Le grand saut : plonger dans la médecine

Cela fait longtemps que je n’ai pas écrit. Ce n’est peut-être pas si étrange que l’envie survienne en ce moment. Car aujourd’hui, c’est bientôt le premier jour du reste de ma vie, quelque part. Car aujourd’hui, c’est le dernier lundi de la dernière semaine travaillée en tant qu’interne. C’est la dernière ligne droite où l’imposture se cache derrière des croyances moins dysfonctionnelles à type de « c’est normal de ne pas tout savoir, je suis interne, j’ai encore beaucoup à apprendre ! » ou « si ça ne marche pas, c’est parce que je ne suis pas assez encadré/séniorisé » ou encore « au pire, si je ne sais pas, je demanderai à mon chef… ». Comme si apprendre à soigner se limitait à une grosse dizaine d’années d’études. Comme si, dans quelques jours, je m’endormirais interne et me réveillerait « sénior », touché par la grâce, ayant la science infuse et boursouflé d’un sentiment de légitimité soudain.

C’est plutôt un peu comme faire le grand saut, en haut du haut plongeoir. Grimper l’échelle est fastidieux et difficile, même si l’espoir et le rêve de sauter rend la montée excitante. On se laisser aller à imaginer le plongeon, agile et gracieux, les deux pieds bien joints soulevés par la force élastique de la planche, le corps magnifiquement aligné décrivant la courbe de l’arc de cercle parfait, les deux bras tendus symétriquement comme un bec de faucon pèlerin en pleine chasse, une sorte de ralenti cinématographique pour amorcer une descente rectiligne précise vers la surface immaculée de l’eau chlorée et scintillante, une entrée pleinement aérodynamique, un déferlement harmonieux de bulles et de gouttes jusqu’à parachever la performance avec la dernière perle d’eau retombant pile au point d’impact du plongeon… On se dit même que ça pourrait être facile, si on a bien travaillé, bien pris le temps de grimper chaque barreau de l’échelle, en sentant les tensions dans les muscles mis à l’épreuve, en comprenant chaque mouvement, chaque force en présence, chaque détail lequel, selon nos maîtres, si on l’oubliait, pourrait rendre le plongeon fatal. Ou ferait de nous un mauvais plongeur, indigne de prétendre plonger. La critique du plongeon des autres est d’ailleurs presque un sport national, et il est vrai que nous en voyons de toute sorte : des plats ventraux dramatiques (et parfois douloureux), des sauts partisans du moindre effort avec les deux pieds en avant et tant pis, des bombes qui vident la piscine sans scrupules pour les dommages collatéraux (et particuliers qui éclaboussent les autres plongeurs pour les couvrir de honte et les spectateurs qui ne demandaient qu’à ce qu’on prennent un peu soin d’eux).

Et puis, un jour que l’on attendait plus, on arrive en haut. Neuf, dix, onze, peut-être même douze mètres. En bas, des jeunes aspirants plongeurs nous regardent, avec ce même air admiratif que nous avions à leur place autrefois. Oui, autrefois, car il s’en est passé, quelques années, à grimper. A oublier, parfois, peut-être, cette place d’en bas, cette admiration, ou ce rêve de perfection. A s’oublier un peu soi-même, pour être garant d’une excellence, répondre aux attentes des maîtres, et surtout à celles des spectateurs dont il faut prendre soin : ne pas seulement leur offrir un spectacle, mais surtout leur rendre service, les guérir parfois de l’angoisse, les écouter toujours (même en étant aussi haut sur ce plongeoir), les accompagner dans le saut (et même avant, pendant, et après), les soulager souvent de l’attente dans laquelle ils sont eux-mêmes plongés. Et en même temps, ne pas se perdre dans l’océan de leurs attentes, savoir construire ensemble un chemin dans la tempête, une trajectoire pour le plongeon, en accord avec les valeurs savamment élaborées lors de l’ascension de l’échelle sous les yeux mystérieux de la société toute entière.

Alors comment ne pas s’agripper un instant, en sentant le vertige qui soudainement nous saisit, en haut du plongeoir, quand vient notre tour de sauter ? Comment ne pas sentir comme un rapport lointain avec l’idée d’une mort inéluctable, ce moment de la vie qui ne se vit qu’une fois, quand il s’agit un jour de passer de l’étudiant au docteur diplômé ? Comment ne pas figer jusqu’à notre souffle en apercevant à peine le bout de la planche, suspendue au-dessus du vide, de l’eau, des murmures des spectateurs, et de nos pensées automatiques et soudaines : « pourquoi ? Qu’est-ce que je fais là ? En suis-je vraiment capable ? Serai-je vraiment responsable ? Et si je rate ? Et si j’échoue ? Et si je tue ? L’ai-je même déjà fait en grimpant l’échelle ? Tout le monde saura alors ? Me laissera-t-on quand même sauter ? Puis-je même prétendre sauter ? Qu’est-ce que cela fera de moi ? Qu’est-ce que cela fera d’eux ? Et tous ces doutes sont-ils normaux ? »…

N’ayez pas peur d’avoir peur. Il y aura des sauts anxieux et des sauts heureux. Il y aura des sauts maitrisés et d’autres à perfectionner. Il y aura des sauts loupés, car un vent furieux, imprévisible et soudain détournera la trajectoire. Il y aura des sauts risqués qui se passeront pourtant bien. Il y aura toujours des sauts critiques, des sauts vertigineux, des sauts faciles et des premiers sauts. Et il y aura enfin, à chaque saut, une promesse d’empathie, d’implication et d’engagement, jamais plus léger que soi et son spectateur, toujours dans le respect de la vie, et résolument emprunte d’un peu de doutes, d’un peu de peur, d’un peu de folie, d’un peu d’amour, d’un peu de joie, d’un peu d’éthique et de beaucoup d’humanité.

Ceci n’est pas un point final. Ni même une virgule, mais peut-être juste une goutte dans la piscine…

Chute de la nuit

La nuit ne tombe pas sous les néons vitreux,
Des couloirs aux murs blancs où se relaient les blouses,
Donnant soins et repas à quelques malheureux,
Dont le trouble accablant les poursuit, les épouse.

La nuit ne tombe pas sur les âmes brisées,
Qui ruminent leurs peurs, leurs regrets du passé,
Et dont les avenirs semblent flous et noircis,
En mangeant leur plateau haché, mixé, mal cuit.

La nuit ne tombe pas sur les ordinateurs,
Ces boites de Pétri en milieu grand ouvert,
Qui rament à trépas au rythme des erreurs,
Qui allument au moins nos plus noires colères.

La nuit ne tombe pas sur les saints protocoles,
Dont l’Administration raffole sans secret,
Traçables, validés et conformes aux décrets,
Nul ne sort des cases et des cotations folles !

La nuit ne tombe pas sur les vies qui s’éteignent,
Seules au fond d’un lit ou en pleine bataille,
Une main soutenue ou le cœur qui défaille,
La mort surprend parfois où la confiance règne…

La nuit tombe soudain quand un soignant s’effondre,
Quand sonnent les alarmes que les décideurs mutent,
Quand la cadence tue, carbonise et fait fondre,
Les valeurs du soin que les politiques buttent.

Rivage au clair de lune, Caspar David Friedrich, 1835

Accueillir

Nous entrons dans sa chambre où les sanglots à peine retenus ponctuent sa conversation téléphonique. Nous apercevant, elle essaye tant bien que mal de mettre fin à sa discussion, alors même que nos gestes indiquant que nous pouvons attendre et repasser dans quelques minutes semblent, au contraire, l’encourager à raccrocher plus vite encore. C’est donc dans cette confusion initiale que nous attendons, à moitié debout, que notre échange puisse commencer.

« Je, je… je te laisse… je suis avec les médecins… je te dis juste… je me fais soigner… »

Le téléphone reposé, elle laisse échapper un soupir douloureux, et un torrent de larmes déferlent de ses yeux rougis. Comme pris sur le fait, je suis partagé entre cette pulsion de réconfort qui, probablement, anime tout soignant, et celle d’une certaine dignité dans le fait de lui laisser l’espace s’exprimer ses émotions. Ne pas chercher à étouffer la tristesse, ou toute décharge émotionnelle, alors même qu’elle ne fait que naître. J’opte alors pour m’assoir en face d’elle, et calmement lui dire : « c’est ok de pleurer… avez-vous besoin d’un moment seule, ou de silence ? ».

Elle hoche la tête de droite à gauche, et l’infirmier qui m’accompagne lui apporte un mouchoir dont elle se saisit en le remerciant. Quelques secondes passent, entre deux sanglots, tandis qu’elle se mouche, se prend la tête entre les mains, souffle, tente de s’excuser, et que ma seule réaction est de valider ce qu’elle ressent, que c’est compréhensible, et qu’elle prenne tout le temps qui lui sera nécessaire.

Puis l’échange s’engage. Cette jeune mère d’une trentaine d’année vient d’arriver dans le service après une journée passée aux urgences. Epuisée, elle a donné une gifle à son petit garçon de deux ans. Et, par ce geste désespéré, elle s’est soudain rendu compte qu’elle « était à bout ». Se sentant ainsi « au pied du mur », une culpabilité extrême s’est emparée d’elle, elle qui déjà s’auto-infligeait toutes les critiques du monde : « je suis nulle, j’ai raté ma vie, je ne supporte plus le monde… ». Quittée par le père de son fils il y a quelques mois et désormais aux abonnés absents, licenciée il y a quelques semaines, isolée de sa famille qui vit en Outre-mer, elle répète à plusieurs reprises : « je suis seule, isolée, trahie, volée, détruite… ».

Alors, dans un immense courage, elle a appelé les pompiers tandis que des idées suicidaires massives s’infiltrent dans son esprit, se diffusant de manière sournoise et altruiste vers son enfant : « je ne veux certainement pas le tuer, mais parfois, je regrette, je voudrais revenir en arrière, ne pas l’avoir eu avec cet homme… Et parfois, j’ai honte, mais quand je veux partir, je voudrais presque que mon fils parte avec moi… ». Arrivée aux urgences, examinée par le psychiatre, on lui propose une hospitalisation légitime qu’elle accepte : « c’est pour ça que je suis là, je dois me soigner, pour aller mieux, pour mon fils… ». Mais, elle qui ne s’est jamais séparée de son enfant, doit alors le laisser en pédiatrie pour être admise en psychiatrie. Elle se retrouve alors devant moi, le regard perdu, à se dire « je suis déchirée, mon cœur est déchiré, je l’ai laissé, je l’ai abandonné… ».

Accueillir la douleur. Ecouter la douleur. Constater la douleur. Sentir cette vague empathique déferler dans notre âme. Se dire qu’il faut garder le cap dans la tempête, car en face, le déluge intérieur est tel qu’une femme « au pied du mur » s’est senti le devoir de laisser ce qui lui était le plus cher pour venir trouver des soins nécessaires. Rassurer autant que possible, souligner cet immense courage, cet acte d’amour suprême, cette lucidité dans la détresse que de reconnaître ses limites et venir chercher de l’aide. Notre société encense ces êtres qui surmonteraient seuls les difficultés de la vie. Elle ne reconnait clairement pas l’extrême force de celles et ceux qui surmontent le mythe du surhumain, et le déni de la souffrance, pour demander à ce qu’on les accompagne.

