Appelez la Réa !

Qu’est-ce que réanimer ? Il s’agirait peut-être de re-animer. Redonner vie. Restaurer le souffle vital. C’est du moins ce que l’étymologie peut nous dire.

Cette nuit-là, j’entrais dans le service de réanimation, dans le but d’y contribuer un peu, pour la première fois du côté « médical ». Quel est le rôle de l’externe de garde ? Principalement faire le maximum de tâches ingrates, casse-pieds et chronophages : remplir les pancartes (sortes de très grandes feuilles portant un tableau immense aux multiples colonnes et qui comporte les « constantes » du malade qu’il faut noter au moins 2 ou 3 fois par jour), faire les ElectroCardioGrammes, rédiger les examens cliniques des patients entrants, et réaliser les PiCCO (3 injections de sérum physiologique froid destinées à entrainer une série de calculs pour produire des valeurs multiples et obscures à reporter sur un autre grand tableau rébarbatif).

L’équipe était sympathique. On sentait un peu la fatigue des médecins, au milieu d’une garde de 24h. Les habituelles tensions entre untel et untel étaient perceptibles, les commérages allaient bon train comme dans tout bon service hospitalier qui se respecte (hum…), et des bip bip d’allure très médicale résonnaient dans le couloir. Mais quels couloirs… portes grandes ouvertes sur des chambres simples où les patients sont intégralement dénudés (et plus ou moins recouverts d’un drap). Des pyjamas verts (parfois surmontés d’une blouse blanche) entrent et sortent sans scrupules. Les soignants se parlent d’une chambre à l’autre, parfois des patients qu’ils soignent. Parfois quelques blagues osées. Rien ni personne n’a de pudeur.

On me montre comment faire un PiCCO. Et on m’envoie faire le tour des chambres pour le refaire où il y a besoin. Devant la première chambre, je me demande comment rentrer. Que dire, que faire, face à un patient inconscient ? En l’occurrence, de la famille semble veiller sur lui. Dois-je leur demander de sortir ? Est-ce le respect du patient qui me fait me poser cette question ou la crainte d’être jugé sur des gestes encore malhabiles d’une technique à peine découverte ? Dois-je parler à ce patient ? […]

J’injecte. Le doute s’installe aussi vite que se vide ma seringue de sérum physiologique. Je ne peux m’empêcher de songer à l’acte d’euthanasie, pourtant à des années-lumières de ce que je suis en train de faire. Mais voilà, j’injecte quelque chose dans le corps de quelqu’un avec lequel je n’ai pu vraiment communiquer, faute d’avoir pu recevoir de réponse de sa part. Cela n’a beau être que de l’eau, c’est troublant. Il y-a-t’il une bulle qui se serait malencontreusement glissée dans la seringue et pourrait ainsi emboliser les veines de ce patient ? Ai-je scrupuleusement respecté les règles (si changeantes d’un apprenant à l’autre) de l’asepsie ? Ne risque-je pas de provoquer la mort de ce patient, d’une façon (plus ou moins capilo-tractée) ou d’une autre ? Je n’en mène pas large. Et le pire, ce que ces doutes me submergent à chaque fois, chaque injection, chaque acte un tant soit peu invasif…

La réanimation, me dis-je en recopiant le plus proprement possible des séries de chiffres aux noms faits d’abréviations que je n’ai encore jamais croisé dans mon cursus, c’est un peu l’excellence de la médecine des chiffres. Les valeurs sont hautement considérées, leurs variations anticipées, contrées ou recherchées. On veut une bonne fréquence cardiaque, une bonne tension, une température apyrétique, un bon rythme respiratoire, une saturation correcte, une diurèse dans les normes… Des tonnes de machines sont branchées au patient. Il n’est plus qu’une sorte de réceptacle, apte à recevoir le branchement d’une énième machine pour mesurer sa vie. Normaliser. Faire des organes des chiffres. Créatininémie, urémie, diurèse pour les reins, fréquence respiratoire et saturation pour les poumons… Qui soigne-t-on ? L’humain ou les chiffres ? Je suis peut-être mal tombé ce soir, mais la place de la clinique semble faible comparée à l’importance des chiffres…

Je tiens le champ stérile pour qu’il ne retombe pas sur le visage de cet homme au poumon percé. Pneumothorax droit complet. Survenue spontanée. Terrain cardiovasculaire avec plusieurs facteurs de risque. Et pour donner un peu de piment, ne parlant pas bien français. Aller expliquer à quelqu’un qui vous comprend très mal que du fait de sa pathologie, il faut lui enfoncer une espèce de barre métallique entre deux côtes afin d’évacuer l’air accumulé entre sa paroi thoracique et son poumon tout recroquevillé. Que ça ne va pas être agréable. Et que l’externe, là, qui a du mal à tenir debout, parce que la fatigue, la chaleur, la peur aussi, et une bonne disposition aux malaises vagaux, s’il s’accroupit, le bras toujours levé pour porter le champ hors du visage du patient qui se crispe, c’est pas parce qu’il va s’évanouir, c’est juste que sinon… il va s’évanouir. J’ai tenu bon. Jusqu’au bout. Sans tomber dans les vapes. Le vagal et moi, on commence à bien se connaître…

Là, je regarde la mise en place d’un cathéter. Un genre de tuyau partant dans une veine ou une artère. Une espèce de perfusion en plus élaborée. L’interne a été très demandé cette nuit pour ce genre de choses. J’ai vu son chef l’orienter, lui enseigner, reprendre la main. Je me demande comment je serai, moi, quand on me demandera de faire ce genre de choses. Aujourd’hui, je tremble à l’idée d’un gaz du sang. Qu’en sera-t-il demain lorsqu’il faudra poser un cathéter central veineux ou artériel, ou tout autre chose… ? Suis-je réellement compétent et apte à faire ce métier ? Lors de la mise en place du cathéter artériel, on voit bien le sang jaillir en suivant les pulsations du cœur. Etrange… c’est presque irréaliste de vérité. Un peu cinématographique. Pourtant, c’est bien réel.

La réanimation : médecine technique, médecine des chiffres, médecine silencieuse… Redonner du mouvement à ce qui en a perdu, restaurer le bon fonctionnement des organes. Un métier jugé noble, une spécialité honorable. La carte que joue tout clinicien un peu dépassé par l’aggravation de l’état d’un de ses patients hospitalisés. Plein de pression. Un travail en contact rapproché avec l’inéluctabilité de la mort. Un univers où se posent tant de questions. Une spécialité intéressante… mais pour laquelle je ne suis pas fait.

Quand le toucher fait mal

« Bonjour. Je suis Litthérapeute, étudiant en 4ème année de médecine. Je ne sais pas qui vous êtes, mais je suis ravi qu’on puisse discuter un peu. Ce message concerne le scandale des touchers vaginaux sur les patientes endormies au bloc opératoire, que des étudiants en médecine seraient encouragés à effectuer dans le cadre de leur formation. J’en parle avec émotion, rage également, et autant que possible, avec un peu de réflexion. Les effets secondaires sont, pour vous, de partager mon avis, en totalité ou non. D’être radicalement contre, ému(e), énervé(e), agacé(e), ennuyé(e), désintéressé(e), blessé(e) même pourquoi pas, voir même, révolté(e). Peut-être ne finirez-vous pas votre lecture, peut-être en voudrez-vous davantage. Peut-être n’arriverait-on pas à se comprendre. Vous pourriez avoir envie d’en rediscuter, de commenter, de critiquer, de répondre, ce que je vous encourage à faire. Avant de commencer, vous le savez, vous pouvez quitter cette page si vous le souhaitez. Vous pouvez réfléchir et revenir lire plus tard… ou pas. Vous pouvez même relire ce paragraphe pour être sûrs d’avoir bien compris. Alors, si vous êtes d’accord pour me lire, je commence ma réflexion au prochain paragraphe. On y va ? »

