ont plus grand-chose à voir avec la médecine), ou cessant radicalement leurs études pour faire tout autre chose… Le système scolaire actuel manque-t-il d’accompagnement ? Pas simplement pour faire rentrer les élèves dans des cases et des cursus tout tracés, mais peut-être davantage pour faire émerger des possibilités, éveiller les prémices de quelques vocations, offrir une information actualisée sur les perspectives d’études et de carrières en s’adaptant aux désirs, compétences et volontés de chacun qui, inéluctablement, sauront trouver un sens pour la société toute entière…

Le tirage au sort, même s’il concernerait, tel qu’annoncé, une « petite » proportion d’étudiants désireux de s’inscrire à l’université (mais tout de même au moins 3 500 !) est une solution mirage. C’est une « petite » proportion d’étudiants concernés qui ne devraient pas l’être, qui devraient plutôt avoir le droit de s’inscrire dans leur filière, quitte à subventionner davantage cette filière. Car notre futur dépend d’eux, de l’avenir, de l’éducation. Si nous choisissons d’économiser sur notre capacité à former les esprits de demain, alors nous faisons l’économie de perspective de progrès, d’enrichissement et d’amélioration de notre société.

Il y a deux grandes catégories de réflexions éthiques. L’éthique des grands discours, qui fait chic, qu’on évoque à tout instant pour paraître. Et l’éthique vraie, celle du concret, celle du terrain, celle, presque sale, des mains dans le cambouis, celle qui se demande, compte tenu du contexte, ce qu’on peut faire de mieux. Il y a donc l’éthique grandiloquante du politicien qui croit trouver un remède à bon prix à un problème qu’il enterre et délaisse aux générations suivantes ; et l’éthique pragmatique de l’étudiant à qui l’on demande de plus en plus tôt de construire son parcours post-BAC sans lui offrir un véritable support lors de ce choix et qui devra rajouter une étape pour laquelle il ne pourra rien faire de plus que croiser les doigts pour que ça passe, (pas) merci le Tirage au Sort.

Permettez-moi, pour finir, un parallèle. Chacun sait que les capacités d’accueil de patients à l’hôpital sont saturées. En témoigne l’attente incroyable pour obtenir un rendez-vous chez un spécialiste, la bataille permanente aux urgences pour « trouver des lits » afin d’hospitaliser les personnes qui le nécessitent, les maigres tentatives de promotion de la médecine de ville, de l’hospitalisation à domicile, et l’augmentation à outrance du nombre de lit dans les hôpitaux (sans augmenter bien sûr le nombre de personnel soignant). On a donc, là aussi, un besoin fort, des moyens insuffisants. Qu’est-ce qu’on fait ? On se la joue avec Dédé ? On tire au sort les patients qui seront soignés ?

« L’être humain est surprenant.
Parce qu’il sacrifie sa santé pour faire de l’argent.
Puis il sacrifie son argent pour récupérer sa santé.
Il est tellement angoissé au sujet de son futur qu’il n’apprécie pas son présent.
Le résultat est qu’il ne vit ni dans son présent ni dans son futur.
Au final, il vit comme s’il n’allait jamais mourir et il meurt sans avoir vraiment vécu. »
Dalaï-Lama

« Ahhh bah fallait le dire tout de suite ! Où c’est qu’il est Dédé ? Dédééééééé ?! »
Cochon Stupide