*

Quelques heures plus tard, en pleine nuit, elle exige de parler au médecin de garde. Elle veut sortir. C’est une toute autre femme, solide, assurée, catégorique, qui se tient devant moi : « vous m’avez vu dans un moment d’abattement qui arrive à tout le monde, j’étais au pied du mur, je n’avais plus d’issue… or j’ai pu discuter longuement avec une amie qui me connait depuis des années, qui m’appelle tous les jours, et j’ai réalisé que j’étais capable de me relever, qu’il fallait que j’aille chercher mon fils demain matin et que j’étais beaucoup plus forte que ça ». Tenter de temporiser. De mettre en rapport avec la détresse vu il y a quelques heures. Tout en comprenant la démarche et le mouvement, en mettant en rapport l’épisode actuel avec quelques anciens passages dans d’autres structures psychiatriques par le passé dans la même tonalité impulsive, la même temporalité extrêmement courte et la même volonté de partir spontanément…

Soins libres, et après tout, pourquoi la retenir ? L’examen actuel ne retrouve aucune idée suicidaire, les questions usuelles de l’évaluation du risque suicidaire aboutissent à un résultat nul, l’humeur parait stable voir même presque positive, le discours est cohérent et fluide, il n’existe plus aucune volonté auto ou hétéro agressive, il ne semble pas y avoir de danger pour elle-même ou pour les autres. Malgré, bien entendu, les phrases qu’elle a pu prononcer un peu plus tôt. Alors, la retenir ? La mettre sous contrainte ? Briser un lien déjà fragile et souvent malmené ? Au nom de quoi ? Pour prévenir quel risque ? Pour éviter quelle responsabilité ? Dans quel mouvement de réassurance du psychiatre qui voudrait tout contrôler, tout soigner, ou tout comprendre ?

Le même type de questionnement s’adresse également à l’égard de l’enfant. Informer la pédiatrie pour réaliser une information préoccupante ? Pour le protéger ? Pour se protéger ? Pour tenter de contrôler des risques existants mais hypothétiques sur la base d’une évaluation et d’un retour de quelques heures à peine ? Dans quelle volonté fantasmatique d’omnipotence ?

J’ai l’amie au téléphone, qui semble avoir la tête sur les épaules, travaille dans le médico-social, la connait bien, est en vacances pour l’accueillir et rester avec elle. Je l’informe, en face de la patiente et avec son accord, de mes inquiétudes concernant les échanges qu’on a pu avoir plus tôt. Des risques qu’il pourrait y avoir à sortir trop vite, sans avoir eu le temps de mettre en place un suivi, une prise en charge et un traitement qui pourrait l’aider. De mes craintes que le service de pédiatrie ne soit pas forcément en mesure de répondre à la demande de la mère dès le lendemain matin. Elle les valide et se montre disponible pour son amie qu’elle est prête à venir chercher immédiatement. Elle est d’accord pour co-signer l’attestation de sortie contre avis médical que j’envisage. Elle confirme qu’elle l’accompagnera au RDV d’urgence que je fixerais bien dans quelques jours, afin d’avoir la possibilité de lui proposer un vrai suivi au CMP dont la jeune mère est demandeuse.

Accueillir, et laisser partir ? Est-ce soignant ? Accueillir, et retenir ? Est-ce soignant ? Accueillir et prévenir ? Comment soigner sans vouloir forcément tout contrôler ? Pouvoir et responsabilité du médecin. Autonomie et contrainte du soigné. Forces et limites du soin. La balance en équilibre instable de l’éthique…

Professoralisme : échec et mat !

Monsieur le Professeur Raoult,

Le 26 Février 2020, vous avez annoncé, de façon on ne peut plus tonitruante, la mise en place d’un échiquier géant en France, regardée par le monde entier, que vous avez intitulé « Coronavirus : fin de partie » (et renommé plus modestement par la suite). Si nous sommes loin de la quatrième épreuve qui défendait la pierre philosophale dans le premier volet de la saga Harry Potter, l’issue de cette partie aura pourtant de lourdes conséquences qui dépasseront le contexte de la pandémie à SARS-Cov-2. C’est la raison pour laquelle je fais mine de vous écrire, car il est bien entendu que vous ne lirez jamais ces quelques lignes.

Je ne suis à peine qu’un pion sur cet échiquier. Au même titre que la majorité silencieuse, mais non moins valeureuse de tous les collègues soignants, diplômés ou en formation, qui ont porté la blouse, la surblouse, la charlotte et le masque (lorsqu’il y en avait) pour se dresser contre le virus, et prendre soin des victimes. Parmi ceux-là, je ne suis qu’un interne en médecine générale, autant dire, selon vos standards, à peine digne certainement de prétendre apprendre une spécialité médicale, et encore moins, probablement, à pouvoir porter un regard critique sur la « science » dont vous nous abreuvez. Je n’ai ni votre score de publications, ni votre réputation, ni de chansons d’internes dépeignant ma grandeur et ma personnalité, ni de fan-club national pour courir à ma rescousse lorsqu’une voix dissidente ose pointer les lacunes de vos articles et les incohérences de vos déclarations médiatiques. Je ne fais pas les grands titres, ni la couverture de magazines (au mépris des règles de distanciation sociale en plein pic épidémique), ni ne me gargarise de connaissances plus ou moins fondées sur le SARS-Cov-2 qui ne seraient pas déjà dans la littérature scientifique, de qualité. Pourtant, une partie d’échec commence bien par le déplacement d’une pièce, et c’est probablement l’avancée d’un pion, cette majorité silencieuse encore une fois, qui a enjambé une case, qui s’est mise en danger pour protéger les autres.

Nos instances gouvernementales et institutionnelles, tels des cavaliers fous, sautent sur le plateau en de grands « L » comme « discours Lénifiants », « Louvoyer sur les mesures de protection, les moyens et le matériel indispensable », « Lever une armée de héros (pourtant qualifiés d’ingrats corporatistes par certains, mal payés depuis des années, inaudibles quand ils se rassemblent dans la rue pour déplorer l’équilibre précaire d’un système de santé à bout de souffle) », « Légitimer, malhabilement, les carences dans la préparation et la gestion de cette pandémie », ou encore « Langue de bois ». Mais ce dernier élément nous est habituel, hélas, en témoignent les silences assourdissants quand d’honorables infirmières ont riposté par des accroches très pertinentes. Un cavalier, aux échecs, est une pièce subtile, bien que « mineur ». Peu d’entre eux (pour ne pas dire aucun), politiciens, institutionnels, portaient des gants pour venir prêter main forte aux soignants. C’est sans doute pour cela que le cavalier est la pièce, en dehors des pions, dont le taux de survie au cours de la partie est le plus faible.

Que dire de nos tours ? Nos académies de médecine, nos sociétés savantes, nos experts et critiques ? Pourtant pièce « lourde » dans une partie d’échec, au taux de survie élevé, elles n’ont su se faire entendre dans les attaques fulgurantes et désorganisées de votre communication. Les garants de la science, de la déontologie, de l’éthique et du professionnalisme ne semblent pas avoir pu, au moins rappeler plutôt que de faire respecter, les règles élémentaires à l’exercice d’une médecine de qualité, une praxis mais qui ne peut se défaire d’un fondement scientifique analysé avec critique et des valeurs humanistes. Le médecin, comme le chercheur, est au service de la société, et ce n’est donc pas la société qui viendrait lui dresser un culte de la personnalité.

L’Edition scientifique, et la folie de la publication, n’est pas en reste de cette partie historique. Les raccourcis en diagonale pris par certaines revues, les reviewings aromatisés au compérage, l’épineuse problématique des conflits d’intérêts à peine indiqués, quand ils sont indiqués, en quelques caractères ridicule absolument non mis en évidence, et le vaste empire capitaliste de confiscation de la science que maîtrise bien des sociétés comme Elsevier. Les fous aussi meurent souvent dans une partie d’échec. Mais ceux-là ont emporté avec eux un nombre considérable de pions comme : l’information, l’éthique, la communication, l’analyse critique, les règles de bonne production et de bon usage de la production scientifique de qualité. Le scientifique fou est-il encouragé ?

Alors, qui prendra la place de la reine ? Le virus lui-même ? Avançant dans tous les sens, détruisant tout sur son passage, y compris la rationalité ? Les médias ? Véhiculant davantage de panique et d’émotions que d’informations et de critiques constructives ? Ces derniers que vous, grand professeur, affectionnez particulièrement lorsqu’ils vous encensent, et toisez d’une supériorité hautaine parfaitement remarquable lorsqu’ils vous mettent face à vos contractions. Et alors, en tout bon scientifique (fou) que vous êtes, vous répondez à la demande de preuve par l’exigence d’un sondage d’opinion. C’est peut-être ce qui arrive quand, pour un peu plus de lumière, on sacrifie la rigueur et l’humilité de la déontologie médico-scientifique à quelques interviews dans les magazines people.

Vous qui semblez être le roi, dirigeant vos troupes « pro-Raoult » dans la bataille médiatique, sinon politique, et vous offusquez de toute remise en cause de vos dires et travaux, quelle est votre stratégie ? S’agit-il vraiment de gagner en économisant le plus de pièces, en affrontant la pandémie avec honneur face à un adversaire redoutable qui pourrait même défier les plus grandes intelligences artificielles au jeu d’échec ? Ou s’agit-il de vous offrir la plus belle chute, de vous abreuver jusqu’à la lie de cette attention médiatique si flatteuse, de vendre vos livres pour le plaisir du chiffre, au point de renoncer à tout ce qui faisait de vous un médecin et un chercheur digne de ces noms ? Vous qui avez construit tout ce que vous êtes, qui êtes arrivé où vous êtes arrivé, est-ce là l’héritage historique que vous souhaitez laisser à la médecine française, aux jeunes médecins qui, pour la plupart, n’apprennent que par mimétisme (il y aurait d’ailleurs des choses à en dire…), à la communauté scientifique qui se rit déjà des protocoles « à la française » en prenant comme références vos « papiers » aux assertions surprenantes sur une efficacité imaginaire de l’hydroxychloroquine, qu’importe le diluant avec lequel vous la proposez ? Indéniablement, vu le nombre de roques, au-delà donc de ce qui est permis lors d’une partie d’échec, sur vos positions concernant la qualité de la recherche, la posture de médecin, l’éthique et le professionnalisme tout simplement, au gré du vent et des projecteurs, et, surtout, devant votre (non) participation effective en matière de soin directs (sans compter de l’aggravation des situations que votre protocole a probablement contribué à créer), vous êtes le roi de cette partie. Et vous la perdez.

Le dernier article du Lancet vous place en échec au roi. Vos tentatives risibles d’y échapper achève ce qu’il restait de votre crédibilité, sauf bien sûr auprès des fanatiques qui vous défendront au-delà de la raison dont vous les avez privés. Le cavalier gouvernemental et institutionnel se réveille et vous met à nouveau en échec. L’hydroxychloroquine n’est plus autorisée. La tour ordinale reste immobile pour le moment, alors qu’en un coup, elle sonnerait le glas de cette partie. Même parmi les pions, certains se dressent contre vous et vos fanatiques, et non en terme d’attaques personnelles (terrain sur lequel vous vous défendez, faute de pouvoir répondre à leurs remarques de nature critique sur le plan scientifique, médical et déontologique).

Désormais, les regards se tournent vers demain. Si nous tirons les leçons de cette expérience, loin encore d’être terminée, le virus se plaisant de nos vaines querelles pour mieux se répandre, alors peut-être sortirons-nous grandis. Alors peut-être la raison n’aura pas définitivement perdu. Alors, peut-être, la seule partie qui sera terminée sera celle de l’amateurisme et de l’égocentrisme illuminé. Alors, peut-être, nous repenserons à notre système de santé, sa gestion, sa gouvernance, sa démocratie, sa vicariance, et la place cruciale (et encore inégalement reconnue) de chacun, de l’aide soignante au médecin. Alors, peut-être, nous redorerons la place de l’éthique, des sciences humaines, de la déontologie (pourtant « garantie » par nos instances ordinales), des humanités et, tout simplement, du professionnalisme, que cela soit en science, comme en médecine.

Alors nous pourrons dire : « Pr. Raoult : échec et mat ».