Contexte

Un document de 2010, sur le site de la faculté de médecine de Lyon, met le feu aux poudres. Cette fiche d’objectifs pédagogiques stipule que dans le cadre de leur stage en gynécologie, les étudiants en médecine doivent effectuer un toucher vaginal sur les patientes au bloc opératoire. Le document est désormais introuvable, mais l’affaire a repris de l’ampleur dernièrement, dans un contexte d’une loi de santé discutable qui fait des remous, et de la remontée de nombreux scandales touchant au monde de la santé (l’affaire de la fresque entre autre). Qu’il y ait ou non un usage politique renforçant la mise en lumière médiatique de ces tâches sur les blouses des médecins, ces tâches sont révélées, et le fait qu’elles « tombent mal » ne change rien à leur existence… depuis de nombreuses années. Par ailleurs, on n’a pas attendu le litige politique autour de la loi santé pour savoir que certaines pratiques immondes noircissaient les blouses blanches des professionnels de santé… Dans cette histoire, il est question de pratiquer un toucher vaginal sur des patientes endormies, dont rien ne précise si elles étaient informées et consentantes pour servir à cette forme d’apprentissage. De là, éclate la polémique, et le sacro-saint corps médical, connu pour sa tolérance et son extraordinaire capacité à se remettre en question, nie bien évidemment tout en bloc. Citons les deux personnages publiques rendus célèbres par cette affaire, j’ai nommé le président du collège national des gynécologues obstétriciens, et la doyenne de la faculté de médecine de Lyon. Le premier, dans une interview du nouvel obs répond au tollé provoqué par la découverte de ces documents que le gynécologue amené à opérer une patiente pratique un toucher vaginal juste avant l’opération pour vérifier l’emplacement d’un kyste par exemple, et que, parfois, un étudiant peut être amené à pratiquer ce geste sous surveillance du médecin référent. Il explique que la patiente a auparavant signé « énormément de choses » avant son opération, et qu’il n’est pas explicitement précisé qu’elle subira un nouveau toucher vaginal. Lorsqu’on lui demande s’il ne serait pas normal de lui demander son consentement, le président du collège national des gynécologues obstétriciens répond « C’est aller trop loin dans la pudibonderie ! Après 40 ans d’expérience, je ne pense pas qu’il soit nécessaire de faire signer un papier avant cet examen. Le corps médical est très respectueux des patients. ». Quant à la doyenne de la faculté de Lyon, ses propos rapportés dans le metronews dans lequel elle justifie ces pratiques sont : « On pourrait effectivement demander à chaque personne l’accord pour avoir un toucher vaginal de plus mais j’ai peur qu’à ce moment-là, les patientes refusent. ». A côté d’eux, nombreux médecins et étudiants crient au scandale médiatique en niant l’existence de telles pratiques, ou en se dérobant sous l’argument du « il faut bien apprendre » ; ou encore « c’est dans l’intérêt du patient »… Entre le déni, et des justifications très mauvaises sur le plan éthique auxquelles se mêlent des protestations à l’égard de la manipulation politique dans une tentative de discrimination du corps médical par rapport à la loi santé, on semble oublier les fondements même de la médecine, mis à mal par ces pratiques : le consentement, le droit de refuser des soins, le droit de participer activement à sa propre prise en charge, le respect de la personne, la transparence, le droit d’être informé, l’humilité…

Consentement

Quand on pose une question, on s’attend, la plupart du temps, à une réponse. Quand cette question suppose une décision à prendre, un choix à faire, une confirmation ou une infirmation, ou un engagement en quelque sorte, elle revêt parfois un caractère plus crucial, plus « important ». Elle est souvent fermée, attendant une réponse par « oui », « non » ou « je ne sais pas ». Et souvent, ce genre de question peut être, dans certains contextes, le genre de questions les plus difficiles. D’autant plus lorsque nous n’avons pas suffisamment d’éléments pour y répondre en toute connaissance de cause. Il semble parfois plus simple d’accepter ou de refuser quelque chose lorsqu’on pense avoir compris les tenants et aboutissants. On n’accepte pas forcément un travail sans avoir au moins posé quelques questions sur son contrat : nature du travail, conditions, horaires, rémunération éventuelle…

L’engagement, surtout lorsqu’il est important (en terme émotionnel, temporel ou « sacrificiel » par exemple) nous fait nécessairement nous poser des questions. Certains appellent cela des choix de vie, d’autres, la destinée. Il semble toujours y avoir un moment où il faut trancher. Oui ou non. Ceci ou cela. Elle ou lui. Être ou ne pas être. Exister ou bien mourir. Nos espoirs se projettent dans notre réponse. On essaie de faire confiance, à notre choix, à la vie, à l’autre qui nous demande de choisir.

Pendant longtemps, en médecine, le médecin avait les « pleins pouvoirs » sur le corps, l’esprit et la vie d’une personne. Garant d’un savoir bien gardé (sacré et secret), le médecin décidait de qui pouvait être sauvé, et qui ne le pouvait pas, faute de moyens de le/la guérir. Il mirait les urines pour diagnostiquer le sort de l’individu, faisait quelques saignées, et pratiquaient les interventions ou donnait les traitements qu’il jugeait utiles et pertinents. Que pouvait donc dire l’homme du commun, qui ne comprenait pas un traite mot de cette science complexe qu’était la médecine ? Il s’en remettait au bon docteur, et à la chance. Voilà l’apogée du paternalisme médical. Aujourd’hui, le paternalisme a la vie dure, mais il résiste. Aujourd’hui, on est sorti de l’époque d’obscurantisme par les Lumières, prônant liberté, partage du savoir et raison. On est sorti du nazisme par le Code de Nuremberg et l’affirmation des grands principes éthiques guidant le soin et la recherche médicale. Le rapport Belmont a défini de grands principes unanimement reconnus (principes éthiques fondamentaux, respect de la personne, autonomie, justice, bienveillance, non-malfaisance…). Suivront la déclaration d’Helsinki, les lois de bioéthique, l’evidence-based-medicine (EBM)… Le paternalisme prend du plomb dans l’aile, et la relation soignant-soignée est un équilibre qui profite avant tout au malade. Le médecin devrait s’assoir sur une chaise légèrement plus basse que le lit sur lequel est installé son malade. Il est à son service, à son écoute, à sa disposition pour lui apporter l’information dont il a besoin, le soutien, la connaissance actualisée, afin de prendre son mal en charge et de l’en soulager au mieux. Des lois émergent. Dans la loi Kouchner du 4 mars 2002, le chapitre premier s’intitule « Information des usagers du système de santé [des patients notamment] et expression de leur volonté ». Dans l’article L1111-6 de ce chapitre sont inscrits les mots suivants : « L’examen d’une personne malade dans le cadre d’un enseignement clinique requiert son consentement préalable. Les étudiants qui reçoivent cet enseignement doivent être au préalable informés de la nécessité de respecter les droits des malades énoncés au présent titre. ». Il faut informer, il faut demander au malade son accord, il faut respecter ses droits. La relation de soin est un partenariat, un partage, et ceci implique nécessairement de la confiance. Sinon, quel crédit donner aux informations du médecin ? Pourquoi croire les douleurs de son patient ?

Le consentement doit être libre et éclairé, révocable à tout moment, et toujours recherché. Libre, car si la liberté consiste à pouvoir choisir ce qui dépend de nous (allons donc relire le 1er chapitre du manuel d’Epictète si la philosophie nous tente), alors l’expression de la liberté dans le soin doit passer par cette nécessité de choisir, d’accepter ou de refuser les traitements qu’on nous propose dans le but de nous soulager. Oui, choisir librement implique de pouvoir accepter ou refuser. Eclairé, car, comme dit plus haut, choisir sans savoir est autant que science sans conscience : ce n’est que ruine de l’âme (Rabelais). Et pour être informé, il faut recevoir une information loyale, claire et appropriée. Cela aussi, le code de déontologie médicale dans son article 35 nous l’oblige (code qui a été rédigé pour la première fois par des médecins, montrant que les médecins s’appliquent à eux-mêmes les principes qu’ils reconnaissent comme essentiels à leur pratique !). Loyale, claire et appropriée. Compte tenu de tout cela, il faut prévenir la patiente qu’elle risque de subir un toucher vaginal après l’anesthésie, avant son opération, dans quel but, et qu’un étudiant pourra, si elle est d’accord, le réaliser aussi. Faire signer 36 papiers à des gens qui ne les lisent pas nécessairement car ils font confiance à leurs médecins ne dispense pas les médecins de prendre leur courage à deux mains pour informer, et ainsi entretenir cette confiance. Se cacher derrière des papiers impersonnels est une posture lâche.

