Quand le toucher fait mal

« Bonjour. Je suis Litthérapeute, étudiant en 4ème année de médecine. Je ne sais pas qui vous êtes, mais je suis ravi qu’on puisse discuter un peu. Ce message concerne le scandale des touchers vaginaux sur les patientes endormies au bloc opératoire, que des étudiants en médecine seraient encouragés à effectuer dans le cadre de leur formation. J’en parle avec émotion, rage également, et autant que possible, avec un peu de réflexion. Les effets secondaires sont, pour vous, de partager mon avis, en totalité ou non. D’être radicalement contre, ému(e), énervé(e), agacé(e), ennuyé(e), désintéressé(e), blessé(e) même pourquoi pas, voir même, révolté(e). Peut-être ne finirez-vous pas votre lecture, peut-être en voudrez-vous davantage. Peut-être n’arriverait-on pas à se comprendre. Vous pourriez avoir envie d’en rediscuter, de commenter, de critiquer, de répondre, ce que je vous encourage à faire. Avant de commencer, vous le savez, vous pouvez quitter cette page si vous le souhaitez. Vous pouvez réfléchir et revenir lire plus tard… ou pas. Vous pouvez même relire ce paragraphe pour être sûrs d’avoir bien compris. Alors, si vous êtes d’accord pour me lire, je commence ma réflexion au prochain paragraphe. On y va ? »

Contexte

Un document de 2010, sur le site de la faculté de médecine de Lyon, met le feu aux poudres. Cette fiche d’objectifs pédagogiques stipule que dans le cadre de leur stage en gynécologie, les étudiants en médecine doivent effectuer un toucher vaginal sur les patientes au bloc opératoire. Le document est désormais introuvable, mais l’affaire a repris de l’ampleur dernièrement, dans un contexte d’une loi de santé discutable qui fait des remous, et de la remontée de nombreux scandales touchant au monde de la santé (l’affaire de la fresque entre autre). Qu’il y ait ou non un usage politique renforçant la mise en lumière médiatique de ces tâches sur les blouses des médecins, ces tâches sont révélées, et le fait qu’elles « tombent mal » ne change rien à leur existence… depuis de nombreuses années. Par ailleurs, on n’a pas attendu le litige politique autour de la loi santé pour savoir que certaines pratiques immondes noircissaient les blouses blanches des professionnels de santé… Dans cette histoire, il est question de pratiquer un toucher vaginal sur des patientes endormies, dont rien ne précise si elles étaient informées et consentantes pour servir à cette forme d’apprentissage. De là, éclate la polémique, et le sacro-saint corps médical, connu pour sa tolérance et son extraordinaire capacité à se remettre en question, nie bien évidemment tout en bloc. Citons les deux personnages publiques rendus célèbres par cette affaire, j’ai nommé le président du collège national des gynécologues obstétriciens, et la doyenne de la faculté de médecine de Lyon. Le premier, dans une interview du nouvel obs répond au tollé provoqué par la découverte de ces documents que le gynécologue amené à opérer une patiente pratique un toucher vaginal juste avant l’opération pour vérifier l’emplacement d’un kyste par exemple, et que, parfois, un étudiant peut être amené à pratiquer ce geste sous surveillance du médecin référent. Il explique que la patiente a auparavant signé « énormément de choses » avant son opération, et qu’il n’est pas explicitement précisé qu’elle subira un nouveau toucher vaginal. Lorsqu’on lui demande s’il ne serait pas normal de lui demander son consentement, le président du collège national des gynécologues obstétriciens répond « C’est aller trop loin dans la pudibonderie ! Après 40 ans d’expérience, je ne pense pas qu’il soit nécessaire de faire signer un papier avant cet examen. Le corps médical est très respectueux des patients. ». Quant à la doyenne de la faculté de Lyon, ses propos rapportés dans le metronews dans lequel elle justifie ces pratiques sont : « On pourrait effectivement demander à chaque personne l’accord pour avoir un toucher vaginal de plus mais j’ai peur qu’à ce moment-là, les patientes refusent. ». A côté d’eux, nombreux médecins et étudiants crient au scandale médiatique en niant l’existence de telles pratiques, ou en se dérobant sous l’argument du « il faut bien apprendre » ; ou encore « c’est dans l’intérêt du patient »… Entre le déni, et des justifications très mauvaises sur le plan éthique auxquelles se mêlent des protestations à l’égard de la manipulation politique dans une tentative de discrimination du corps médical par rapport à la loi santé, on semble oublier les fondements même de la médecine, mis à mal par ces pratiques : le consentement, le droit de refuser des soins, le droit de participer activement à sa propre prise en charge, le respect de la personne, la transparence, le droit d’être informé, l’humilité…