Intuition

Dans la boite à conseils de madame et monsieur Tout-le-monde, il y a toujours quelques mantras à distribuer sans modération. Et notamment, rangés à côté du « il faut lâcher prise ! » et du « charité bien ordonnée commence par soi-même », le légendaire : « la première intuition est toujours la bonne ». Avec son corollaire « il faut écouter son cœur ». Avec tout ça, on n’est pas sortis de l’auberge ; et si on est dans de beaux draps, tant pis, mélangeons les torchons et les serviettes pour laver son linge sale, en public cette fois.

Un peu comme ces patients de géronto-psychiatrie qui, souvent contraints par leur souffrance ou leurs proches à être hospitalisés un temps, se retrouvent parfois à démêler de vieilles histoires de familles, sortant les squelettes de leurs placards, et cherchant un semblant de sens dans plus de quatre-vingts ans de vie. Avec, en prime, ce paradoxe délicieux, où face à un gamin de vingt et quelques années en guide d’écoutant (voire de « guide » ?!), ils s’épuisent parfois à demander qu’on les laisse mourir, soulignant que leur vie est faite, tandis que le p’tit jeune essaye tant bien que mal de leur montrer qu’il leur reste peut-être encore quelques belles années à vivre. Ce faisant, nous sommes telle une paire de funambules sur un fil de toile d’araignée, l’un penchant dangereusement pour tomber, l’autre tentant par tous les moyens de contrebalancer le mouvement, quitte, peut-être, à se mettre en danger, et surtout, à ne pas parvenir à rejoindre l’autre.

Mme Lettrée s’est présentée dans le service, adressée des urgences où elle avait été reçue, souffrant de toutes parts et animée d’idées suicidaires très envahissantes ayant totalement déstabilisé son mari. Elle avait été diagnostiquée très récemment d’une maladie de Parkinson, sur quelques signes très discrets (un peu de raideur à la limite de ce que la clinique pouvait détecter, une modification de la voix, une fatigue inhabituelle…) et des antécédents familiaux, et ce diagnostic était alors initialement décrit, par madame Lettrée, comme déclencheur d’une profonde dépression. Dans les suites de ce diagnostic, elle s’était faite opérée d’une arthrose importante de hanche, ayant nécessité la mise en place d’une prothèse, avec une rééducation où les éléments de dépression et d’angoisse avaient commencé à alerter les soignants. Un traitement anti-dépresseur (« léger ») avait été initié avant son retour à domicile. Puis, dans le silence et la solitude de chez elle, son mari, plus jeune, travaillant encore, les pensées obscurcies de la dépression ne la quittaient plus. Si bien que, poignardée par le constat de sa réduction d’autonomie du fait de douleurs résiduelles à son opération de hanche et à des accès de crispations musculaires qu’elle imputait à sa maladie de Parkinson, elle formula à de nombreuses reprises à son mari le désir de mourir, tant sa souffrance était insupportable. Elle lui demanda de l’étranger, ou de l’accompagner à la falaise de laquelle elle pourrait se jeter dans le vide.

Mme Lettrée était professeur de littérature, avec une affection particulière pour le domaine du romantisme littéraire, et notamment la poésie, dont elle ponctuait généralement les entretiens, évoquant le spleen ou le fatalisme de grandes tragédies, sans trop en faire dans le discours, mais dont le contenu se suffisait à lui-même. Notre première rencontre fut marquée par sa souffrance, caractérisée par une rigidité musculaire, des soubresauts qui n’avaient pas les allures de fasciculations, de dyskinésies, de chorées, d’hémiballismes, ou de convulsions. Peut-être même étaient-ce des sursauts, comme une hypervigilance, amplifiée par les bruits un peu brusques (bien qu’avec un certain décalage) et les émotions. Le discours fut assez pauvre, bien que le contact semblât bon. Elle se voyait mourir, du moins le souhaitait-elle, mais dans sa condition physique, précisait-elle, elle était incapable de mettre ses projets à exécution. Toutes les tentatives de description de son ressenti, même seulement pour le valider, semblaient ne pas parvenir à l’atteindre, et l’angoisse était telle qu’il semblait peu pertinent de prolonger l’entretien. J’appuyais sur les terribles souffrances qu’elle devait ressentir, et évoquais que nous allions essayer de trouver un moyen de les atténuer un peu. J’introduisis un anxiolytique au dosage plus adapté, et augmentait le traitement anti-dépresseur.

C’était la première patiente que j’étais amené à prendre en charge en autonomie « supervisée ». Le psychiatre de l’unité, seul médecin du service, prenait ses congés, et je devais me référer au psychiatre chef de pôle en cas de difficultés. Le traitement anxiolytique proposé eut un effet quasi-miraculeux sur les manifestations musculaires et ses angoisses. Alors qu’elle semblait mélancolique, clinophile, désespéré (telle que nous l’avait présentée les psychiatres des urgences d’où elle venait), elle sortait désormais de sa chambre, et si la souffrance morale était encore là, elle se disait surprise et soulagée sur le plan physique. Toutefois, la iatrogénie chez les patients âgés étant ce qu’elle est, elle fit une chute dans la salle à manger, s’ouvrant le front, et du fait de l’absence de scanner sur place et de la violence du choc, elle fut conduite aux urgences. Elle revint quelques jours plus tard, un peu sonnée, mais sans autre dommage qu’une plaie de quelques centimètres correctement suturée. Elle posa, à de nombreuses reprises, la question de l’origine de cette chute, qui s’inscrivait quelque part dans une recherche de sens bien plus profonde, sur l’origine de sa dépression, ou de sa maladie de Parkinson, comme si tout était lié (et pourquoi pas, bien que, la chronologie d’apparition des signes de la maladie de Parkinson dans son cas et de la dégradation thymique et anxieuse secondaire à l’annonce du diagnostic proposait plutôt une explication d’ordre réactionnelle). Le bilan de la chute ayant été fait, l’hypotension orthostatique ou les troubles ioniques notamment éliminés, et l’imagerie cérébrale normale (confirmant la première image sans autre étiologie à ses troubles psychiques par ailleurs), nous sommes revenus, avec son mari, sur les mécanismes de ses traitements anxiolytiques et anti-dépresseurs, sur la dépression, sur la prise en charge et sur l’avenir.

Étonnamment, Mme Lettrée accordait peu de crédit à la psychologie clinique. Possiblement affecté par une représentation uniquement constituée des aspects les plus dogmatiques de la psychanalyse, elle se revendiquait pratiquante des sciences humaines (insistant discrètement sur le terme de science). Pris d’une soudaine intuition, et conscient de l’orientation théorique de la psychologue du service, je lui proposais une explication plus « intégrative », que j’utilise de manière un peu « passe-partout » de la dépression : « Si l’on prend deux cerveaux, l’un d’une personne souffrant de dépression, l’autre non, et qu’on cherche la différence, que trouve-t-on ? Les cellules qui composent le cerveau comprennent notamment des neurones. Ces derniers communiquent entre eux en utilisant des molécules appelées neurotransmetteurs. Quand on compare la quantité de neurotransmetteurs entre un cerveau déprimé et un cerveau non déprimé, on s’aperçoit que le cerveau déprimé en contient beaucoup moins ! On imagine alors que les neurones communiquent moins bien, et c’est peut-être comme cela qu’on explique cette tendance qu’on les gens souffrant de dépression à voir tout en noir, à ruminer de mauvaises pensées, à être tristes, à ne pas avoir d’énergie, à ce que plus rien ne les intéresse, etc. C’est pour ça que l’on donne des anti-dépresseurs, dont le principal effet est de permettre au cerveau déprimé de retrouver une quantité suffisante de neurotransmetteurs pour lui permettre de fonctionner mieux. On ne sait pas vraiment pourquoi, dans le cerveau déprimé, les neurotransmetteurs diminuent. Il y a plusieurs théories qui proposent des explications : selon les événements qu’on a vécus, selon notre contexte de vie et les relations qu’on a avec les gens qui nous entourent, selon nos apprentissages et nos réactions face au stress, selon notre personnalité ou notre génétique… Alors bien sûr, les anti-dépresseurs, puisque le cerveau peut à nouveau réfléchir sans voir tout en noir par exemple, constituent une sorte de béquille. Un peu comme quand on se casse la jambe : on met un plâtre, qui permet à l’os de se réparer, et en attendant, pour marcher, on s’aide d’un appui. Parfois, on a besoin de ré-entraîner le membre à bien marcher, même quand l’os est réparé, alors on garde la béquille un peu plus longtemps pour ne pas tomber et se le casser à nouveau. Avec un cerveau qui retrouve un fonctionnement plus efficace, on peut alors le ré-entraîner à fonctionner, et chercher quelque chose qui fasse sens pour vous. On appelle ça la psychothérapie, et c’est grâce à ce traitement que votre cerveau trouve, en vous, et parfois avec l’accompagnement d’un professionnel de santé, les ressources pour guérir de sa dépression. ». Monsieur Lettré se montrait très attentif, questionnant et aidant. Il semblait profondément amoureux de sa femme. On les imaginait assez bien discuter des heures durant de littérature, de philosophie, de grands concepts et de grandes idées, avec un amour immuable depuis des années.

Madame Lettrée évoluait bien. Elle était toutefois assez gênée par un constat, au niveau de ses angoisses et de ses humeurs, trouvant qu’elle ne cessait d’alterner entre un jour « terrible » où elle était percluse d’anxiété quasi incapacitante, et un jour « mieux » où elle était capable de s’investir dans les activités cognitives et physiques proposées par le service (et qu’elle trouvait alors d’un niveau beaucoup trop dérisoire). Et, dans ces journées « terribles », elle sollicitait les soignants en les apostrophant dans le couloir, souvent lorsque ces derniers étaient occupés avec une autre personne, les interpellant comme s’il s’agissait d’une question de vie ou de mort pour des problématiques pourtant très relatives, comme par exemple : « pourquoi est-ce que je vais mal aujourd’hui ? » ou encore « dois-je prendre un anxiolytique en si besoin ? » voire même « est-ce que je dois aller manger ce midi ? ». Intuition. Ces alternances, ses présentations parfois un peu théâtralisées, le côté très clivant qu’elle pouvait avoir au sein de l’équipe, la diversité des réactions « contre-transférentielles » qu’elle pouvait générer chez les soignants, l’aspect désorganisé d’une personnalité pourtant d’un bon niveau intellectuel et de fonctionnement social, la présentation presque histrionique mais ponctuelle de ses symptômes physiques avec une tendance à mettre systématiquement en échec les tentatives des soignants pour la soulager (refus des traitements prescris en cas de besoin, qui malgré un effet clinique manifeste quand ils étaient pris, étaient jugés inefficaces par exemple), ou encore son abord « tout ou rien » de certaines de ses difficultés laissaient entendre, raisonnablement, de rechercher un trouble de la personnalité de type état-limite, décompensé par l’annonce du diagnostic de maladie de Parkinson, associé au constat d’une réduction de l’autonomie suite à l’opération de hanche et à l’inéluctable diminution de celle-ci notamment au regard du vieillissement. Elle s’opposa toutefois fermement à la proposition de tests psychologiques.

Que faire ? Intuition. Retourner à une clinique « nue », comme disent les psychodynamiciens. J’interrogeais alors son mari par téléphone, à la recherche d’éléments évocateurs de trouble de la personnalité dans son histoire de vie. Il me la décrivit comme un homme profondément amoureux de sa femme. Une femme d’un très bon niveau intellectuel, enseignante en classe préparatoire des grandes écoles. Elle aimait, auparavant, réunir des amitiés de longues dates pour débattre des heures durant, parcourir le monde dans quelques voyages bien organisés, manifestant un certain aplomb dans les prises de décisions, mais ne manquant pas de se remettre en question et de faire preuve de réflexivité. Une certaine tendance à la précision, à la perfection, à l’excellence et au rangement. Pas franchement de quête identitaire, d’instabilité relationnelles, aucune conduite à risque, aucun antécédent psychiques. Tout au plus quelque chose de l’ordre de la personnalité peut-être un peu obsessionnelle et décompensée par une situation qui échapperait à son contrôle, la maladie de Parkinson et son inéluctable évolution. Ou, peut-être, comme il me témoignait de sa présence malgré le confinement sous forme de nombreux envois de lettres, photos et messages, auxquels elle ne répondait de très brièvement, pas systématiquement et de manière très succincte, une problématique plus systémique ?