Alors oui, bien sûr, le consentement n’est pas systématiquement recherché. Il semble difficile d’imaginer communiquer avec un patient retrouvé inanimé sur la voie publique après un accident, qu’il faut réanimer d’urgence, intuber-ventiler-perfuser, alors qu’on ne le connait ni d’Eve ni d’Adam, et que personne ne s’est fait connaître et reconnaître comme un proche. Oui, dans certains cas très précis et encadrés par la loi, le consentement ne peut tout simplement techniquement pas être recueilli. Mais qu’on n’aille pas jusqu’à dire qu’il est impossible de toujours rechercher le consentement dans la pratique quotidienne ! C’est justement ce qu’il faut faire. Ne nous cachons pas derrière des excuses minables, comme la notion de perte de temps (perdez-vous du temps à informer vos patients ? A entretenir une relation de confiance avec eux ?), d’impossibilité (ça ne semble pas si compliqué de demander un accord, au pire, que se passe-t-il ? Il ou elle refuse ? Et alors ? S’ils sont bien informés, combien refusent ? Combien d’autres accepteront ?), ou de pudibonderie (la liberté de choisir ce qui va nous arriver serait-elle pudibonde ?). Le consentement est la base de toute médecine. Quand le patient nous remet son corps, son esprit et sa vie entre nos mains, la moindre des choses est de le respecter, en travaillant de concert avec lui, pour lui.

Faut-il demander le consentement pour tout ? Et pourquoi pas ? Une simple prise de sang nécessite un consentement que bien des infirmièr(e)s demandent tout naturellement. Par ailleurs, ce qui pèche parfois, c’est que le patient demandera souvent « pourquoi ? ». Et comme le médecin ne l’a même pas informé des prises de sang qu’il allait prescrire, c’est une question bien légitime. Tout autant que la remarque agacée de certains patients prenant souvent la forme de « encore une prise de sang ? Mais vous cherchez-quoi au juste ? C’est la 5ème en 3 jours ! ». Un autre exemple, l’électro-cardio-gramme (ECG). Examen paraissant « tout bête » consistant à disposer une série d’électrodes sur le torse du patient, ses bras et ses jambes afin de mesurer l’activité électrique du cœur et détecter de nombreuses choses. Bien souvent, c’est la corvée de l’externe qui en réalise un à chaque nouveau patient admis dans le service. Beaucoup attrapent la machine, entrent dans la chambre, posent les électrodes, impriment l’ECG et s’en vont. Est-ce que ça prend beaucoup plus de temps de toquer à la porte, demander si on ne dérange pas avant d’ouvrir complètement, laisser la machine dans le couloir, se présenter, expliquer le principe de l’ECG et pourquoi on le réalise de façon loyale, claire et appropriée, de solliciter le consentement du patient (« vous êtes d’accord ? »), d’aller chercher la machine, de le faire, de le rassurer sur les résultats avant de sortir ? Combien de temps sera gagné la prochaine fois que l’on rendra visite à un patient pour l’interroger sur ses antécédents, notamment intimes à la recherche d’une éventuelle exposition à la drogue ou aux maladies sexuellement transmissibles et qu’ainsi, fort de la confiance établie, le patient saura plus volontiers se confier ? Combien de patients correctement informés des explorations à réaliser n’auront pas commencé leur petit déjeuner pourtant servi alors qu’une prise de sang nécessitant d’être à jeun était prévue le matin, parce qu’ils ne sont plus passifs dans leur prise en charge mais partenaires ?

Toucher vaginal – Examen clinique – Apprentissage

Le toucher vaginal. Comme le toucher rectal, c’est un geste pour le moins intrusif et, quand il est réalisé sur une personne consciente, qui peut être très humiliant. Humiliant en ce qu’il touche à l’intime, au corps, à nos rapports avec les autres. Si certaines femmes ne sont pas intimidées plus que cela par cet examen clinique, d’autres vivent un véritable calvaire à chaque visite chez un médecin où il serait nécessaire. Cela souligne que nous avons chacun notre façon de voir les choses, la vie, la maladie, les examens que l’on subit. Cette diversité de conception est à prendre en compte dans la relation de soin. Tout le monde, tous les malades, sont différents et réagissent différemment. Il semble primordial de se poser la question du sens que peut avoir un geste, une maladie, sur l’autre. Je réfute ainsi l’argument, trop souvent entendu de la part de certaines étudiantes en médecine notamment, que puisqu’elles ne sont personnellement pas dérangées par un toucher vaginal, il n’était pas nécessaire de s’offusquer « pour si peu ». Même une prise de sang peut être une réelle épreuve pour certaines personnes, et il est insupportable de les voir jugées si durement par celles et ceux qui sont sensés les soigner. Oui, c’est difficile. Oui, cela suppose de s’arranger pour obtenir les résultats d’examens indispensables. Oui, il faut s’adapter à son malade, et non que le malade ne s’adapte aux examens. Autrement, on ne s’en fait pas un partenaire, on s’en fait un ennemi.

Beaucoup d’étudiants se sont inquiétés, comprenant dans cette polémique qu’on voulait leur interdire l’apprentissage clinique. Est-il question d’interdire l’apprentissage clinique ? La recherche du consentement, n’est-ce pas déjà le prérequis indispensable à toute clinique de bonne qualité ? Apprendre le toucher vaginal est effectivement nécessaire (surtout selon la spécialité que l’on envisage d’exercer), mais doit se faire dans le respect de l’autre et de ses droits. Qu’un chef de clinique se permette de demander aux 15 étudiants de son service de venir profiter du fait de Mme machin-dont-il-ne-connait-zut-même-plus-le-nom soit endormie pour venir palper ce kyste extraordinaire au fond de son vagin, puisque de toute façon, ses muscles sont bien relâchés donc elle ne sentira rien et ne s’en souviendra même pas ; c’est inacceptable. Car en tant que chef, que professeur responsable de la validation des stages des étudiants, non seulement il ne leur montre pas un bel exemple de médecine humaine, mais en plus, il les soumet à son autorité pour bafouer les droits et les principes les plus fondamentaux de la médecine. Alors que peut-être, en parlant avec la patiente en présence d’un seul étudiant, celle-ci n’aurait vu aucune objection à ce que l’étudiant puisse apprendre avec elle. En bons partenaires du soin. Car transmettre, apprendre, n’est-ce pas déjà soigner ? Et les patients n’ont-ils pas aussi énormément de choses à nous apprendre ?

Des cliniciens ont le souci de l’autre. Ne les oublions pas à dénoncer les autres. Certains médecins ont même beaucoup travaillé pour que l’apprentissage de l’exercice clinique soit optimisé. Simulation, jeux de rôle, mannequins haute fidélité… des centaines d’outils démultiplient les possibilités d’apprentissage, les « premiers gestes », afin de pouvoir les pratiquer correctement dans la « vraie vie ». J’ai personnellement appris la ponction lombaire sur un mannequin, avant de la réaliser pour la première fois aux urgences sur une patiente à qui j’ai demandé si elle acceptait que ça soit moi qui le fasse, patiente à qui je me suis présenté comme étudiant en 4ème année de médecine. Et fort de cette expérience de simulation, j’ai pu effectuer ce geste en l’expliquant au préalable, pendant, et ensuite, chez une patiente consentante.