Consentement

Quand on pose une question, on s’attend, la plupart du temps, à une réponse. Quand cette question suppose une décision à prendre, un choix à faire, une confirmation ou une infirmation, ou un engagement en quelque sorte, elle revêt parfois un caractère plus crucial, plus « important ». Elle est souvent fermée, attendant une réponse par « oui », « non » ou « je ne sais pas ». Et souvent, ce genre de question peut être, dans certains contextes, le genre de questions les plus difficiles. D’autant plus lorsque nous n’avons pas suffisamment d’éléments pour y répondre en toute connaissance de cause. Il semble parfois plus simple d’accepter ou de refuser quelque chose lorsqu’on pense avoir compris les tenants et aboutissants. On n’accepte pas forcément un travail sans avoir au moins posé quelques questions sur son contrat : nature du travail, conditions, horaires, rémunération éventuelle…

L’engagement, surtout lorsqu’il est important (en terme émotionnel, temporel ou « sacrificiel » par exemple) nous fait nécessairement nous poser des questions. Certains appellent cela des choix de vie, d’autres, la destinée. Il semble toujours y avoir un moment où il faut trancher. Oui ou non. Ceci ou cela. Elle ou lui. Être ou ne pas être. Exister ou bien mourir. Nos espoirs se projettent dans notre réponse. On essaie de faire confiance, à notre choix, à la vie, à l’autre qui nous demande de choisir.

Pendant longtemps, en médecine, le médecin avait les « pleins pouvoirs » sur le corps, l’esprit et la vie d’une personne. Garant d’un savoir bien gardé (sacré et secret), le médecin décidait de qui pouvait être sauvé, et qui ne le pouvait pas, faute de moyens de le/la guérir. Il mirait les urines pour diagnostiquer le sort de l’individu, faisait quelques saignées, et pratiquaient les interventions ou donnait les traitements qu’il jugeait utiles et pertinents. Que pouvait donc dire l’homme du commun, qui ne comprenait pas un traite mot de cette science complexe qu’était la médecine ? Il s’en remettait au bon docteur, et à la chance. Voilà l’apogée du paternalisme médical. Aujourd’hui, le paternalisme a la vie dure, mais il résiste. Aujourd’hui, on est sorti de l’époque d’obscurantisme par les Lumières, prônant liberté, partage du savoir et raison. On est sorti du nazisme par le Code de Nuremberg et l’affirmation des grands principes éthiques guidant le soin et la recherche médicale. Le rapport Belmont a défini de grands principes unanimement reconnus (principes éthiques fondamentaux, respect de la personne, autonomie, justice, bienveillance, non-malfaisance…). Suivront la déclaration d’Helsinki, les lois de bioéthique, l’evidence-based-medicine (EBM)… Le paternalisme prend du plomb dans l’aile, et la relation soignant-soignée est un équilibre qui profite avant tout au malade. Le médecin devrait s’assoir sur une chaise légèrement plus basse que le lit sur lequel est installé son malade. Il est à son service, à son écoute, à sa disposition pour lui apporter l’information dont il a besoin, le soutien, la connaissance actualisée, afin de prendre son mal en charge et de l’en soulager au mieux. Des lois émergent. Dans la loi Kouchner du 4 mars 2002, le chapitre premier s’intitule « Information des usagers du système de santé [des patients notamment] et expression de leur volonté ». Dans l’article L1111-6 de ce chapitre sont inscrits les mots suivants : « L’examen d’une personne malade dans le cadre d’un enseignement clinique requiert son consentement préalable. Les étudiants qui reçoivent cet enseignement doivent être au préalable informés de la nécessité de respecter les droits des malades énoncés au présent titre. ». Il faut informer, il faut demander au malade son accord, il faut respecter ses droits. La relation de soin est un partenariat, un partage, et ceci implique nécessairement de la confiance. Sinon, quel crédit donner aux informations du médecin ? Pourquoi croire les douleurs de son patient ?