Que faire pour prendre conscience de ces mouvements psychiques d’un jour à l’autre, aussi régulièrement ? Comment réfléchir sur les éventuels déclencheurs de ses angoisses ? Comment lui faire apparaître que, même dans certaines journées « terribles », l’engagement dans des activités cognitives ou physiques ainsi que la prise de certains traitements (médicamenteux ou non) pouvaient avoir un impact sur ses angoisses ? Comment lui faire découvrir et réfléchir à ses stratégies d’adaptation – coping ? Intuition. Je lui imprimais un tableau pour l’inviter à noter, de 0 à 10, l’intensité de ses angoisses, du calme ressenti, des techniques recherchées, et, conscient de sa détestation de l’objectivisation idéalisée, je l’invitais sur une dernière colonne à résumer sa journée en quelques mots, espérant réveiller la littéraire qu’elle était (et qu’elle se plaignait parfois de ne plus retrouver, incapable de lire ou de se concentrer dans les journées « terribles »). Elle investit l’exercice, ses angoisses notées soit 1-2 soit 7-8, en miroir du calme ressenti. Mais elle perçu sa sensibilité aux événements extérieurs qu’elle ne contrôlait pas, sa nécessité de « lâcher prise » qui ne collait pas avec sa difficulté à ne pas tout contrôler. Je lui ai souri : « ne peut-on pas contrôler le lâcher prise ? ». Encore une intuition. D’où est-ce que je sortais ça ? De quelle preuve d’Evidence Based Medicine formulais-je ce genre de consignes ? Autant le tableau donné correspondait à une sorte d’adaptation très détournée de l’exercice des colonnes de Beck en thérapie cognitivo-comportementale, autant ce conseil n’est qu’un agglomérat subconscientisé de lectures vaguement psycho-philosophiques. De quel droit, de quel référentiel, proposais-je ce genre de remarques ?

Car si, souvent, les médecins résument la sphère scientifique de l’EBM à cette notion de preuve scientifique, comme s’il y avait une vérité irréfutable sur laquelle prendre une décision, il s’agit peut-être d’une grossière erreur de conception philosophique et de traduction. Evidence se traduit en français par « preuve » ou « fait ». Il n’est alors nullement question de son caractère scientifique, bien que, par obligation déontologique, il convient en médecine de proposer des traitements issus des données les plus actuelles de la science… ou… de l’état de l’art. Nous retombons là encore dans une vieille bataille entre les partisans de la médecine comme un art et ceux de la médecine comme une science. L’issue de secours à cette opposition stérile réside dans le compromis proposé par l’EBM et souvent oublié : « Considérée dans son essence, la médecine n’est donc ni une science ni une technique, mais une pratique soignante accompagnée de science et instrumentée par des moyens technique » (Dominique Folscheid – DOI : https://doi.org/10.7202/401007ar). De cette conception de médecine comme une praxis, à l’instar de la Prudence Aristotélicienne, la médecine impose à chaque situation d’interroger les valeurs et les données probantes qui sous-tendent ses (co-)décisions. On ne choisit ainsi pas entre l’art et la science, ni entre le cœur et la raison, mais peut-être se laisse-t-on guider (ou perdre ?) par des intuitions plus ou moins motivées – colorées – d’art, de science, de principes, de finalités, de données, de contextes, de cœur et de raison.

Alors peut-être que cette patiente, entité symbolique d’une sorte Anna O., vient interroger ma posture clinique, les éléments sur lesquels j’essaye de baser mes premières décisions pleinement responsables, mon sentiment de légitimité à proposer un accompagnement voire une thérapie, ou encore ma gestion de l’incertitude irréductible de toute prise en soin. Peut-être de part sa carrière littéraire, et ses intérêts proches de mes lectures en poésie ou en philosophie, elle vient questionner mon rapport à l’écriture, à ma profession, à mon identité. Peut-être encore que son aspiration initiale à mourir, et sa quête de sens à une vie qui, irrémédiablement, se dirige vers la mort, vient réveiller les angoisses primordiales enfouies en moi comme chez tout être humain. Peut-être enfin que sa complexité inhérente à celle de la nature humaine et du mystère de l’individu, vient se confronter à l’impuissance absolue de la médecine, à la douleur de la fin prochaine d’un stage décisif, au deuil de pouvoir tout faire, tout penser, tout guérir ou tout comprendre, et au phénomène aussi fascinant qu’inquiétant que constitue ce lien particulier, intense et bidirectionnel qu’est la relation de soin.

Médecine, intégrité scientifique et essais cliniques en situation d’urgence sanitaire

En France, l’actualité scientifique et sociétale se croisent sur la question de la COVID-19 et de son tant espéré traitement. Tous les yeux sont rivés sur le Pr. Raoult et sa chloroquine. La science et la société ne se chevauchent pas que sur ce point : si, d’ordinaire, les controverses scientifiques sur l’efficacité de telle ou telle thérapeutique n’affectent que peu les débats sociaux, à présent, on retrouve presqu’autant de pro-Raoult et d’anti-Raoult dans la communauté scientifique qu’au sein de la société toute entière. On peut également faire le parallèle avec l’affaire de la ciclosporine, annoncée par le Pr. Even comme traitement curatif de l’infection VIH lors des années SIDA, essai au destin funeste qui, toutefois, divisa les foules.

Ce phénomène n’est pas nouveau dans l’histoire de l’humanité, bien qu’il soit plus récent à l’échelle de l’histoire des sciences, et plus particulièrement de la médecine. Les tout premiers traitements, à l’époque antique, consistaient pour la plupart en des incantations magiques, prières religieuses et autres rituels. En témoignent notamment le code d’Hammourabi (-1750 avant JC) ou le Papyrus Ebers (XVIe siècle avant JC), les traités de médecine ayurvédiques (XVe siècle avant JC) ou encore, plus récemment, les implications de l’Eglise catholique au moyen-âge (trépanation pour extraire la pierre de la folie, exorcisme, ou encore Louis XIV réputé pour guérir les écrouelles d’un simple touché). L’intrication sociétale, au travers des croyances populaires, religieuses ou partagées par un groupe de personnes, se mêlaient avec l’aspect, sinon scientifique, au moins « savant » de la médecine.

Toutefois, malgré des pratiques médicales peut-être plus artisanales que rigoureusement établies au regard de leur efficacité, la plupart des écrits, mêmes anciens, relevant de thérapeutiques semblent s’attacher à un ensemble de valeurs, sinon de juridictions ou de principes guidant le guérisseur à agir au nom d’une certaine « morale générale », d’une certaine « éthique singulière », lesquelles se trouvent souvent codifiée dans les prémisses d’une déontologie. C’est le cas, par exemple, du code d’Hammurabi, mêlé de lois sur la pratique médicale, ou encore des traités ayurvédiques qui s’inscrivent dans une philosophie indienne ancestrale à visée holistique. Ou, un peu plus proche de notre époque et notre société occidentales, les incontournables écrits d’Hippocrate, à l’origine du Serment que l’on ne présente plus.

Posons l’hypothèse didactique d’une équation avec trois grandes inconnues. Un premier bloc constitué de l’ensemble des fondements éthiques : morale, éthique ou déontologie, qui justifie l’action du médecin. Un second bloc de « validation », inscrivant l’action dans un référentiel qui la rendrait ainsi « valide » aux yeux des praticiens : un référentiel de croyance, de science, de culture, de société, etc… ce qui s’apparenterait à la recherche, ou non, d’une vérité théorique ou empirique venant valider la logique avec laquelle le soin fait l’objet de recherches ou est dispensé. Enfin, un troisième bloc serait celui de la finalité pragmatique : quelle est la visée de cette démarche soignante ? Vise-t-elle l’efficacité ? L’aspect pratique ? Efficient ? Ou une autre finalité ?

Et si, ce triptyque composé de fondements éthiques, d’éléments de validation et de cette portée pragmatique était au cœur (voire le serait toujours, en tout temps), de la pratique du soin ?

Car le soin ne saurait sans doute se résoudre à une clinique dépossédée de ses aspects indissociables d’objet de recherche. Ne serait-ce, de fait, que dans l’abord diagnostique et l’élaboration d’une sémiologie ainsi que d’une thérapeutique : n’est-ce pas là, avant tout, du soin ?

La méthode anatomoclinique de Bichat (qui écrivit « allez donc disséquer quelques cadavres » pour inciter les médecins à comprendre l’origine et les mécanismes des maladies, acte non sans considérations éthiques), est l’une des prémices du modèle expérimental de Claude Bernard qui vient illustrer de façon exemplaire l’un des nombreux changements paradigmatiques dans l’histoire de la médecine. Claude Bernard pose les bases d’une méthode de recherche sur le vivant et insiste notamment sur l’importance d’une phase de doute, ou de critique, de l’hypothèse que l’on cherche à démontrer ou à infirmer. D’autres avant lui se sont essayés à bousculer les usages de la progression du savoir médical. Ainsi, Paracelse, au quinzième siècle, sape la doxa galénique en faisant, en quelque sorte, table rase des connaissances médicales vieilles de deux mille ans, pour émettre une hypothèse qu’il a toutefois immédiatement considérée comme valide et dont l’égérie consiste en la théorie des signatures. Selon sa théorie, la nature met à notre disposition des traitements qu’il serait possible d’identifier au nom du principe de ressemblance. Ainsi, la grande pimprenelle, fleur d’un rouge sang au nom latin de Sanguisorba officinalis, serait particulièrement adaptée pour aider à absorber le sang et accompagner la cicatrisation. Si l’on reprend notre hypothèse de départ, nous avons un fondement moral (la nature mettant, au travers de la ressemblance, des remèdes à notre disposition ; Paracelse s’inscrivant dans un courant de pensée théologique et sensible à l’idée d’un ordre naturel semblable à l’idée du Cosmos grec), une validation dogmatique par la recherche d’une vérité que confirme la théologie (la nature est parfaite, et tout élément ressemblant à une maladie constitue un traitement), et un pragmatisme pratique, rationnel bien qu’acte de foi, et, avec un peu de chance, efficace (en l’occurrence, la Sanguisorba officinalis possède effectivement bien des propriétés hémostatiques mais qui seraient probablement dues à une concentration élevée de tanins dans les racines…). A noter que le principe de ressemblance est également utilisé sous une forme inversée, tout en suivant notre hypothèse didactique de façon similaire, dans la paramédecine homéopathique (« médecine » des contraires).