Une pétition circule. Elle demande notamment une intégration de disciplines diverses telles que l’éthique, le droit, la philosophie et les sciences humaines dans le cursus médical. Pourquoi pas. Je suis très loin d’être contre, ayant choisit de suivre un master d’éthique en parallèle de mes études. Je crains cependant que cela ne soit perçu que comme des matières rébarbatives auxquelles les étudiants ne seront pas correctement sensibilisés. L’importance est de les transmettre par l’exercice pour qu’elles se dévoilent et se cultivent dans et par l’exercice. La nouvelle UE 1 : apprentissage de l’exercice clinique et coopération interprofessionnelle, obligatoire, met déjà au programme de l’ECN une vingtaine d’items consacrés à l’éthique, l’EBM, la communication… Mal perçue par bon nombre d’étudiants, elle parait décentrée de l’exercice car entre ce que nous y apprenons (qui fait presque rêver) et la réalité de l’exercice (pratiqué par des médecins qui ne sont pas nécessairement sensibilisés à tout ce qu’on y apprend), il y a un fossé. Et malheureusement, certains étudiants font le raccourcit rapide que cette matière est donc inutile…

Conclusion & remise en question

La relation de soin pose l’enjeu essentiel de la confiance. L’histoire a fait émerger des droits pour les patients, des devoirs pour les médecins/soignants. Parmi ces principes que les soignants ont choisis eux-mêmes de s’appliquer, la question du consentement du patient apparait comme essentiel au maintien et à l’entretient de cette confiance dans la relation soignant-soigné. Toutefois, l’acquisition du savoir médical se complexifie, autant que la médecine devient plus complexe, plus technique, et semble parfois oublier les principes sur laquelle elle repose. Le soignant risque de se défaire de son humanité, à l’origine de son métier, dans le souci de devenir meilleur technicien. Cela passe notamment par l’acquisition de la clinique chez le jeune médecin, qui implique d’apprendre à repérer des millions de signes par des actes d’examen physique plus délicats. La pression de la compétence est parfois si grande que le sens de la compétence clinique en sa dimension humaine passe, pour certains, au second plan. Pourtant… Apprendre la clinique, n’est-ce pas aussi, et même essentiellement, partir à la découverte de l’autre, du sens qu’il donne à la médecine, de sa façon d’être et de concevoir les choses ? N’est-ce pas avant tout apprendre à respecter l’autre ? N’est-ce pas pratiquer dans le plus strict respect des principes éthiques essentiels que l’histoire, entre autre, nous a permis d’ériger ? Être médecin, ou soignant, n’est-ce pas sans cesse s’interroger sur ses pratiques, apprendre de son histoire, et se remettre en question ? Car en voyant les réactions de certains professionnels de santé, j’ai seulement envie de m’enterrer tellement j’ai honte de faire partie de leur corps de métier. Le déni, la fuite, la tangente, l’esquive. Plutôt que d’accepter que de telles pratiques aient pu exister, plutôt que de faire en sorte d’y remédier, plutôt que de reconnaître les vices qui ont été commis, de s’en excuser sincèrement, et de réfléchir à ce qu’ils ne se reproduisent plus, on se cache derrière sa fierté et des mots compliqués. Et on sert du « pudibonderie » à qui voudra l’entendre, on bafoue des principes essentiels comme celui du consentement, ou, pire encore, on rend le ministère de la santé responsable de manipulation politique. Est-ce que cela excuse ces comportements ? Est-ce que cela fait avancer les choses ? Est-ce là une attitude digne venant d’un soignant et d’un corps de soignants ? A quoi bon les revues de morbi-mortalités, les questionnements éthiques, la redéfinition de la médecine (du paternalisme à l’EBM) si c’est pour rester enfermé dans un traditionalisme ancien et irrespectueux ?

Les gens ne veulent pas de responsable. Je ne veux pas de responsable dans cette histoire. Je souhaiterai seulement qu’on essaye d’apprendre. De nos erreurs. De nos pratiques. De nos doutes. Des autres. Car j’ai peur, incommensurablement peur, de faire de la médecine, si la médecine qui se dit tant préoccupée par sa dimension humaine, ne confirme pas, dans sa pratique, la beauté de ses dires.

Comme il faudrait apprendre

Comme tu m’as proposé, légèrement, entre deux heures perdues au milieu de la nuit.
Comme tu m’as souris, gentiment.
Comme j’ai bredouillé, bêtement, que je ne savais pas, que je n’avais jamais fait, que ça me stressais.
Comme tu m’as dit qu’au pire, ça raterait et qu’on ne réussissait pas à tous les coups.

Comme l’heure est venue, la nuit suivante.
Comme tu m’as encouragé en me disant que si on ne s’y attaquait pas, on ne le ferait jamais.
Comme tu m’as expliqué, simplement et doucement.
Comme je t’ai écouté, simplement et efficacement.

Comme cette tubulure se prenait pour une veine.
Comme ce cathéter coulissait si particulièrement.
Comme on procède, étape par étape.
Comme on manipule, geste par geste.

Comme tu m’as tendu le garrot, expliqué la technique.
Comme j’ai bidouillé, à te faire bien rire.
Comme on a recommencé, sans jugement ni précipitation.
Comme j’y suis arrivé, sans mal ni pression.

Comme tu m’as tendu le bras avec un grand sourire.
Comme je n’ai pas tremblé.
Comme tu me guidais, délicatement.
Comme j’ai avancé, précautionneusement.
Comme j’ai repéré ta veine, qui bien visible, me facilitait la tâche.
Comme j’ai lâché le garrot qu’on aurait dit un habitué.
Comme j’ai piqué, sans trop d’appréhension.
Comme le sang a coulé dans le repère du cathéter.
Comme j’ai retiré mon aiguille et glissé une compresse.
Comme j’ai maintenu ta veine pendant que je branchais la tubulure.
Comme j’ai injecté pour ne pas voir de gonflement.
Comme j’ai aspiré pour regarder ton sang.
Comme j’ai posé le scotch et le film collant.
Comme tu as déclaré que c’était excellent.
Comme tu m’as assuré que « j’étais tout à fait capable ».
Comme tu as balayé la moindre de mes angoisses sur les gestes techniques.
Comme tu m’as surpris en me disant ne pas avoir eu mal.
Comme on a poursuivi en retirant le dispositif.
Comme on suivait tes indications calmes et posées.
Comme on a progressé sans se presser.
Comme on s’en est sorti sans douleur ni maladresse.

Comme tu m’as montré les secrets de la pose d’une perfusion, d’une dilution, et tant d’autres encore.
Comme j’ai réalisé une fois de plus que les médecins, souvent, ne savaient rien de tout cela.
Comme j’ai refais le vœux de rester humble.
Comme j’ai aimé ces heures nocturnes, au sommet d’un hôpital, entre deux paires d’yeux et une tubulure percée.

Stage de sémiologie – Jour 4 : Cirrhose

Les moelleux au chocolat ont fait un sang d’encre lors de la visite. Très appréciés, les médecins n’ont pas été les seuls à en profiter, l’équipe paramédicale s’est également vue proposer quelques-unes de mes confiseries maisons. Je ne remercierai jamais assez ma grand-mère pour sa recette qui m’a valu de passer une excellente matinée.

La visite donc. Toujours 7. Ce qui est toujours plus agréable que 15. Je pense, chaque fois, qu’un jour peut-être je pourrais devenir chef de clinique. Je me demande si je songerai à ce que je ressens en tant qu’étudiant stagiaire. Si je ferais en sorte de prévenir le patient que c’est « la visite » et qu’il y a du monde, mais que s’il le souhaite, il peut demander à ce que tout ce gentil petit monde sorte, bien que cela serait dommage car, avec son accord, les jeunes bébés docteurs peuvent apprendre à reconnaître les signes qui leur permettront, plus tard, de reconnaître la maladie dont il souffre chez d’autres personnes et ainsi les soigner. Mais que bien entendu, cela reste sa maladie, son hospitalisation et que pas un seul instant il doit se sentir obligé d’accepter la visite de peur d’être moins bien soigné s’il refuse, que c’est tout à fait normal de se sentir mal à l’aise.

Lorsque j’ai dû aller ausculter une dame, je me suis retrouvé derrière son dos et, levant les yeux, j’ai été frappé d’une douzaine d’yeux qui me regardaient presque. En réalité, ils étaient fixés sur la patiente, mais même de ma place, je trouvais la situation extrêmement angoissante. Tous ces regards, comme des juges inquisiteurs. Pourtant bienveillants parfois. Mais même ceux-là sont debout, tandis qu’on est assis ou allongé. Ceux-là même paraissent grands, impressionnants dans leur blouse (presque) immaculée. Bien que je comprenne cette sensation, jamais je n’ai eu l’impression de la partager autant. Comme une proie au milieu d’un troupeau de lions. Comme une monstruosité au milieu d’une fête foraine. Comme un patient au milieu de sept soignants.