Le consentement doit être libre et éclairé, révocable à tout moment, et toujours recherché. Libre, car si la liberté consiste à pouvoir choisir ce qui dépend de nous (allons donc relire le 1er chapitre du manuel d’Epictète si la philosophie nous tente), alors l’expression de la liberté dans le soin doit passer par cette nécessité de choisir, d’accepter ou de refuser les traitements qu’on nous propose dans le but de nous soulager. Oui, choisir librement implique de pouvoir accepter ou refuser. Eclairé, car, comme dit plus haut, choisir sans savoir est autant que science sans conscience : ce n’est que ruine de l’âme (Rabelais). Et pour être informé, il faut recevoir une information loyale, claire et appropriée. Cela aussi, le code de déontologie médicale dans son article 35 nous l’oblige (code qui a été rédigé pour la première fois par des médecins, montrant que les médecins s’appliquent à eux-mêmes les principes qu’ils reconnaissent comme essentiels à leur pratique !). Loyale, claire et appropriée. Compte tenu de tout cela, il faut prévenir la patiente qu’elle risque de subir un toucher vaginal après l’anesthésie, avant son opération, dans quel but, et qu’un étudiant pourra, si elle est d’accord, le réaliser aussi. Faire signer 36 papiers à des gens qui ne les lisent pas nécessairement car ils font confiance à leurs médecins ne dispense pas les médecins de prendre leur courage à deux mains pour informer, et ainsi entretenir cette confiance. Se cacher derrière des papiers impersonnels est une posture lâche.

Alors oui, bien sûr, le consentement n’est pas systématiquement recherché. Il semble difficile d’imaginer communiquer avec un patient retrouvé inanimé sur la voie publique après un accident, qu’il faut réanimer d’urgence, intuber-ventiler-perfuser, alors qu’on ne le connait ni d’Eve ni d’Adam, et que personne ne s’est fait connaître et reconnaître comme un proche. Oui, dans certains cas très précis et encadrés par la loi, le consentement ne peut tout simplement techniquement pas être recueilli. Mais qu’on n’aille pas jusqu’à dire qu’il est impossible de toujours rechercher le consentement dans la pratique quotidienne ! C’est justement ce qu’il faut faire. Ne nous cachons pas derrière des excuses minables, comme la notion de perte de temps (perdez-vous du temps à informer vos patients ? A entretenir une relation de confiance avec eux ?), d’impossibilité (ça ne semble pas si compliqué de demander un accord, au pire, que se passe-t-il ? Il ou elle refuse ? Et alors ? S’ils sont bien informés, combien refusent ? Combien d’autres accepteront ?), ou de pudibonderie (la liberté de choisir ce qui va nous arriver serait-elle pudibonde ?). Le consentement est la base de toute médecine. Quand le patient nous remet son corps, son esprit et sa vie entre nos mains, la moindre des choses est de le respecter, en travaillant de concert avec lui, pour lui.