Bichat, Claude Bernard et, de fil en aiguille, tout le courant plus « scientifique » de la médecine changera simplement les valeurs des variables de notre hypothèse didactique : le fondement éthique se cristallise en une déontologie, elle-même imposant aux médecins d’adopter dans leur pratique un référentiel scientifique (sinon, expérimental, afin d’apporter des « preuves » de leur démarche thérapeutique), à des fins d’efficacité (amélioration de l’état clinique du patient). La logique sous-jacente tient davantage à une rationalité plus intrinsèque, évitant les références à une culture extérieure, une religion ou des croyances difficiles à fonder. On recherche une vérité « scientifique », ou, plus exactement, à réfuter, de manière reproductible, ce qui ne peut être démontré par l’expérimentation, et à toujours requestionner sa méthodologie. A ce titre, l’émergence de la théorie psychanalytique vient redistribuer les cartes de notre équation : le principe déontologique alors en vigueur ne peut être rempli, car, à l’époque, il n’existe pas suffisamment d’éléments permettant d’expliquer les phénomènes « neurologiques » observés par les aliénistes sans substrat organique. C’est l’adoption d’une entorse à la déontologie, de nature, peut-être, éthique au sens de singularité dans la morale imposée par les pairs, qui conduit Freud à affirmer son référentiel qu’est l’hypothèse de l’inconscient et ses mouvements psychiques. La validation consiste en une vérification par l’expérience, au travers les situations cliniques de la société autrichienne de l’époque (lapsus, hystérie…). La visée pragmatique est celle d’advenir à une compréhension du fonctionnement humain d’une part, et, éventuellement, à une thérapie qu’on espère efficace, d’autre part. Si Freud fut particulièrement controversé par ses confrères médecins, il trouva dans sa clinique des résultats auto-jugés prometteurs, en dépit d’une démarche pleinement et rigoureusement scientifique (en témoigne les nombreux débats sur le caractère non reproductible de la psychanalyse). Toutefois, on peut imaginer que cette théorie puisse
finalement entrer dans le contexte déontologique de l’époque, où, notamment, la preuve empirique comme celle du cas clinique rapporté (et surtout validé par les pairs dépositaires de l’autorité médicale) faisait foi (en témoigne la triste histoire de Semmelweis et son intuition de l’hygiène et des agents infectieux qu’on l’a contraint à avorter, à l’en faire devenir fou).

Aujourd’hui, et depuis plus de 50 ans, l’ère dominante du monde médical est à l’Evidence Based Medicine. Au-delà de la seule approche expérimentale, sinon scientifique, l’EBM implique précisément 3 grands piliers : les données probantes (qu’une mauvaise traduction conduit toutefois à qualifier de données de la science) dont la vraisemblance est très hiérarchisée selon des critères d’analyse et de méthode rigoureux ; l’expérience du praticien qui, par sa prise en considération, rejette le risque de réduction de la médecine à une sorte de science mécaniste aux traitements algorithmiques de l’être humain ; et, enfin, la subjectivité du patient (bien que, par le prisme de méthodologies d’études scientifiques du champ des sciences humaines et sociales ou d’ordre qualitative, cette subjectivité du patient se voudrait peut-être en partie objectivée). L’EBM vient trianguler notre postulat didactique : le fondement éthique à l’origine est clairement déontologique (l’article 32 du code de déontologie médicale stimule que le médecin « Dès lors qu’il a accepté de répondre à une demande, (…) s’engage à assurer personnellement au patient des soins consciencieux,
dévoués et fondés sur les données acquises de la science, en faisant appel, s’il y a lieu, à l’aide de tiers compétents. »). Son référentiel de validation consiste en la méthode scientifique symbolisée par l’essai clinique randomisé contrôlé en double aveugle et multicentrique, bien que la notion de preuve tende à une approche intégrative en adjoignant les sphères de l’expérience du praticien et de la subjectivité du patient. Enfin, la visée de l’EBM est, sinon l’efficacité, au moins l’efficience (ou l’inverse, car la question des traitements ne fait hélas plus l’économie des enjeux financiers… notamment en période de crise, où il faut, par exemple, distribuer des ressources limitées, tels que des masques, pourtant confirmés par les données de la science comme indispensables à la limitation de la propagation de l’épidémie, qu’à certaines populations).

Pourtant, malgré l’attachement apparent à un ensemble de valeurs consacrées au sein du code de déontologie, établi par les pairs, par définition, le référentiel scientifique et sa supposée robustesse garantie par l’intégrité du chercheur qui le produit, est mis à mal, ou du moins questionné par la société, exploité par des acteurs socio-économiques loin d’être anodins comme les industriels du médicament et des produits de santé. En témoigne, par exemple, le récent scandale du Médiator®, ou malgré des données scientifiques soit manquantes, soit alarmantes, le Benfluorex a été distribué et prescrit en dehors de ses indications thérapeutiques, poussé par un industriel surfant sur la vague de la pilule miracle qui aide à maigrir. Mais également, la question du biais de publication, qui rend le référentiel scientifique des « preuves » plus sensible à l’article faisant état d’une différence significative entre deux traitements, alors que les articles ne montrant pas de supériorité d’un traitement par rapport à un autre sont généralement moins publiés, et dans de moins bonnes revues. La course à la publication (et à la subvention), subie par les chercheurs, incite également à la réalisation d’essais cliniques plus modestes, tant en termes de puissance qu’en terme de « rentabilité » escomptée à tester des molécules dont l’exploitation pharmaceutique ne toucherait qu’un « marché » réduit (c’est par ailleurs tout le problème de la recherche sur les maladies rares et orphelines). L’illustration actuelle de ce phénomène s’observe dans le nombre considérable d’essais lancés pendant l’épidémie actuelle. La publication est un moyen d’existence des laboratoires de recherche, quitte, peut-être, à amoindrir la qualité des essais, pour décrocher l’exclusivité d’être les premiers à publier ? Enfin, tout le système de publication et de l’édition des revues pose également un immense problème. Si nous évoluons dans l’ère où la recherche scientifique n’a jamais été aussi importante, l’information scientifique ne cesse de voir son accès se restreindre et se complexifier.

Pour revenir à la situation sanitaire actuelle, certains médecins vont même jusqu’à brandir l’éthique pour s’opposer à la déontologie médicale du fait de l’urgence sanitaire. C’est ainsi que le Pr. Raoult propose un essai clinique, puisqu’élément clé de l’ère EBM, dont la réalisation méthodologique apparaît clairement discutable (critère de jugement, supposé virologique, absence de groupe contrôle, pas de prise en considération des perdus de vus dans l’analyse statistiques…), niant un certain nombre de conflits d’intérêts manifestes (sommes reçues de l’industrie pharmaceutique, lien avec le directeur éditorial de la revue où il a publié son article, sans reviewing digne de ce nom…), et dont il dire hâtivement la conclusion que l’usage de l’hydroxychloroquine à visée curative des formes graves d’infections au SARS-COV-2 doit être systématique. Si nous reprenons dès lors notre hypothèse didactique : le fondement éthique réside dans une exigence éthique liée à l’urgence sanitaire, imposant de recourir à des niveaux de preuves plus faibles pour recommander un traitement « faute de mieux ». La validation n’est plus de l’ordre de la démarche scientifique, mais fait davantage appel à l’expérience du praticien, et surtout, à une validation sociétale, probablement supportée par la gestion de l’incertitude (en témoigne, notamment, l’exposition médiatique massive et la visite présidentielle, que beaucoup ont interprété comme une bénédiction du traitement proposé par le Pr. Raoult). Enfin, la visée pragmatique affichée est celle de l’efficacité, mais pourrait-elle être celle de se situer dans une démarche active, réactive et peut-être, palliative ?

Peut-on, au nom de l’urgence et de l’éthique, faire fi de règles rigoureuses dans l’élaboration, la coordination, la réalisation, l’interprétation et l’utilisation d’essais cliniques ? Peut-on, malgré l’urgence, accepter d’attendre, faire des essais incertains, et confronter pleinement les soignants à la substantifique moelle de leur pratique : l’incertitude ? Cette fuite de l’éthique et des responsabilités constitue-t-elle un rempart illusoire face à l’impuissance du soignant ? Et, dans la réalisation désespérée de ces essais, peut-on voir comme une cristallisation palliative à notre toute puissance fantasmée et ainsi déchue d’une médecine à toute épreuve (oserai-je dire, d’immortalité ?) ? Quelle place, quelle légitimité, quelle temporalité, dans cette urgence à apporter une réponse, pour l’esprit critique et la réflexivité ?

Il y a notamment dans la pensée de Ricoeur, l’idée d’une éthique comme une « vie bonne dans des institutions justes ». Que peut-on dire des institutions de l’éthique en matière de recherche clinique ? Que peut-on dire des acteurs socio-économiques dont les finalités ne sont peut-être pas tout à fait juste ? Que dire des autorités, affichées impartiales (comme la HAS), mais possiblement biaisées dans certains liens ou conflits d’intérêt ? Que dire des chercheurs dont l’intégrité (que l’on peut rapprocher de cette notion de communauté scientifique socialement fictive : être intègre, est-ce s’y intégrer – au nom de quelles valeurs communes ?) se redessine parfois, selon les aspirations, les nécessités universitaires, la pression des pairs, les enjeux de pouvoir, la course à la publication, le phénomène des leaders d’opinion ou les guère de chapelles et d’obédiences théoriques ? Que dire enfin de cette vie bonne, bien qu’ajustée des prouesses techniques en puissance de nos traitement médicaux et de leurs inséparables effets secondaires ? Est-il bon, pour soi, de jouer sa vie, aussi bonne soit-elle, à la roulette russe mais indispensable de la randomisation d’un essai clinique « bien mené » où un critère de jugement dit « dur » comme la mortalité déterminera l’efficacité (ou non) d’une molécule dont le sort décidera si nous sommes l’heureux (ou malheureux) récepteur ? Est-il bon, pour la vie en société, que les avis des réseaux sociaux, abondants, surréagissant, aux forts contingents quasi-exclusivement passionnels, viennent remplacer les débats éclairés, dotés de temps pour penser ? Et penser quoi ? Réagir et soigner ? Anticiper et prévenir ? Réinventer et investir le système de santé ?

La question de l’essai clinique en contexte d’urgence vient interroger les fondements éthiques, les critères de validation et les finalités pragmatique de la médecine. La crise du SARS-COV-2 est peut-être l’élément disruptif à l’aube d’un nouveau paradigme médical. Mais au-delà des considérations épistémologiques, l’enjeu semble éminemment politique et sociétal. Si, le 16 mars, la France a choisi d’opter pour le confinement, au sacrifice de son économie, en renforçant autant que possible les moyens alloués à une recherche vitale, ce ne fut pas une réaction unanime. Au Texas, le gouverneur encourageait les gens à aller travailler et les personnes vulnérables ou plus âgées à accepter l’idée de mourir pour sauvegarder l’économie. « La science » devient un instrument de légitimité pour le politique. La recherche, comme les soignants dans leur ensemble, n’ont pas attendu la pandémie du SARS-COV-2 pour alerter les pouvoirs publics sur la gravité de la situation actuelle. L’urgence vient bouleverser une situation déjà à l’état d’équilibre instable, dont le maintien précaire se fait parfois au prix
d’un temps trop réduit voire inexistant pour penser l’éthique du soin. L’éthique, pourtant, a besoin de se confronter aux exigences toujours uniques du contexte changeant pour se mettre à jour, se réinventer, et réaffirmer toute la force des valeurs du soin.

Pour conclure, ou peut-être plutôt pour ouvrir à la discussion, interrogeons-nous : faut-il
encore réfléchir à l’urgence de l’éthique, ou initier une éthique de l’urgence ? Faut-il imaginer, comme les soins qui, de par l’urgence sanitaire, se sont vu prodigués en « situation dégradée », que l’éthique, et notamment celle de la recherche clinique dans l’espoir d’un traitement, puisse également donner lieu, dans un tel contexte, à une « éthique dégradé » ? Quels aménagements cela donnerait lieu ? Il y aurait-t-il des valeurs plus importantes que d’autres ? Doit-on concevoir des essais cliniques médiocres au nom du principe « faute de mieux » ? Ou, au contraire, refuser cette chimère d’une éthique dégradée, et redoubler de prudence, notamment aristotélicienne, pour faire de l’éthique un point de repère dans le brouillard de l’incertitude, un phare dans la tempête, une boussole y compris dans l’urgence.