Au cours de la visite, on m’interroge sur les signes cliniques de la cirrhose. Vaguement sûr, j’y vais. Et comme j’ai quand même réussi à oublier l’encéphalopathie hépatique, je vais les citer ici (désolé pour les non-initiés) histoire de les avoir en tête. Définitivement. D’abords les conséquences de l’hypertension portale avec la circulation veineuse collatérale, la splénomégalie et les varices (hémorroïdes, ou varices œsophagiennes pouvant se suspecter s’il y a déjà eu hématémèse par exemple). Ensuite, l’insuffisance hépato-cellulaire qui est responsable de l’apparition d’angiomes stellaires, d’érythrose palmaire, de leuconychie/hippocratisme digital,  de gynécomastie/d’aménorrhée/d’hypogonadisme, de troubles de la coagulation, d’encéphalopathie hépatique (avec donc en premier l’inversion du rythme nycthéméral, etc.), le flapping trémor/astérixis, d’asthénie et d’ictère à bilirubine conjuguée voir mixte d’apparition souvent tardive. Le fameux foetor hepaticus (histoire de faire savoir à votre prochain qu’un lavage de dents ne lui ferait pas de mal…), une certaine sensibilité aux infections, et bien sûr, une rétention hydrosodée souvent remarquée par l’ascite viennent compléter le tableau. Voilà. Ça devrait rentrer à force. Jusqu’à la prochaine fois.

De toute façon c’est ça la médecine. Apprendre, oublier. Réapprendre, oublier. Apprendre toujours, oublier de moins en moins, mais toujours un peu. Jusqu’au prochain réapprentissage.

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Stage de sémiologie – Jour 3 : Peur

Devenir médecin, comme devenir quoi que ce soit d’ailleurs, ça implique de faire ses premiers essais à un moment ou à un autre. S’il m’est déjà arrivé d’ausculter un patient, d’écouter son cœur, ses poumons, son ventre, de l’inspecter, de regarder sa peau, ses blessures, son corps, de le palper, au niveau du foie, des mollets, ou du cou, ou encore de le percuter, entre les côtes, sur les flancs, sur les reins … je n’ai jamais conduit seul un interrogatoire complet suivi d’un examen clinique, en vue de rédiger la sacro-sainte « observation », récapitulant toutes les informations recueillies sur le patient pour qu’elles figurent dans son dossier médical. Une partie essentielle du travail de l’externe en médecine. Externe que je deviendrai l’an prochain… (vous ne pouvez pas sentir la peur dans ma voix, puisque je vous écris, mais je vous le dis, elle est là : Peur, voici mon lecteur, cher lecteur, voici une de mes peurs).

Dans ce stage formidable, à l’ambiance formidable, aux chefs formidables, l’objectif est d’apprendre à faire seul une observation. Apprendre à devenir externe, en gros. Et c’est particulièrement angoissant. Parce qu’il va être temps d’aller voir un patient que je « prendrai en charge » d’un point de vue « sémiologique », qu’il me faudra le présenter aux autres médecins lors des visites, et que je devrai aller le voir régulièrement en vue de me tenir au courant de l’évolution de son état. Je n’arrive pas à me résoudre à me dire que je vais bientôt avoir « mes » premiers patients. Peut-être parce que je flippe à mort.

Dire qu’il y a deux ans encore, je bossais comme un malade parce que je voulais m’occuper des gens. Dire que dans presque six mois, je serai tous les matins à l’hôpital. Dire que dans un peu plus de trois ans, je serais interne. Que je prescrirai des choses. Que je prendrai des décisions affectant directement la santé de ces gens. Dire que je vais être de plus en plus responsable. Alors que je ne m’en sens ni les compétences, ni le savoir-faire. A peine capable de brandir son stétho sans trembler discrètement.

« Mais c’est pour ça qu’il faut profiter de ce stage pour t’entrainer à examiner et interroger des malades voyons ! » Dis comme ça, ça à l’air super. Oui, je vais m’entrainer, ça va être chouette, je vais apprendre à faire mon métier, quelle joie. Du moins pour moi. Parce que le pauvre patient qui a subit déjà au moins 5 fois l’interrogatoire et l’examen clinique en bonne et due forme, parce qu’il y a eu l’admission aux urgences, avec le premier externe qui peut-être passait juste après un DFGSM en stage de sémiologie, puis l’interne, puis un chef qui a transféré le patient jusqu’en médecine interne où un externe est passé le voir pour faire son admission, en rapporter à l’interne qui est passé aussi vérifier deux ou trois trucs. Si le chef n’est pas encore passé, te voilà sixième (sans compter les infirmières d’ailleurs !) à entrer dans la chambre avec toute la prestance de tes trois ridicules petites années de médecine encore inachevées, et prendre ta plus belle voix pour dire « Bonjour, je suis le thrombus des couloirs de l’hôpital, petit étudiant en médecine même-pas-encore-externe-plus-moins-que-rien-que-moi-tu-meurs, et je souhaiterai vous poser quelques questions si vous le voulez bien ! ». Alors que tu sais que le patient en a peut-être un petit peu marre de passer son temps à répondre aux mêmes questions, à subir les mêmes tripotages en tout genre (surtout quand ils sont réalisés par un type qu’a vaguement pas trop l’air sûr de lui), et que si ça s’trouve, il aura même peur de répondre non à un membre de l’équipe soignante (même de très très très loin, comme le DFGSM par exemple) de peur de ne plus être soigné avec la même attention. Alors voilà, voilà en partie pourquoi quand on me dit d’aller interroger un patient, quand je sais qu’il a déjà été vu, ça me remplit d’autant de peur que d’excitation du débutant. Voilà pourquoi, la peur gagne progressivement en importante au point d’éliminer toute fascination au fur et à mesure que j’approche de la chambre.

L’ambivalence du « si tu ne vas pas voir les malades, tu n’apprendras jamais à les examiner et à reconnaître les signes que tu n’auras pas vu de ce fait » face au « tu vas encore embêter le patient sans même que ton examen ne serve à quoi que ce soit puisque cinq personnes compétentes sont passées avant toi, et au moins trois autres plus compétentes passeront derrière toi ». Le sentiment de ne pas être légitime, parce que complètement ignorant, parce qu’assez incompétent, et parce que détestant agacer les gens. C’est paralysant, et ça n’arrange pas mon problème.

Mais l’intérêt d’un stage aussi formidable avec des gens si formidables si bien que tu sais que tout est formidable (oui, j’aime ce stage, je tenais à le préciser de peur de ne pas être complètement clair et honnête avec vous) c’est que ça va changer. En douceur. Dans le respect du patient, de ses volontés, de sa personne. Parce que ça, c’est peut-être difficile d’ériger ça en principe absolu quand on est étudiant et qu’on nous demande (les 4 ou 8 DFGSM agglomérés dans la salle des médecins) d’aller voir Mme Machin en salle 117 qui a « un super souffle au cœur comme dans les bouquins » mais que Mme Machin, on ne la connait ni d’Eve, ni d’Adam et que si on y va pas, c’est pas bien parce que on ne saura jamais repérer un rétrécissement mitral si on ne l’a pas déjà entendu au moins une fois. Mais que c’est grisant, de relever ce défi, de devenir médecin, « en douceur ».

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Médecine, études, avenir …

Spécialités

 

En ce moment, j’ai l’impression d’être obnubilé par l’avenir. Quoi de plus normal me dira-ton, quand on sait que bientôt, je ne répondrai plus de la sécurité sociale étudiante, que tous les matins, j’arpenterai le dédale de l’hôpital, et qu’on me désignera surement comme « l’externe ». Surtout en ce moment avec les réformes de l’externat et des ECN.

Face à ces chiffres, face à mes idées d’avenir complètement folles, face à moi-même en quelque sorte, des mots ont jailli du clavier. C’est pas extraordinaire, c’est juste venu comme ça. Je n’aime pas la répétition du « intérêt ». Mais j’ai pas voulu changer. L’écriture automatique, ça se respecte ! Je n’ai pas vraiment de titre non plus … des idées ? Je pensais à « Projets, Chemin et Vocation » mais sans conviction …

Tel un « pile ou face », pour choisir son chemin,
On regarde en face les jouets du destin :
Nulle place au hasard, il faut se prendre en main,
Entrer dans cette bagarre et décrocher son pain.