Faut-il demander le consentement pour tout ? Et pourquoi pas ? Une simple prise de sang nécessite un consentement que bien des infirmièr(e)s demandent tout naturellement. Par ailleurs, ce qui pèche parfois, c’est que le patient demandera souvent « pourquoi ? ». Et comme le médecin ne l’a même pas informé des prises de sang qu’il allait prescrire, c’est une question bien légitime. Tout autant que la remarque agacée de certains patients prenant souvent la forme de « encore une prise de sang ? Mais vous cherchez-quoi au juste ? C’est la 5ème en 3 jours ! ». Un autre exemple, l’électro-cardio-gramme (ECG). Examen paraissant « tout bête » consistant à disposer une série d’électrodes sur le torse du patient, ses bras et ses jambes afin de mesurer l’activité électrique du cœur et détecter de nombreuses choses. Bien souvent, c’est la corvée de l’externe qui en réalise un à chaque nouveau patient admis dans le service. Beaucoup attrapent la machine, entrent dans la chambre, posent les électrodes, impriment l’ECG et s’en vont. Est-ce que ça prend beaucoup plus de temps de toquer à la porte, demander si on ne dérange pas avant d’ouvrir complètement, laisser la machine dans le couloir, se présenter, expliquer le principe de l’ECG et pourquoi on le réalise de façon loyale, claire et appropriée, de solliciter le consentement du patient (« vous êtes d’accord ? »), d’aller chercher la machine, de le faire, de le rassurer sur les résultats avant de sortir ? Combien de temps sera gagné la prochaine fois que l’on rendra visite à un patient pour l’interroger sur ses antécédents, notamment intimes à la recherche d’une éventuelle exposition à la drogue ou aux maladies sexuellement transmissibles et qu’ainsi, fort de la confiance établie, le patient saura plus volontiers se confier ? Combien de patients correctement informés des explorations à réaliser n’auront pas commencé leur petit déjeuner pourtant servi alors qu’une prise de sang nécessitant d’être à jeun était prévue le matin, parce qu’ils ne sont plus passifs dans leur prise en charge mais partenaires ?

Toucher vaginal – Examen clinique – Apprentissage

Le toucher vaginal. Comme le toucher rectal, c’est un geste pour le moins intrusif et, quand il est réalisé sur une personne consciente, qui peut être très humiliant. Humiliant en ce qu’il touche à l’intime, au corps, à nos rapports avec les autres. Si certaines femmes ne sont pas intimidées plus que cela par cet examen clinique, d’autres vivent un véritable calvaire à chaque visite chez un médecin où il serait nécessaire. Cela souligne que nous avons chacun notre façon de voir les choses, la vie, la maladie, les examens que l’on subit. Cette diversité de conception est à prendre en compte dans la relation de soin. Tout le monde, tous les malades, sont différents et réagissent différemment. Il semble primordial de se poser la question du sens que peut avoir un geste, une maladie, sur l’autre. Je réfute ainsi l’argument, trop souvent entendu de la part de certaines étudiantes en médecine notamment, que puisqu’elles ne sont personnellement pas dérangées par un toucher vaginal, il n’était pas nécessaire de s’offusquer « pour si peu ». Même une prise de sang peut être une réelle épreuve pour certaines personnes, et il est insupportable de les voir jugées si durement par celles et ceux qui sont sensés les soigner. Oui, c’est difficile. Oui, cela suppose de s’arranger pour obtenir les résultats d’examens indispensables. Oui, il faut s’adapter à son malade, et non que le malade ne s’adapte aux examens. Autrement, on ne s’en fait pas un partenaire, on s’en fait un ennemi.