Transfert

C’est un homme étonnant, venant d’une contrée lointaine, qui s’est présenté dans le service de psychiatrie pour les personnes âgées. Un homme d’un certain âge, donc, et qui garde en mémoire un passage, il y a plusieurs dizaines d’années, dans cet établissement de santé mentale. Une hospitalisation qui, à ses dires, lui aurait « sauvé la vie ». La mine triste, mais l’œil pétillant, ce vieil homme puise dans son trouble bipolaire d’étonnantes muses qui lui inspirent des textes poétiques qu’il trace sur papier. Il en a plein sa chambre, du papier. Et la mine de son stylo noir parcours des pages et des pages, à la recherche des causes de son tourment et du sens à donner à son existence. Une intuition inexplicable me conduit, dans ces lignes, à le nommer « le Poète ».

Depuis quelques semaines déjà, le gouffre et la torpeur de la dépression reviennent hanter son esprit. Sa vie est faite de séparations, d’abandons et de recherches frénétiques d’une raison d’être. Sur la table de chevet, un livre de méditation pleine conscience, qu’il lit et relit dans l’espoir, dit-il, « de trouver l’instant présent, qui existe entre chaque mot : ainsi, entre ‘instant’ et ‘présent’, c’est là qu’il se découvre ».

C’est un homme sans nul doute plein de sagesse et de trésors. Un homme qui, humblement peut-être, n’a pas fait partie des « catégories socio-professionnelles supérieures ». Il s’est construit à la sueur de son front, s’est engagé dans divers syndicats, s’est lié et délié de femmes qu’il a épousé, et d’amitiés sincères au destin funeste. Il décrit ainsi le sort tragique d’un de ses meilleurs amis, qui fut son médecin, dont il se sent responsable du suicide. Il me l’a écrit dans un courrier poignant, alors qu’à notre entretien précédent, je lui avais proposé de travailler sur ses relations avec les autres, et, tenant compte de son habilité à s’exprimer par écrit, d’écrire une lettre à un ami. Ma première erreur fut, peut-être, de ne pas lui avoir répondu.

J’ai récemment décidé de prévoir des RDV avec les patients du service. Je trouvais toujours délicat de proposer aux patients un entretien, alors même qu’ils ne s’y attendaient pas. L’idée de les prévenir dès le matin qu’ils seraient vus à telle heure au cours de la journée ou le lendemain me semblait plus propice au travail thérapeutique. Je ne saurais sourcer cette notion qu’un RDV chez un psychothérapeute s’anticipe probablement, mobilisant déjà, consciemment ou non, cognitivement ou non, une forme d’impulsion au changement, à la transformation, voire, tout simplement, à la construction d’une alliance thérapeutique. Il a bien entendu fallu qu’un aléa urgent me fasse prendre un retard conséquent à notre RDV avec le Poète.

Ce retard ne fut pas sans conséquence. Profondément attristé, blessé, comme trahi (il me reprend d’ailleurs sur ce terme, ne trouvant toutefois pas de mot qui lui convienne pour se décrire), il souffre tant qu’il suppose même que ce retard était une supercherie, une sorte de test de ma part, une façon de nier sa douleur et son mal-être, comme s’ils n’existaient pas. Il prend une sorte de plaisir vengeur à m’expliquer comment il compte mettre fin à ses jours. Les larmes lui viennent, quand il évoque son meilleur ami décédé.

Puis, tout à coup, il s’arrête, et me regarde : « D’ailleurs, c’est vous dire, j’avais préparé quelque chose, et je l’ai dans la poche ». Il marque une pause, observe nos regards étonnés à l’infirmière et moi. « Oh, ne vous inquiétez pas, ce n’est pas une arme », dit-il en riant nerveusement. Il sort de sa poche une nouvelle feuille de papier, pliée en trois, la déplie, et me la tend. Je parcours son testament, écrit à la main. Il m’inquiète davantage.

Le reste de l’entretien consiste à tenter de comprendre ce qu’il ressent, à valider sa souffrance, et, peut-être un peu trop, à rassurer sur l’accompagnement et l’investissement des soignants à son égard. Je sens bien, avec une certaine tristesse, que quelque chose s’est brisé, que la corde du lien thérapeutique s’effiloche sérieusement. Étonnant, d’ailleurs, d’évoquer une corde en rédigeant ces lignes, alors même que son projet de suicide sera par pendaison, avec une corde, qu’il a prit quelques minutes à me décrire…

Guidé par une mystérieuse intuition, j’accuse réception, je valide sa souffrance, je l’encourage à expliciter ce qu’il ressent s’il le souhaite. Il me toise, triste et agressif à la fois : « je vous pensais assez intelligent pour comprendre, pas pour vous jouer de moi ». Je lui assure de notre présence, malgré les urgences et les imprévus, et qu’à ce moment, l’urgence est en face de moi. Il évoque spontanément la poésie, citant ça-et-là, quelques poèmes célèbres, et quelques-uns de sa composition. Il se revendique admirateur de Verlaine, Hugo, et d’autres poètes. J’évoque le spleen. Il dit ne plus savoir qui être, et qu’en même temps, cette souffrance est lui. Je l’interroge : et si, cette souffrance était ou avait été créatrice de ce qu’il est, et qu’en même temps, aujourd’hui, elle devenait trop difficile à supporter ? Il me regarde un moment. On sent comme un moment de bascule, d’équilibre instable, une marche de funambule sur une ligne de crête où chacun, peut-être, sommes à la fois trop investis et trop défensifs.

Je me demande : qu’essaye-je de sauver ? Ma « réputation », sorte de « prestige » de docteur (même pas encore docteur, même pas psychiatre) ? Ma volonté de bienveillance ? Mon attachement à être à l’heure ? Ou essaye-je de fuir : le conflit, l’échec d’une relation thérapeutique, la reconnaissance de mes erreurs ? Va-t-il se saisir de l’accroche poétique ? Va-t-il poursuivre le travail qu’il a commencé ? Vais-je découvrir un tout petit morceau du mystère du Poète, et l’aider à trouver un chemin vers le mieux-être ? Vais-je constater, et peut-être exagérément penser, que malgré mes bonnes intentions, malgré des intuitions inexplicables et souvent salvatrices, je ne suis finalement pas un (bon) psychothérapeute ? Et enfin, surtout, vais-je briser ce lien, et perdre ce patient, voir mourir cet homme que, sans prétention à vouloir « le sauver », je n’aurais déjà simplement pas su « écouter » ?

Ces questions, cette analyse du contre-transfert seront pour plus tard. Le Poète soupire : « j’ai l’impression d’avoir raté ma vie ; la poésie, je ne sais faire que ça, mais ce n’est pas rentable ; je suis une sorte de poète incompris, destiné à l’oubli… ». L’entretien touche à sa fin : il s’épuise, peut-être même vacillons-nous sur ce point d’équilibre précaire. Je ne sais pas encore quelle mystérieuse intuition me pousse à lui imprimer un poème de Charles Baudelaire que j’affectionne particulièrement, ce que je lui signale. L’ennemi, du recueil Les Fleurs du Mal. Je l’imagine, peut-être un peu trop rapidement, comme quelque chose qui pourrait valider son ressenti, et en même temps, constituer une sorte de symbole transitionnel, une tentative de maintenir le lien, de se revoir plus calmement, de continuer. Une petite voix intérieure me demande : « pourquoi est-ce si important ? Et surtout, pour qui ? ».

Je lui remets le poème, plié, lui demandant de le lire quand il le souhaiterait et de me dire ce qu’il en pense. Je le préviens que ce n’est pas joyeux, et que cela se rapproche beaucoup du spleen dont on a parlé. Je sens dans son regard comme une étincelle d’espoir. Ou peut-être crois-je la voir ? Il s’empare du poème, me remercie, mais pas comme d’habitude où il se montrait toujours très satisfait de nos échanges, et s’en va la mine troublée.

Je reçois une lettre le lendemain. C’est un poème de sa composition. Il s’intitule « Trop tard ». Je dégluti. Il parle d’un enfant perdu ne connaissant pas la route, tracée par les animaux des bois. Il fait référence à des arbres et des fleurs, comme le poème que je lui ai donné, et évoque des fruits « s’offrant aux malveillants » avant de pourrir. La suite est plus difficile à déchiffrer, plus émotive, et peut-être voit-on une larme. Il écrit « lame, lame, tranchante, une aiguille tranche et perce, cette baudruche (…) moi, bien entendu ».

Je ne sais que faire. Il est tard, je suis de garde, j’ai quelques minutes. Il faudrait que j’analyse, que je prenne le temps. Et en même temps, encore, cette mystérieuse intuition me pousse à répondre. Jusqu’où ? Jusqu’à quelle limite ? Dans quel but ? Pour qui ? Pourquoi ?

J’écris. Je fais relire par l’équipe. On valide ensemble. Une soignante lui dépose la lettre. Elle rapporte qu’il l’a reçue avec « un grand sourire ». La suite ? L’avenir nous le dira…

COVID-19 : d’une éthique de l’urgence à l’urgence de l’éthique

Ce n’est pas une guerre. Et pourtant, des armées de blouses blanches aux badges de toutes les couleurs font face à l’explosion exponentielle de personnes malades qui débarquent à l’hôpital. Sur ce front, les urgences et les généralistes dégagent le terrain, traçant des trajectoires « virales » pour sécuriser les patients « non viraux ». Les services d’hospitalisation de toute spécialité et les blocs opératoires réinventent l’opération camouflage en se transformant littéralement en réanimation de fortunes, et autres unités « dédiées ». D’autres secteurs ferment, pour mieux redéployer les troupes là où se tient une bataille. Ce n’est peut-être ni celle de Troie, ni celle de 100 ans, c’est pourtant dans l’incertitude et la durée que le combat s’étale.

Et puis, il y a l’autre versant. Ce n’est probablement pas celui qui anime les fantasmes des applaudissements vespéraux depuis les balcons. Ce n’est pas toujours celui des séries médicales. Ce n’est peut-être même pas celui qui éveille des vocations dès le plus jeune âge. Et pourtant, dans le vaste univers de la santé, c’est peut-être là que prennent place d’immenses ravages. La partie immergée de cet iceberg titanesque ne fait pas les gros titres, ni aujourd’hui pendant l’épidémie du COVID19, ni hier dans les annales médiatiques du monde du soin, ni même certainement demain dans les éloges quasi-intarissables des prouesses de ces « héros en blouse blanche ».

Ce macrocosme invisible, ce sont les établissements d’accueil de personnes âgées et/ou dépendantes, où l’infection et ses effets collatéraux déciment en silence et par centaine. Cette majorité inaudible, ce sont les patients atteints de maladies chroniques et/ou invalidantes et/ou nécessitant un suivi rapproché et/ou attendant des RDV, interventions, consultations et autres actes médico-psycho-socio-technico-scientifiques qui n’auront pas lieu, faute du recrutement des soldats soignants vers le champ de bataille glorieux. Ce scotome sociétal, ce sont les personnes souffrant de maladies psychiatriques, et pas seulement, et pour lesquelles les perspectives de prise en charge somatique, voir réanimatoire, déjà d’ordinaire très rares, deviennent désormais quasi-irréalistes.

Un peu comme ce service de gérontopsychiatrie où M. D. ce matin-là, s’est écroulé sans crier gare, perdant couleur et connaissance pendant cinq bonnes minutes, la pression artérielle et la fréquence cardiaque imprenables, une désaturation en air ambiant s’installant, et ne réagissant à aucun stimulus. Le SAMU interviendra. L’ECG post-critique étant « rassurant malgré beaucoup d’extrasystoles ventriculaires et un BAV 1 », mais surtout, les services de cardiologies aux alentours étant tous « envahis de patients COVID19 positifs », M. D. se verra contraint de rester en gérontopsychiatrie, malgré des malaises de plus en plus fréquents, rapprochés, et menaçants. A 85 ans, me laissera-t-on entendre, et souffrant de psychose, qui, dans le contexte actuel (ou même en dehors), réanimerait M. D. ?