Plonger dans les livres, n’en sortir qu’à minuit,
Quand il ne faudrait pas y rester toute la nuit.
Errer dans les couloirs, très avide d’apprendre,
L’Art médical, parfois, sans vraiment le comprendre.

Cours, cours à tes rêves ! Mais, mon esprit, jamais
Ne te laisse tenter par tout ce qui ferait
Du respect du patient ton dernier intérêt.

Laisse l’expérience faire grandir tes idées.
Laisse la sagesse des anciens te guider,
Garde tes sens pour mon humain intérêt…

Litthérapeute.

Voyage vers la fac …

A vos marques. Prêt ? Feu, go, partez !

J’appuie sur la pédale. Les cliquetis de la chaine, bien qu’un peu assourdis par la poussière estivale, traversent de nouveau les rues. Mon sac est encore léger, peu encombré des paperasses gribouillées de schémas d’anatomie tracés à la va-vite, des cycles métaboliques de l’urée à la glycolyse, d’obscures formules de biophysique, encore, au sens bien mystérieux. L’année commence, la course aussi, et je dévale les pentes ou m’essouffle à les remonter.

Je repense à ces premiers jours, encore hier, mais plus pour longtemps. L’effervescence du mois de Septembre, ces tonnes de papier à remplir, l’époque des « Certifàlacon », le surmenage des administratifs. Les étudiants qui arrivent en retard parce qu’ils se racontent leur vacances, leurs galères avec l’inscription, les rattrapages pour certains. Les amphis assez chargés, comme si certains avaient pris des bonnes résolutions. Promis, j’irais à tous les cours pour ne pas me lever à 11h du mat’ et perdre toute une matinée pour bosser ! Des résolutions qui tiennent aussi longtemps que celles du premier de l’an. Une semaine et demie plus tard, l’amphi retrouvait son degré de fréquentation habituelle de 15 pèlerins pour les 140 et quelques élèves de la promotion.

En prenant un virage, je dépasse doucement une vieille dame dont les rides ont imprimé sur son visage un éternel sourire. Elle s’est écartée en m’entendant annoncer mon passage, je la remercie. Ses joues se soulèvent un peu plus. J’avance un peu songeur. Le temps passe, pour tous. Déjà, ceux que je fréquentais comme des étudiants en médecine lambda deviennent un peu plus sages : ils choisissent leurs premiers stages, réfléchissent aux ECN. iECN par ailleurs, sur tablette, avec des vidéos et tout et tout.

Et là, je freine. Le feu passe au rouge. Je réalise. L’an prochain, c’est mon tour. A moi les gardes, les stages, toute l’année, tous les jours. Les patients à voir. Les interrogatoires à réaliser. Désormais au-delà de l’exercice, c’est un morceau de mon potentiel futur travail, de près ou de loin. Les premières bases indispensables. Les premières responsabilités se tracent. Le feu passe au vert. J’ai peur. Je ne veux pas redémarrer tout de suite. Mais je vais être en retard. Je n’aime pas être en retard. La ponctualité, c’est important. C’est assumer ses choix, ses devoirs et ses responsabilités, quelque part. Alors j’inspire. Je pose mon pied sur la pédale. Je prends un peu d’élan avec l’autre jambe. Et je me lance. Le soleil n’est pas trop éblouissant, même si je ne peux pas encore regarder droit devant moi, droit vers l’inconnu. Alors je profite du vent que j’ai dans le dos pour avancer. Tranquillement, mais résolument.

En rentrant, l’autre jour, une voiture s’était encastrée dans un arbre. Les pompiers étaient sur place. Un genre de type au fond de moi s’est réveillé. Un peu comme la Ginette de Jaddo. Du genre à vouloir aller voir ce qui se passe, et déclarer « Je suis étudiant en médecine, je peux vous aider ? ». Du genre à se vouloir être utile. Du genre un peu chiant, aussi, parfois, parce qu’il veut que tout soit parfait et être le meilleur. Du genre à dire que c’est de ma faute quand il se plante, mais à lever le poing en l’air quand il donne la bonne réponse à une question difficile. La cohabitation n’est pas toujours évidente, mais j’ai encore le dernier mot. C’est en passant devant cette voiture (rien de grave à priori) que je me suis dit qu’un jour viendrait où je devrais peut-être recevoir la victime à l’hôpital. Et je me suis dit que je devrais bosser ma Neuro plutôt que d’avoir la tête dans les nuages. Ou peut-être que c’était une pensée de l’autre type …

J’arrive à la fac, freine en douceur, attache mon vélo. Je suis à l’heure. Devant le bâtiment, des nouveaux externes, bientôt, arpenterons les couloirs de l’hôpital pour apprendre un peu de ce qu’il faut savoir pour devenir un soignant. Moi, je vais en cours de statistiques, et je songe à ces cours de psychologie, de relation soignant-soignant et soignant-soigné et tous ceux que l’on n’a pas. J’apprends que le prof de stat est un psychiatre. Je ronge mon frein. Donne-nous des cours utiles, à la place des leçons de biophysiques sur les microscopes et spectrophotomètre, je t’en supplie ! Et ça, je ne sais pas si c’était l’autre type ou moi. Ou les deux.

Merci – ces généralistes de « campagne »

J’ai réussi ma deuxième année de médecine. Les résultats des examens sont tombés. Plutôt corrects dans l’ensemble. Dans les 20 premiers de ma promo. Fierté ? Pas vraiment. Ce qui compte, à mon sens, c’est plutôt ce que j’en ai retenu. Et ça m’agace de l’avouer mais ce n’est pas grandiose …Si je trouvais le courage, je relirai sans doute quelques-uns des cours les plus utiles et les plus intéressants pour ne pas arriver comme une fleur, dans 2 ans, lors de la 1ère année d’externat, avec un grand vide absolu dans le champ de la cardiologie, de la pneumologie ou de la néphrologie. Parce que bachoter pour tout connaître le jour de l’examen c’est bien. Apprendre correctement pour savoir quoi chercher en face d’un malade, c’est surement mieux.

Rabat-joie ? Oh non, je suis content de ne pas avoir à me replonger dans mes bouquins dans un énième bachotage stupide, inutile et inefficace et de pouvoir profiter de mes vacances. En plus, j’ai validé mon UE optionnelle de master, autant dire que c’est plutôt apaisant. Je n’ai pas travaillé autant qu’en première année (encore heureux) et je m’en sors vraiment pas si mal. Mais voilà, une année de validée c’est rien d’autre qu’une année de plus. Bientôt, je dirai que je suis en 3ème année de médecine. Toujours un « tout bébé docteur », rien de significatif. Un petit pas de fourmis sur le long chemin qu’il reste à parcourir.

Mais cependant … cependant … la responsabilité, encore à des kilomètres, ne va pas tarder à pointer le bout de son nez ! Sournoise, elle approche, dans l’ombre. Un jour, elle m’attrapera, et ça sera terminé. Et ce jour se rapproche, inéluctablement. Et la pression monte, indubitablement. Mais s’agit-il vraiment du revers de la médaille ? N’est-ce pas là également la promesse de voir ses compétences grandissantes enfin mises à l’œuvre, pour le bien de la personne malade ? Pour ces hommes et ces femmes qui peut-être un jour auront l’audace ou la folle idée de mettre leur santé entre mes mains.

Devenir médecin. La pensée de l’accomplir ne franchit pas encore les barrières de mon esprit, comme s’il était trop pragmatique, trop réaliste pour ne serait-ce que tolérer l’idée. Les entrelacs de mes neurones sont comme des couloirs froids et austères où paradent des légions de GABA* à la manière des militaires, réprimant les groupuscules de Glutamate** manifestant contre la censure. On évitera désormais les métaphores neuro-physio-poético-burlesques, promis …

Ce jour-là, je redevins le patient. Un cabinet sympathique, cinq médecins généraliste, une secrétaire. Le téléphone sonnait régulièrement. Ayant pris rendez-vous le matin même, je m’y rendais pour la première fois, étant loin de ma grosse ville de résidence, profitant du début de mes vacances à la campagne. Enfin, profitant, jusqu’à ses cinq derniers jours où, écouter avec mon oreille gauche devenait de plus en plus délicat. Otite ? Bouchon de cérumen ? Autre ? Faites vos jeux.