Beaucoup d’étudiants se sont inquiétés, comprenant dans cette polémique qu’on voulait leur interdire l’apprentissage clinique. Est-il question d’interdire l’apprentissage clinique ? La recherche du consentement, n’est-ce pas déjà le prérequis indispensable à toute clinique de bonne qualité ? Apprendre le toucher vaginal est effectivement nécessaire (surtout selon la spécialité que l’on envisage d’exercer), mais doit se faire dans le respect de l’autre et de ses droits. Qu’un chef de clinique se permette de demander aux 15 étudiants de son service de venir profiter du fait de Mme machin-dont-il-ne-connait-zut-même-plus-le-nom soit endormie pour venir palper ce kyste extraordinaire au fond de son vagin, puisque de toute façon, ses muscles sont bien relâchés donc elle ne sentira rien et ne s’en souviendra même pas ; c’est inacceptable. Car en tant que chef, que professeur responsable de la validation des stages des étudiants, non seulement il ne leur montre pas un bel exemple de médecine humaine, mais en plus, il les soumet à son autorité pour bafouer les droits et les principes les plus fondamentaux de la médecine. Alors que peut-être, en parlant avec la patiente en présence d’un seul étudiant, celle-ci n’aurait vu aucune objection à ce que l’étudiant puisse apprendre avec elle. En bons partenaires du soin. Car transmettre, apprendre, n’est-ce pas déjà soigner ? Et les patients n’ont-ils pas aussi énormément de choses à nous apprendre ?

Des cliniciens ont le souci de l’autre. Ne les oublions pas à dénoncer les autres. Certains médecins ont même beaucoup travaillé pour que l’apprentissage de l’exercice clinique soit optimisé. Simulation, jeux de rôle, mannequins haute fidélité… des centaines d’outils démultiplient les possibilités d’apprentissage, les « premiers gestes », afin de pouvoir les pratiquer correctement dans la « vraie vie ». J’ai personnellement appris la ponction lombaire sur un mannequin, avant de la réaliser pour la première fois aux urgences sur une patiente à qui j’ai demandé si elle acceptait que ça soit moi qui le fasse, patiente à qui je me suis présenté comme étudiant en 4ème année de médecine. Et fort de cette expérience de simulation, j’ai pu effectuer ce geste en l’expliquant au préalable, pendant, et ensuite, chez une patiente consentante.

Une pétition circule. Elle demande notamment une intégration de disciplines diverses telles que l’éthique, le droit, la philosophie et les sciences humaines dans le cursus médical. Pourquoi pas. Je suis très loin d’être contre, ayant choisit de suivre un master d’éthique en parallèle de mes études. Je crains cependant que cela ne soit perçu que comme des matières rébarbatives auxquelles les étudiants ne seront pas correctement sensibilisés. L’importance est de les transmettre par l’exercice pour qu’elles se dévoilent et se cultivent dans et par l’exercice. La nouvelle UE 1 : apprentissage de l’exercice clinique et coopération interprofessionnelle, obligatoire, met déjà au programme de l’ECN une vingtaine d’items consacrés à l’éthique, l’EBM, la communication… Mal perçue par bon nombre d’étudiants, elle parait décentrée de l’exercice car entre ce que nous y apprenons (qui fait presque rêver) et la réalité de l’exercice (pratiqué par des médecins qui ne sont pas nécessairement sensibilisés à tout ce qu’on y apprend), il y a un fossé. Et malheureusement, certains étudiants font le raccourcit rapide que cette matière est donc inutile…