Ainsi, la cholecystectomie de Mme A., souffrant de douleurs abdominales au décours d’une colique hépatique et qui attendait sa délivrance chirurgicale depuis plusieurs longues semaines est repoussée à « plus tard ». Ainsi, M. M. qui devait enfin rentrer chez lui après des mois d’hospitalisation à récupérer de sa profonde dépression, se voit confiné en gérontopsychiatrie, interdit de sorties, de permissions et de visites, faute de famille disponible dans sa région et d’associations d’aide aux personnes âgées pour l’accompagner au quotidien du fait des circonstances actuelles. Ainsi, Mme Z. qui retrouvait enfin le calme de vivre se retrouve isolée pendant au moins 7 jours en chambre par un psychiatre démuni, appelé en pleine nuit pour « une fièvre à 37,9°C », et qui faute de masques et dans l’application du principe de prudence pour ne pas risquer de contaminer les autres patients de l’unité, la verra par la suite subir une recrudescence massive de ses angoisses.

Et, dehors, depuis la fermeture du Centre Médico-Psychologique et la suspension des activités d’associations ou d’équipes mobiles de psychiatrie, toute une population de patients schizophrènes bien équilibrés, de personnes dépressives ou bipolaires stabilisées, et d’autres individus souffrants de troubles mentaux bien accompagnés se retrouve isolée, livrée à elle-même, et confinée, ce qui constitue des conditions propices à les laisser décompenser irrémédiablement. La téléconsultation pallie parfois, mais ne peut se substituer au contact humain, constituant parfois l’unique relation humaine et durable dans la vie de ces personnes. Et je ne parle ici que de la santé, que de la psychiatrie, mais le problème se transpose avec aisance dans tous les secteurs de la maladie chronique, de la vulnérabilité, de la dépendance, et chez nos indigents invisibilisés.

A ce jour où, bientôt, chaque place en réanimation sera une denrée rare et précieuse, qui choisira de réanimer « le patient psy » débarquant pour une tentative de suicide par intoxication médicamenteuse volontaire quand une multitude de patients gravement infectés par le COVID19 se bousculent aux urgences ? Qui choisira de tenter de sauver un vieil homme grabataire et délirant de sa détresse respiratoire aiguë liée au COVID19 quand une jeune femme autonome aura besoin de ces soins indispensables et limités ? Qui choisira de s’occuper du jeune schizophrène solitaire et hospitalisé en psychiatrie depuis des années quand se présentera un individu « libre et sain d’esprit » d’une cinquantaine d’année ayant conjoint et enfants éplorés priant pour que les soins intensifs puissent sauver leur proche ?

Les réanimateurs sont, depuis longtemps, aux prises avec les décisions éthiques dans l’urgence. C’est un axe incontournable de leur métier, et en même temps, sans doute, le plus délicat puisqu’au contraire de la technique qu’un apprentissage rigoureux et régulier peut permettre de maîtriser (sinon contrôler), la confrontation à l’incertitude, à la complexité, aux injonctions éthiques paradoxales, aux exigences situationnelles multiples et sans cesse changeantes, ne se « maîtrisent » peut-être jamais. L’éthique médicale doit beaucoup à la réanimation, qui, par sa technique, a repoussé bien des limites de l’existence, contribué à la redéfinition de la mort (de la mort cardio-respiratoire à la mort encéphalique par exemple), et laisse entrevoir toujours davantage de possibilités de vie parfois questionnantes (comme l’état état pauci-relationnel). Les processus de fin de vie, bien qu’également développés par les soins palliatifs, avec les notions de directives anticipées, de sédation profonde et continue, de décision collégiale ou encore de personne de confiance, sont des situations déjà éprouvantes en condition « normale ».

Qu’en est-il du bouleversement d’un système déjà sous vive tension, dont les alertes réitérées n’ont jamais été entendues, dont les « héros » d’aujourd’hui étaient les « ingrats corporatistes nantis » d’hier, lorsqu’une situation de sur-sollicitation exceptionnelle et durable comme le COVID19 vient l’éprouver ? Quand, dans l’urgence et l’incertitude, il faut réorganiser chaque engrenage de la mécanique sanitaire, de la médecine de ville aux services de réanimation de pointe, pour anticiper une vague titanesque qu’il faut aplatir (et absorber) mais qui frappera de plein fouet tôt ou tard ? Quelles parties de cette systémique de santé faut-il sacrifier pour répondre aux exigences actuelles, et accepter ainsi de perdre au moins une partie de la bataille pour ne pas perdre la guerre ?

Quelle place laisse-t-on alors à l’esprit critique, à la réflexivité et au temps de l’éthique, déjà bien raccourci en condition « normale » par les essoufflements du système français à l’agonie ? Comment prendre la mesure des décisions parfois expéditives de vie ou de mort sur le caractère réanimatoire des uns au détriment des autres, faute de moyens suffisants, de temps et d’espoir ? Comment déterminer quels critères relèvent de la vie, de l’espérance et de l’obstination raisonnable ; et quels sont ceux qui promettent plutôt à la mort, à la folie, au « gâchis » des ressources, et à quelque chose de l’ordre de l’acharnement thérapeutique déraisonnable ?

Et face à ces dilemmes que le temps ne laisse guère d’espace pour penser, il faut également composer avec l’épuisement, la détresse, et la résilience de professionnels de tout bord, sur tous les versants de la « guerre ». Il faut voir émerger le meilleur et le pire de la société humaine. Des esprits de solidarité applaudissant le soir, collectant masques et ressources vitales pour supporter les soignants et les plus démunis, acceptant de se confiner pour une durée encore indéterminée, constituant des fonds de solidarité pour les travailleurs empêchés, et des professionnels de santé reprenant du service et/ou venant prêter main forte aux équipes débordées. Mais aussi, des soignants virés de chez eux par la peur d’être contaminés, des soignants qui s’épuisent, des individus qui collectent pour eux des quantités astronomiques de masques qu’ils revendent parfois à prix d’or, des crapules politiques qui laissent le virus se rependre sur leur territoire sans chercher à protéger leur population ou à l’inverse ne cherchant qu’à protéger les leurs au détriment des autres, et des sauveurs mégalomanes autoproclamés sacrifiant la raison, la prudence et les valeurs du soin au profil d’une gloire personnelle en faisant un pari thérapeutique démesuré.

La promesse de la chloroquine sur des données encore trop vacillantes pour assurer une efficacité de façon certaine, incontestable et sécure, vient interroger là encore une éthique de l’urgence, ou une urgence de l’éthique. Bafouant les principes déontologiques, et les valeurs de la profession, le professeur se drape dans une cape de héros, tel Icare s’approchant du Soleil. Face à l’incertitude, à la complexité, à l’urgence, les mécanismes de défense des soignants mis devant leur impuissance prennent de nombreuses formes. Complexe messianique, idolâtrie déraisonnable, minimisation… Il peut être parfois rassurant de vouloir « agir » même si ce n’est pas efficace, pour se donner l’impression de « faire », quand bien même une analyse rigoureuse viendrait démontrer qu’il serait beaucoup plus néfaste pour le patient de se comporter de la sorte. L’histoire de la médecine pullule de ce genre de controverses : notre chloroquine du COVID19 d’aujourd’hui, n’est qu’une ciclosporine du VIH d’hier. Mais l’esprit humain semble plus complexe que factuel…

Et c’est dans la tempête qu’on se raccroche au moindre indice pour garder le cap. Un rayon de soleil lointain, un amoindrissement des bourrasques, un phare à bâbord, une grand-voile qui tient le coup, et le navire malmené poursuit son trajet dans la mer déchaînée. Les protocoles apparaissent ici, parfois, salutaires, comme un nœud rigide qui retient le cordage qui nous échappe de temps en temps. Malgré leur caractère changeant, au gré des avancées de l’épidémie, ils soutiennent l’expérience des marins sur le pont. Quand le beau temps reviendra, quand les vagues seront passées, il faudra saisir cette opportunité de penser. Saisir le kairos au cœur du chronos. Enterrer la hache de guerre pour mieux reconstruire la paix. Quitter l’urgence de l’éthique pour repenser une éthique de l’urgence, une fois de plus, et surement pas la dernière fois. Serait-ce ainsi que l’on ressent, que l’on pratique et que l’on vit l’éthique du soin ?

Blouses blanches – Idées noires

Dans l’amphithéâtre, il règne une ambiance indescriptible. Une tension discrète, mais palpable. Des sourires timides, forcés ou gênés. Comme s’ils n’avaient pas vraiment le droit d’être là. Comme s’il y avait eu une erreur. Comme s’ils étaient en train de rêver.

Ils ont à peine vingt ans, pour la plupart. Ils viennent de vivre une ou deux années infernales à travailler compulsivement des heures de cours sur des notions dont ils ne garderont l’usage que d’une infime partie : électromagnétisme, thermodynamique, botanique, biochimie des acides aminés, chimie organique, etc.. Et, après une série de concours à cocher des cases, alignés comme des oignons dans des salles immenses où chaque cliquetis de stylos résonnait religieusement, ils sont arrivés là, sagement, encore candides, en deuxième année de médecine.

Et, pendant quelques longues minutes (voir heures parfois), le défilé des administratifs, doyens, enseignants, leur présentera avec moult éloges leur faculté, les études médicales, chaque intervention suivant globalement le même plan : « bravo, vous êtes désormais en 2e année de médecine, vous serez bientôt dôôôcteur – présentation plus ou moins longue et incompréhensible – encore une fois, félicitations, et à bientôt, futurs collègues ». Comme si, le plus dur était passé. Comme si, désormais sacrés « dôôôcteur en devenir », ils ne pouvaient connaître que grandes joies et épanouissement infini. Comme s’ils avaient retenu un traître mot de l’organigramme de l’université, des sigles obscurs de DFGSM-truc, CFVU-machin, élus-BDE-BDA-bidule, BIPE-like-s’il-existe-pour-les-étudiants-« en difficulté », ECNi-R2C-tout-va-changer-de-toute-façon. On leur dit, en substance, que la vie est belle et qu’ils vont devenir dôôôcteur. Pourtant, selon le CNOM (bien qu’aucune référence officielle ne soit facile à obtenir sur internet), environ 20% des étudiants en médecine ne terminent pas leur cursus médical.

Justine mènera son premier cycle brillamment. Elle a réussi la PACES en une fois, et travaille assidûment ses cours. Elle va commencer son deuxième cycle par un stage en chirurgie, où elle passera ses journées à supporter les remarques les plus déplacées de ses collègues chirurgiens : « Je peux te bouffer la chatte en entrée », lui dira le PU-PH en se rendant au self. Un autre lui dira : « Pour le moment tu me détestes, mais bientôt ce ne sera plus le cas. Aujourd’hui tu me hais mais demain tu voudras faire l’amour avec moi. » en lui caressant la cuisse entre deux patients en consultation. En cours, elle entendra des enseignants plus ou moins jeunes leur dire : « Toute femme jeune en âge de procréer est une salope jusqu’à preuve du contraire. » ou encore « Le phéochromocytome c’est comme les femmes… Ça ment tout le temps ! » sous couvert de vouloir donner des moyens mnémotechniques… Entre le frotteurisme au bloc opératoire et autres violences sexuelles, Justine devra aussi faire face à la « banalisation » en raison du « folklore médical » qui justifierait ces délits.