Dans la salle d’attente, mes yeux se perdent sur les affiches, les décors, les autres. Je m’interroge : pourrais-je devenir généraliste ? Ce n’est pas une spécialité d’organe, ce qui me plait bien. Oui, mais la médecine interne, rêve de fou furieux qui n’a encore jamais vraiment vu ce qu’était la médecine, m’attire encore. Je me perds dans mes pensées. 15 minutes après l’heure de mon rendez-vous, on m’appelle.

Le médecin est un jeune homme, pas beaucoup plus grand que moi ce qui me soulage d’une peur irrationnelle : qui ferait confiance à un « petit médecin » ? Etant peu gâté par la nature à ce niveau, j’avoue avoir ressenti comme une sorte d’encouragement devant celui que je considérais comme une sorte de « futur pair ». Poignée de main ferme mais chaleureuse, j’entre. Il se présente et précise qu’il est remplaçant. Comme c’est la première fois que je viens, ça m’est égal. Il commence à m’interroger. Un collègue l’interrompt, il sort discuter. Je pense : quand même, il aurait pu s’excuser. Mais au fond, ça ne me gêne pas. C’est si facile d’oublier, et puis, si ça se trouve, il vient de commencer son remplacement. Ça peut stresser et faire oublier ces petites choses sans grande importance. Je repense à la façon de décrire ma plainte, le plus clairement possible, sans rien omettre. Faudrait que je décroche de la sémiologie, parfois. Il revient. Il me demande mon métier. Etudiant en médecine. « Ah ? Quelle année ? ». « J’ai terminé ma 2ème année ». « C’est bien ça ! Profites-en. Surtout la 2ème et la 3ème … tant que tu auras le temps ». On rit. On discute. Il m’examine. Il teste un appareil, m’explique. Me demande la sémiologie ORL. Mais c’est l’année prochaine. Vous avez fait votre pari ? Alors attention, rien ne va plus. Gagné, c’est un bouchon. Il nettoie tout ça, me déconseille le coton-tige à l’avenir. On discute. C’est le moment de régler. Mais il a déjà commencé à me faire sortir. Je demande : « Je règle à l’accueil ? ». Il sourit, me serre la main : « Non, on ne me l’a jamais fait à moi, mais tu ne règles rien ! ». Je le remercie, du fond du cœur, vraiment.

Parce que là, il ne s’en rend peut-être pas compte, mais il vient de pulvériser une barrière dans ma tête. Une légion de GABA vient d’être décimée en un instant. Le glutamate pète la forme, la manifestation prend de l’ampleur. On avait dit qu’on arrêtait les métaphores comme ça … Je repense à cette sorte de mythe, de tradition, inspirée du serment de l’ordre des médecins, où le confrère médecin ne fait pas payer sa consultation à son confrère malade. Je me sens tout à coup comme sur le pallier, porte entrouverte, de la grande maison des médecins. En face de quelqu’un qui vient de m’appeler à y entrer.

Ce médecin m’a rendu l’ouïe, mais pas seulement. Il m’a rappelé mon engagement sur un chemin interminable mais surement fantastique. Il a réveillé l’envie de faire ce voyage. Il a brisé une des barrières, et bien qu’il en reste d’autres, le GABA n’a qu’à bien se tenir … (on a dit STOP bon sang !).

* GABA : neuromédiateur « inhibiteur ».** Glutamate : neuromédiateur « excitateur ».

I had a dream …

Apprenez ça par cœur, et vous aurez peut-être une chance de réussir médecine !

« Apprenez ça par cœur, et vous aurez peut-être une chance de réussir médecine ! »            Professeur de Physique, PACES. 

Pris dans les rouages implacables de la première année de médecine, désormais PACES, il peut vous arriver de vous arrêter un instant pour vous prêter à la rêverie. Vous vous dîtes que si la chance vous sourit, si le destin/Dieu/une force cosmique (rayez la mention inutile) agit en votre faveur, l’an prochain, vous serez en deuxième année de médecine/pharmacie/maïeutique/odontologie/kinésithérapie/autre (précisez laquelle). Vous imaginez alors que les cours sur lesquels vous vous échinez depuis quelques mois, à apprendre par cœur des formules telles que la valeur du champ électromagnétique exercé par une charge q en mouvement autour d’un solénoïde considérée comme infini en appliquant la loi de Biot et Savart, ou le mécanisme réactionnel de chimie organique d’une réaction de crotonisation dans le cadre d’une aldolisation, et je pourrais vous citer d’autres exemples d’une utilité absolument incontestable dans l’exercice des professions sus-citées … bref, vous espérerez avec toute la force du désespoir (force assez impressionnante au fur et à mesure que l’année avance, étrangement) que vos cours de deuxième année soient remarquablement plus intéressant. Vous voyez déjà des enseignants formidables, plein d’amour pour leur métier qu’ils ont dû si difficilement arracher à ce foutu concours, et aux dix milles autres derrière, vous enseigner avec passion les subtilités d’une médecine humaine, enrichie des apports de la science et de l’éthique, s’extirpant du traditionalisme obscur dans lequel elle s’est plongée pendant quelques années avant de devenir ce qu’elle est aujourd’hui. Du moins, ce que vos cours de première année en éthique vous laisse apercevoir du métier. Du moins, pour ceux qui s’orienteraient bien vers la médecine. J’ai succombé aux promesses de ces fantasmes élogieux.

***

Deuxième année. Fin du second semestre. Le cours avait déjà été reporté, déchainant la colère des étudiants qui estimaient que mettre 4h de cours 3 jours avant les examens, c’était peut-être un peu exagéré sachant que nous avions donc 3 journées pour réviser près de 300h de cours qui s’étaient enchaînées non-stop depuis le début du semestre. 4h donc, dont l’intitulé était « physiopathologie des organes reproducteurs féminin ». Plus vague tu meurs, d’autant plus qu’une demi-douzaine d’enseignants étaient inscrits sur le planning pour assurer cette leçon. Deux jours avant la date reportée, l’intitulé se précise. 3 parties : l’examen gynécologique et la sémiologie du sein, la physiopathologie de la grossesse (tiens, la grossesse est une maladie ?), et les troubles de la fertilité. Je dois avouer que la première partie s’avérait intéressante, de vieux rêves de première année refaisant surface, je m’empressai de consulter l’excellent blog du docteur Borée qui avait consacré quelques articles à ce sujet. Mes intentions étaient un peu imprécises, ne sachant trop à quoi m’attendre. J’espérai, sans doute naïvement, que les mentalités changeaient peu à peu, et que de plus en plus, on essayait de faire une médecine plus ouverte aux propositions innovantes comme la position gynécologique « à l’anglaise » (cf : blog de Borée, Le Chœur des Femmes) pour ne citer que cela. Borée lui-même me disait ne pouvoir s’attendre qu’à une bonne surprise.

Le prof, gynécologue, semblait jeune, dynamique et assez fier de pouvoir faire son show devant un amphithéâtre plutôt rempli sans doute du fait de l’imminence des examens (traduction : 25% de la promotion de 100 et quelques élèves que nous sommes). S’il passa complètement outre la réalisation « pratique » de l’examen gynécologique, se contentant simplement de citer la nécessité du toucher vaginal systématique sauf si la patiente était vierge (quand même), il passa l’essentiel de son cours à nous présenter les différents symptômes gynécologiques. Autant les aménorrhées, spanioménorrhées, oligoménorrhées, métrorragies, ménorragies et troubles sexuels furent passées (très) rapidement, autant il s’attarda tout particulièrement sur le chapitre des anomalies physiques, en ponctuant de commentaires qui, à son grand plaisir sans doute, déchainèrent quelques rires chez certains auditeurs.