Conclusion & remise en question

La relation de soin pose l’enjeu essentiel de la confiance. L’histoire a fait émerger des droits pour les patients, des devoirs pour les médecins/soignants. Parmi ces principes que les soignants ont choisis eux-mêmes de s’appliquer, la question du consentement du patient apparait comme essentiel au maintien et à l’entretient de cette confiance dans la relation soignant-soigné. Toutefois, l’acquisition du savoir médical se complexifie, autant que la médecine devient plus complexe, plus technique, et semble parfois oublier les principes sur laquelle elle repose. Le soignant risque de se défaire de son humanité, à l’origine de son métier, dans le souci de devenir meilleur technicien. Cela passe notamment par l’acquisition de la clinique chez le jeune médecin, qui implique d’apprendre à repérer des millions de signes par des actes d’examen physique plus délicats. La pression de la compétence est parfois si grande que le sens de la compétence clinique en sa dimension humaine passe, pour certains, au second plan. Pourtant… Apprendre la clinique, n’est-ce pas aussi, et même essentiellement, partir à la découverte de l’autre, du sens qu’il donne à la médecine, de sa façon d’être et de concevoir les choses ? N’est-ce pas avant tout apprendre à respecter l’autre ? N’est-ce pas pratiquer dans le plus strict respect des principes éthiques essentiels que l’histoire, entre autre, nous a permis d’ériger ? Être médecin, ou soignant, n’est-ce pas sans cesse s’interroger sur ses pratiques, apprendre de son histoire, et se remettre en question ? Car en voyant les réactions de certains professionnels de santé, j’ai seulement envie de m’enterrer tellement j’ai honte de faire partie de leur corps de métier. Le déni, la fuite, la tangente, l’esquive. Plutôt que d’accepter que de telles pratiques aient pu exister, plutôt que de faire en sorte d’y remédier, plutôt que de reconnaître les vices qui ont été commis, de s’en excuser sincèrement, et de réfléchir à ce qu’ils ne se reproduisent plus, on se cache derrière sa fierté et des mots compliqués. Et on sert du « pudibonderie » à qui voudra l’entendre, on bafoue des principes essentiels comme celui du consentement, ou, pire encore, on rend le ministère de la santé responsable de manipulation politique. Est-ce que cela excuse ces comportements ? Est-ce que cela fait avancer les choses ? Est-ce là une attitude digne venant d’un soignant et d’un corps de soignants ? A quoi bon les revues de morbi-mortalités, les questionnements éthiques, la redéfinition de la médecine (du paternalisme à l’EBM) si c’est pour rester enfermé dans un traditionalisme ancien et irrespectueux ?

Les gens ne veulent pas de responsable. Je ne veux pas de responsable dans cette histoire. Je souhaiterai seulement qu’on essaye d’apprendre. De nos erreurs. De nos pratiques. De nos doutes. Des autres. Car j’ai peur, incommensurablement peur, de faire de la médecine, si la médecine qui se dit tant préoccupée par sa dimension humaine, ne confirme pas, dans sa pratique, la beauté de ses dires.

11 réflexions au sujet de « Quand le toucher fait mal »

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  5. Ce billet je l’ai déjà lu mais je le relis car c’est très agréable de se le remettre en tête avec tous les commentaires affreux que je peux lire sur facebook suite aux dessins polémiques par exemple.

    Plus généralement ce que j’aime dans ce blog, c’est la qualité de réflexion de tes articles. Ils ont étés fait après une réelle réflexion, sont argumentés et provoquent à leur tour le questionnement du lecteur. Et c’est le cas pour la très grande majorité du blog. Que ce soit une anecdote, un récit sur un patient ou un billet de style « dissertation » comme ici, je me met en question et je réfléchis au sujet du billet. Il y a une vraie valeur morale ajoutée.

    C’est pour ça que je pense que ton blog on peut le lire puis le relire encore et encore pour se le remettre en mémoire ce que je ferai à nouveau (quand je trouverai le temps).

    Au niveau du style j’adore, c’est sobre mais élégant, juste mais efficace. Sur le fond de ce billet j’y retrouve les réponses à tous les arguments que j’ai pu lire ou qui viennent conforter ce que je pense.

    – Il faut bien qu’on apprenne. Finalement ce sont les patients qui perdront. Et si on passait à côté d’un cancer à cause du manque de formation ?
    –> Sauf qu’il est aussi possible d’apprendre avec l’accord du patient. Et je suis d’accord qu’il faudrait expliquer chaque geste même banal comme un ECG. Pour quelqu’un qui se voit poser des électrodes partout sur le corps ça peut être source d’angoisse s’il n’a pas comprit pourquoi. De même que j’ai déjà vu des patients en stage infirmier terrorisés par la piqure our la perfusion et qui se contractaient horriblement. Rendant la pose plus compliquée et longue du coup