Luc est un étudiant curieux. La biophysique et les statistiques n’ont aucun secret pour lui. Il est du genre à toujours poser une question qui dépasse du sujet du cours, pour le mettre en perspective avec d’autres notions, à lancer des hypothèses de fonctionnement ou de dysfonctionnements physiopathologiques, avec un goût certain pour la recherche. Il fatiguera les camarades qui vivent les cours, notamment « obligatoires », comme une corvée, ou qui ne supportent pas que les cours de préparation au concours se permettent de sortir de « ce qui est à savoir ». Il se trouvera confronté aux patients, à leur souffrance, à l’impuissance de la médecine sur bien des domaines, à l’incertitude qui déstabilise, surtout quand elle n’est pas réfléchie, à distance et en amont. Il connaîtra la descente dans les abîmes de l’humeur, vivant les gardes avec une angoisse toujours plus décuplée, lorgnant sur les flacons de médicaments en réanimation, voyant son esprit se remplir d’idées plus noires que les autres. Sonnant l’alerte auprès d’un camarade-ami, il sera hospitalisé un temps en psychiatrie, mûrira son projet professionnel, bénéficiera d’un accompagnement exceptionnel à la faculté, passera son examen national classant, et décrochera un poste en santé publique avec fierté. Il exercera désormais libre, heureux, et épanoui dans un univers de médecine, de chiffres, et de gens par milliers.

Amir est un garçon intelligent. Et c’est bien son problème. Tout l’intéresse. Ne sachant trop que faire après un bac « avec félicitations du jury », ses parents lui ont proposé de faire médecine, et il a décroché le concours sans grande difficulté. Mais voilà, le cursus allant, les cours de sémiologie le laissent indifférent. La physiologie l’ennuie. Oh, il réussit très bien ses examens. C’est d’ailleurs pour cela que les quelques personnes bienveillantes et investies en matière de pédagogie sont « passées à côté ». En fin de deuxième cycle, il a le sentiment d’errer entre les services hospitaliers, ne trouvant sa place nulle part. Il déprime, commence à s’enfermer chez lui, broie du noir. Et si quelqu’un était venu lui dire tout ce que la médecine offre comme diversité d’exercice ? Et si quelqu’un était venu lui dire que ce n’était pas grave d’interrompre ses études quand on s’aperçoit qu’elles ne nous conviennent pas, et qu’il était parfaitement entendable de faire autre chose ? Et si quelqu’un était venu lui dire qu’on pouvait prendre une année de pause, réfléchir à d’autres projets, cultiver son jardin, renouer avec sa passion grandissante bien que de découverte tardive pour l’architecture ?

Laura a mis deux ans pour décrocher la PACES. Elle est toujours un peu solitaire, jamais très bavarde, pas forcément timide mais souvent les sourcils froncés. Elle a des notes correctes, elle fréquente peu les associations étudiantes, les soirées, ou les sorties de façon générale. Elle gribouille souvent des symboles récurrents dans les marges de ses notes et se laisse facilement absorber, « la tête dans la lune », y compris face aux patients qu’elle rencontre pendant ses stages. Les encadrants la trouvent parfois « un peu bizarre », mais n’ont pas envie de s’embêter avec les signalements ou les invalidations pour un motif comme celui-là. Ils signent le carnet de stage et passent à autre chose, de toutes façons, les externes changent tous les 3 mois. Et c’est en plein milieu de son internat d’oncologie qu’elle fera son premier épisode psychotique bref, qu’elle récidivera plusieurs fois plusieurs mois plus tard. Arrêtée, diagnostiquée schizophrène, elle souhaitera poursuivre ses études, sera « réorientée » (plus ou moins contre son gré) vers une « spécialité de garage » entre biologie médicale et médecine du travail, enchaînera les décompensations psychotiques et, donc, les invalidations de stage, commencera à subir les effets de la dégradation cognitive, si bien que personne n’osera lui dire que son aptitude à devenir médecin sera clairement remise en question.

Ema a traversé la PACES avec un équilibre de vie parfait. Toujours attentive à son bien-être psychologique et physique, elle travaille bien, mais sans jamais se mettre de pression, et traverse ses études médicales dans cette dynamique. Elle choisit la meilleure spécialité (médecine générale), et traverse les stages avec cet état d’esprit qui lui réussit bien et que quiconque lui envierait. Jusqu’à ce que, petit à petit, la pression qu’on lui impose fasse pencher la balance. Ses semaines sont longues, 60h de travail en moyenne, avec parfois des semaines à 90 voir 100h lorsqu’elle doit réaliser plusieurs gardes et rester un peu plus tard le lendemain matin pour assurer une continuité des soins dans un centre hospitalier de périphérie, et que ses chefs lui font comprendre que, sans cet effort de sa part, ils ne pourront pas assurer leurs consultations et auront donc plus de travail. L’hôpital public connaissant un politiquement correct « temps de réaménagement des effectifs, des organisations du travail et le développement d’une politique managériale bientraitante », en d’autres termes, un grand manque de moyens et de personnel, elle doit assurer des missions chronophages habituellement dévolues à un poste de secrétaire médicale qui a été supprimé, et est sommée de demander moins d’examens complémentaires et de réduire la durée moyenne de séjour des patients qu’elle prend en charge pour « faire plus d’entrées ». Ses journées terminent de plus en plus tard, elle ne trouve plus le temps de se détendre en allant au yoga, rencontrer des amis, au musée et avec ses amoureux, et se retrouve un jour confrontée à son miroir lui renvoyant son image, amaigrie, abattue, et lorgnant du coin des yeux sur la boite entière d’antidépresseurs et d’anxiolytiques.

Alex est un jeune homme tranquille, qui traversera son cursus médical en même temps qu’il fera une découverte identitaire longue et progressive. S’assumant enfin homosexuel, il aura lui aussi à subir des quolibets aux violences les plus crasses. Il serrera les dents sur d’autres moyens mnémotechniques et représentations véhiculés par la profession, sur l’homosexuel VIH+ polyconsommateurs de substances et toujours à suspecter d’IST. Il devra se cacher de son orientation auprès de ses chefs de service par crainte des représailles et des moqueries. Et je ne vous parle même pas du parcours du combattant des personnes trans…

Et il y en a tant d’autres dont je n’ai pas parlé. L’associatif hyper-investi qui disparaît sans crier gare, et sans qui bien des choses à la faculté ne seraient pas. Le brillant silencieux qui mettra fin à ses jours en « surprenant tout le monde ». La personne originaire d’un autre cursus, qui après une passerelle se retrouve en médecine, et commence une longue dégringolade sans trouver d’accroche. La personne qui vivra des événements difficiles dans sa vie privée et qui ne trouvera aucun espace pour en parler. La personne harcelée. La personne en grande précarité. La personne souffrant d’une maladie chronique ou d’un handicap. La personne d’origine étrangère, ou qui vient de loin et se retrouve en métropole, coupée de sa famille et de ses racines. Tant d’autres, tant de situations, tant de chemins possibles vers la souffrance.

D’après une étude nationale que vous connaissez bien, sur un échantillon de 21.000 et quelques personnes allant de la 2e années de médecine aux dernières années du clinicat, les étudiants en médecine présentent pour deux tiers d’entre eux des signes d’anxiété PATHOLOGIQUE (je précise pour Jean-Michel N’en-manque-pas-une qui nous dira que soigner ça peut être angoissant), un tiers présente des signes de dépression, et un quart des idées suicidaires. Ce constat est multiple à l’échelle nationale, fait état d’un sur-risque manifeste quand on le compare à la population française de même âge, et est cohérent avec la littérature internationale sur la souffrance des étudiants/soignants.

Que cette même littérature expose des corrélations préoccupantes sur l’association entre l’augmentation du temps de travail et l’augmentation du taux de syndrome d’épuisement professionnel. Qu’on retrouve, dans les mécanismes avancés, de bonnes corrélations avec le manque de soutien des pairs, la pression administrative, le manque de moyens financiers institutionnels, le manque de reconnaissance… Et que cet état de mal-être, voir d’authentique souffrance, se solde par des arrêts, des suicides et des maltraitances que subissent les patients. L’omerta a été brisée, les ministères ont été saisis, un rapport du Dr Marra a été établi, le CNA s’est monté.

Mais les pouvoirs publics préfèrent distribuer des subventions à des associations SPSYXZ, dont les objectifs sont de soulager (les portefeuilles) des soignants en les appâtant avec un numéro gratuit pour être mis en contact avec un écoutant, qui pourra, selon une classification mystérieuse, les adresser à des consultations physiques dont les tarifs appartiennent aux professionnels (allègrement secteur 2). Ces subventions financent une communication audacieuse et grandiloquente : qui oserait s’en prendre à une association qui voudrait soigner les soignants voyons ? Le lobbying est efficace, la com’ aussi, et de grands noms disent oui en fermant les yeux sur cette mascarade vénale. Le site de ces structures est pourtant clair : l’objectif est d’ouvrir des cliniques privées spécialisées dans la prise en charge des soignants, quelle aubaine ! On peut donc d’emblée les orienter vers ce réseau privé, et leur promettre monts et merveilles et que grâce à leurs bons soins, tout va s’arranger. Depuis une première apostrophe sur twitter, une structure bien connue a fait mystérieusement disparaître ce projet de création de cliniques privées de leur site internet…

Donc, le curatif à tout prix, parce que c’est rentable, et qu’en plus, l’état ne paye pas. Enfin, si, la communication du privé, mais c’est semble-t-il acceptable. Par contre, investir dans le CNA, dans les facultés pour qu’elles mettent en place des structures d’accompagnement efficaces, non stigmatisantes, non psychopathologisantes, portées sur le développement professionnel et personnel de tous les étudiants en santé (pas seulement les étiquetés « difficiles »), sur la prévention, sur l’orientation, sur la réflexion pédagogique et la formation des formateurs, pour permettre aux Justine, aux Luc, aux Amir, aux Laura, aux Ema, et à tous les autres inconnus des bancs de l’amphithéâtre dès le début de leur formation de soignant, de faire ce chemin avec tout le soutien qu’iels dispenseront au centuple à leurs patient.es : non ? La logique capitaliste court-termiste a ses limites. En attendant, des gens meurent, faute d’accompagnement, faute de respect des conditions de travail, faute d’un investissement dans le champ de la santé et de l’éducation, faute d’une gestion appropriée des ressources publiques, et faute d’annonces qui ne sont jamais suivies d’actions réfléchies.

Quand les soignants s’effondrent, ce sont les patients qui sombrent. Nous sommes tous dans le même bateau. Et nous coulons.

PS – en cas de difficulté, quelle qu’elle soit :

  • Numéro vert gratuit et à but non lucratif du conseil national de l’ordre des médecins en cas de besoin pour tout interne/médecin : 0800 288 038.
  • Rapprochez-vous de votre structure facultaire locale si elle existe en cas de besoin.
  • Les professionnels de santé peuvent vous aider : médecin généraliste, psychiatre, psychologue…
  • Les proches, amis, collègues sont autant de ressources pour vous accompagner.
  • Un site d’informations sur le bien être, l’orientation, les structures d’accompagnement… officiel et institutionnel, sans objectifs mercantiles, j’ai nommé le CNA (Centre National d’Appui à la qualité de vie des étudiants en santé) : https://cna-sante.fr. A visualiser sans modération.

Sources (non exhaustives) :

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  • https://payetablouse.fr/ 

Examen clinique

René Théophile Hyacinthe Laennec, inventeur du stéthoscope, en pleine auscultation.

Conscient et adapté, vigile et orienté.
Constantes bien normées, bonne hémodynamique.
Bruits du cœur réguliers, sans souffle et eucardiques,
Pas de pointe déviée, tous les pouls sont palpés.

Ventile en air ambiant, normopnée, eupnéique,
Au son des murmures, audibles, symétriques.
Abdomen souple, dépressible indolore,
Pas de cicatrice sur l’ensemble du corps.

Lucide et cohérent, pupilles réactives,
Sans aucun déficit sensitivomoteur,
Réflexes un peu vifs, petit moment rieur.

Des pieds à la tête, la clinique attentive
Fait le tour d’un être, et d’un autre contact,
Rencontre deux âmes au sein d’un précieux pacte.