« Voici donc des condylomes génitaux … c’est moche hein ? Diapo suivante … ah, encore des condylomes ! Attendez, regarder bien la suivante, c’est encore pire … voilà, beurk hein ? Je crois que j’en ai mis une encore pire sur la suivante … voilà ! »

Et voilà. La belle médecine tant rêvée qui s’écroule comme un château de cartes dans un courant d’air. Avec ce médecin, enseignant sensé transmettre connaissances et valeurs de la médecine aux générations suivantes qui exposait sa collection de condylomes comme un gosse fier de ses cartes pokémon légendaires, qui donnait du « c’est sûr que l’hypertrophie des grandes lèvres, c’est un peu disgracieux, surtout quand ça dépasse de la culotte l’été sur la plage » en s’esclaffant tout content de son effet, montrant un cas d’agénésie du méat vaginal et devant la flopée de questions de quelques camarades, lâchait un « ah ça, j’étais sûr que ça allait vous intéresser ! ». En deux mots : du voyeurisme. Infections vaginales, mycoses, et autres eurent le droit à quelques images accompagnées de commentaires à l’humour lourd et douteux. Voilà mesdames, voilà messieurs ce qui vient former les médecins de demain. Voilà mesdames, voilà messieurs parmi les quelques bébés docteurs qui viennent en cours, une partie de ceux que la pathologie intéressent plus que l’intérêt du patient. Voilà mesdames, voilà messieurs, le côté « tableau du chasse » du praticien hospitalier qui collectionne les photos « chocs » pour épater la galerie des prochaines blouses blanches en les encourageant à chasser les pathologies rares et à se foutre royalement du « accompagner le patient, lui expliquer, le respecter, même pour une bête histoire de règles trop abondantes ou de problèmes érectiles ». C’est ici que je citerai le tweet du docteur Borée, en réponse à mes jérémiades : « Pas de surprise, pas de déception ».

Deuxième cours, et voilà qu’une gynécologue continue sur la lancée de son collègue, en imitant la femme enceinte et inquiète à l’aide d’une voix criarde et niaise tout en soutenant un ventre imaginaire, en l’introduisant par « et voilà la bonne femme enceinte qui vient vous voir parce que … ». Après quelques imitations, on aborde la question de la dépression post-partum, et nous avons le droit au commentaire suivant « et là, c’est tout pour le bébé, le bébé, rien que le bébé, et vos bonnes femmes deviennent toutes de grosses dondons ». J’ai hésité à lui demander pourquoi elle faisait se métier, puis j’ai vu le sac Chanel, les bijoux et le rouges à lèvres et j’ai peut-être compris. D’aucuns diront que j’ai le jugement facile, à cela je répondrais que vous avez peut-être raison, mais j’ai tendance à croire que lorsqu’on s’exprime face à un public, on essaye plus ou moins de se construire une image de soi qui nous corresponde un minimum en théorie … Mais je me trompe surement.

***

Il y a bien des cours qui désillusionnent, entre ceux qui nous rassurent. Avec des enseignants qui ont à moitié envie d’être là. D’autres qui sont passionnant et passionnés. Parfois, certains ont le sens du contact humain. D’autres vous affirmeront que le toucher rectal se fait à tous les patients dans le cadre d’un examen complet, à quatre pattes avec les fesses en l’air et la joue contre le sol « et vous vous mettez à droite, comme ça, s’ils pètent, vous n’êtes pas dans l’axe » avant de s’esclaffer bruyamment. Parce que vous voyez, c’est quand même nettement plus pratique pour le médecin dans cette position. Par contre, demander le consentement de l’intéressé, lui expliquer l’acte et l’intérêt de cet examen, s’en abstenir lorsqu’il s’avère un peu obsolète étant donné les différentes techniques que la science met à la disposition de la médecine … ça, on peut toujours courir. Et ça, on ne le dit pas dans les premières années de la formation. Comment voulez-vous former des médecins compétents sur le plan technique mais surtout relationnel si d’une, vous ne sélectionnez que les plus grosses mémoires d’entre eux, et de deux, si vous ne leur enseignez que la technique ?

Il est grand temps que les professeurs de médecine ne soit plus que des praticiens hospitaliers. Il est grand temps que les générations évoluent. Il est grand temps que la médecine se concentre vraiment non pas autour du patient exclusivement, mais autour du soin, dans tout ce qu’il implique, sa technique, son contexte, son sens. Et le soin, c’est au moins deux personnes : un soignant compétent, et un patient en confiance. Du moins, c’est ce à quoi je veux croire.

Un cas clinique atypique : le syndrome du Nouveau de l’autre côté de la barrière

Le 11/04/2013 : Litthérapeute (P2)

Motif d’hospitalisation : Jeune étudiant d’une vingtaine d’année, avec des antécédents de blogorrhée, vient pour trouble de la vocation à devenir soignant dans le cadre de sa DFGSM 2.

Traitement actuel : magnésium, vitamines.

Histoire de la maladie :

Premier épisode de PACES traité par travail intense et vitamines en 20XX.
Rechute l’an suivant, même traitement, doses doublées.
Évolution de la PACES en DFGSM 2, actuellement traitée par travail modéré à intense, stages intensifs, vitamines épisodiquement.

A l’interrogatoire, il est question de la peur généralisée chronique du patient associée à une réflexion potentiellement dévalorisante aiguë. Cette peur se traduit majoritairement par les signes suivants :

–          Crainte d’examiner un malade (exacerbée lorsque le malade se plaint, notamment d’être fatiguée, et d’autant plus lorsqu’un externe/interne/médecin/professeur vient tout juste de l’inspecter/palper/ausculter/percuter).
–          Appréhension en entrant dans une chambre : que dire, que faire, ou aller, comment observer un externe/interne/médecin/professeur examiner un malade sans donner l’impression d’être un voyeur inutile ?
–          Malaise à l’idée de se sentir inutile pour ce qui est d’aider l’équipe médicale.
–          Paranoïa se traduisant par le sentiment que toute l’équipe soignante sait qu’il est inutile, incompétent et parfois l’ignore complètement.
–          Relation unilatéralement fusionnelle avec un externe merveilleux, patient, intelligent et pédagogue qui est perçue par le patient comme source d’agacement majeure pour le dit externe.
–          Lors d’une question posée par le chef de clinique, on remarque :

  • Une amplification de la fréquence respiratoire à deux pas de la polypnée superficielle,
  • Une exacerbation extrême des signes d’activation adrénergique avec sueur, tachycardie sévère, HTA, palpitation, mydriase marquée,
  • Un trouble neurologique se traduisant par une perte mnésique spontanée, radicale mais cessant avec le détournement de l’attention de l’interrogateur,
  • Une raideur musculaire généralisée associée à un trémor paradoxal,
  • Une aphasie complète, absente lorsque la question fait référence à une connaissance certaine de l’étudiant. Dans ce cas, il existe une nette diminution du volume vocal et le patient ne s’exprime plus que par murmures.
  • Une volonté de disparaître en s’enfonçant dans le mur/l’armoire/le sol adjacent.

A l’examen clinique :

TA : 150/10 ; Pouls : 90/min ; Température : 37,5°C ; Glasgow : 15 ; IMC : 21

A l’inspection, l’étudiant semble naïf, inexpérimenté et sévèrement maladroit. Il déambule collé aux pattes d’un externe/interne/médecin/professeur en jetant de multiples regard furtif, suit les conversations, prend des notes de façon frénétique et donne l’impression de toujours avoir une question à poser. Devant le patient, lorsque celui-ci est un peu dément ou douloureux, il montre une hésitation à prendre délicatement sa main pour le rassurer.

A la palpation, l’étudiant réagit s’il ne l’a pas déjà fait par un écartement spontané, s’aplatissant contre le mur et se confondant en excuses pour laisser le passage dans le couloir étroit de l’hôpital.

A l’auscultation, très difficile, on note un murmure vocal presque imperceptible remplit de jargon médical obscur.

Le risque de crise cardiaque non négligeable a rendu toute percussion impossible (de plus, patient peu compliant).

Conduite à tenir :

–          Surveiller
–          Prévoir un rendez-vous avec le psychiâtre (urgent)

Traitement à mettre en place : confiançothérapie hautes doses.

Résumé : Un étudiant de vingt ans avec des antécédent de blogorrhée montre des signes cardinaux du syndrome du Nouveau de l’autre côté de la barrière. On préconise la mise en place urgente d’une confiançothérapie dont les effets sont à surveiller dans les prochains jours.