    – Dans CHU il y universitaire donc on donne sons consentement tacite pour que les étudiants viennent s’entraîner sinon il suffit d’aller en clinique
    –> Sauf que tout le monde n’a pas les moyens et qu’on dispose de son propre corps comme on le souhaite. Bien sûr je trouverai normal qu’un patient en CHU accepte de « jouer le jeu » et de participer à la formation des médecins de demain. Mais je trouve encore plus normal que ce soit lui qui décide et pas quelqu’un à sa place. Il n’y a pas d’obligation à quoi que ce soit et chacun dispose de son corps.

    – Ce n’est pas un viol mais un acte médical. On ne prends aucun plaisir à le faire.
    –> Introduire quoi que ce soit sans consentement ou par surprise est un viol. L’acte n’est médical que s’il est utile (on ne vas pas s’entraîner s’il n’y a pas un motif en rapport. Pas de TV pour quelqu’un qui vient pour une chirurgie ORL par exemple. Le TV n’est pas « gratuit ») et surtout s’il est consenti par le patient. La question n’est pas le point du vue du médecin (niveau plaisir) mais ce que va ressentir le patient

    -C’est pas grave, sous AG elle aura tout oublié (ou plutôt ne se sera jamais rendu compte de rien).
    –> Ce n’est pas éthique, il suffit d’ouvrir son code de déontologie, revoir ses cours d’éthique médicale (de PACES) pour s’apercevoir que ce n’est pas de la Médecine. C’est le principe en lui même qui importe.

    Pour en revenir au tout dernier billet ou tu appelais à une médecine humaine dans sa technicité j’avais envie de partager une petite anecdote. En paces on a eu des cours de psychologie médicale nous expliquant que la médecine ne devait pas laisser la technique supplanter l’humanité. Que le psyché et le soma étaient intriqués et que les 2 devaient êtres pris en compte. Et ces cours là c’étaient les pires car ils étaient évalués au concours sous forme de QROC. Autrement dit il fallait apprendre par cœur comme un robot toutes les diapos (parlant de ne pas se robotiser) dans l’espoir de pouvoir ressortir les 2-3 diapos qu’on nous demanderait le jour J.
    Plutôt aberrant non ?

  6. Ping : Consentement dans la relation soignant/soigné | La Licorne et ses bouquins

  7. Bonjour,

    Merci pour ce bel article et toute la réflexion à laquelle il mène. Les mots se posent de manière tellement juste que c’est presque comme si tu parvenais à nous transmettre directement ta pensée.
    Je voulais simplement poser une question pratique sur ton master d’éthique. Comment as-tu réussi à combiner un cursus de philosophie avec tes cours de la fac ? Le suis tu à distance ?

    • Bonjour,
      Merci pour ce commentaire très gentil ! Peut-être que j’arrive à me faire comprendre alors ? 😉
      Sinon, je poursuis un master d’éthique, plus que de philosophie pure. C’est un master qui s’adresse déjà à des professionnels, par conséquent, il est organisé de sorte à ce que les cours soient dispensés en très peu de temps chaque mois. Mais oui, c’est une organisation un peu particulière, il faut négocier avec les chefs de services pour manquer quelques matinées de stage en essayant de leur faire comprendre que non, l’éthique ce n’est ni des vacances, ni futile… Pas toujours facile ! Mais ça vaut le coup, promis 😉

      • Merci pour ta réponse si rapide 🙂
        J’imagine que ce master est proposé par l’université de ta ville ? Comment en as-tu pris connaissance ? ça représente combien d’années à peu près ?
        C’est sûr que ça doit être un véritable parcours de combattant de le combiner avec études déjà denses de médecine, mais ça doit aussi être un soutien dans les moments difficiles. Et puis, c’est en réfléchissant sur le sens de nos actes qu’on leur donne de la valeur…je crois.
        Bon courage en tout cas pour cette lutte éthique !

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