Le Docteur et le Labo

Maître Docteur, sur son titre perché,
Tenait en sa main un pouvoir,
Maître Labo, par le gain alléché,
S’arma de cadeaux pour le voir :
« Et bonjour, Seigneur Médecin,
Voici quelques présents, que vous ne craigniez rien !
Sans mentir, si vos prescriptions
Se rapportent à nos incitations,
Vous seriez le Phénix de Nature et du soin. »

A ces mots le Docteur invite ses adjoints,
Et ses étudiants pour une démonstration :
Il écrit l’ordonnance avec application.
Le labo s’en saisit, et dit : « Mon bon Docteur,
Apprenez que toute erreur
Ne serait que purement fortuite. »

Et quand les patients meurent, le labo est en fuite !
Le docteur honteux et confus
Jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus… ?

Inspiré, bien sûr, de la fable Le Corbeau et le Renard de Jean de la Fontaine.

Pour aujourd’hui et pour demain

L’heure du marathon gastronomique a sonné. C’est le moment de faire le plein de lipides, de sel, et, si possible, de joie. C’est le temps des sapins colorés, des cadeaux par milliers, de quelques situations incongrues, aussi. Qui n’a jamais vécu un réveillon de Noël un peu étrange, une grosse annonce ou altercation, une mauvaise nouvelle ou un peu de solitude, du moins, loin de ses proches, par exemple, dans le service grouillant et bizarre, cette nuit-là, des urgences ? Ou encore, le 31, se retrouver perdu dans une soirée insolite, invité par un ami d’un ami que connaissait un ami, si bien qu’on compte tout seul dans sa tête les dernières secondes de l’année qui s’en va, avant de recevoir les 42 mille textos de proches et moins proches les trente prochaines minutes.

Ce mélange de magie, de bizarrerie et d’espoir, c’est une pincée de sel dans cette soupe insondable de la vie. C’est l’occasion, puisqu’on a le sentiment d’achever quelque chose et d’en démarrer une autre, au moins sur le calendrier, de faire le point sur son existence, et, peut-être un peu naïvement, de se fixer quelques directives à suivre. Mais plutôt que des directions, ces fameuses « résolutions » que l’on tient si rarement, pourquoi ne pas simplement se laisser aller à souhaiter, espérer… rêver ?

D’abord, je souhaite au monde un peu de bon sens. Parce que la paix, c’est illusoire peut-être et réservé aux Miss France. Mais simplement un peu de bon sens. Que nos politiques, par exemple, soient un peu plus philosophes que fanatiques, et se souviennent de leur mission de dirigeant-représentant. Que les citoyens se rappellent que le pouvoir vient d’eux-mêmes et qu’il doit viser à la préservation de l’intérêt des hommes ET des femmes, dans le respect des valeurs de l’humanité, ces mêmes valeurs qui, à ma connaissance, n’interdiront jamais à deux femmes, deux hommes ou deux indécis.e.s de s’aimer ; ces mêmes valeurs qui rejettent toute forme de xénophobie, grossophobie, racisme et, plus que jamais, de haine, de violence et de brutalité ; ces mêmes valeurs qui, pas toujours faciles à honorer, contribuent à faire de chacun de nous des êtres plus accomplis, et ainsi, à hisser l’humanité vers un sommet toujours plus haut. Car s’il n’est pas possible d’être parfait, il est toujours possible de se perfectionner. La finalité, ce n’est pas le but, mais le chemin.

Ensuite, j’espère, face à ce qui m’entoure, déjà, que celles et ceux qui assurent gardes, astreintes et autres obligations de service public savent qu’ils ont toute ma reconnaissance et mon soutien. On ne vous oublie pas, et on pense à vous. J’espère également que celles et ceux qui font face à une situation douloureuse, complexe, difficile ou étrange trouveront le courage de s’y confronter encore, que cela soit en eux-mêmes ou auprès d’êtres chers. Les liens qui nous unissent les un.e.s aux autres ont ceci de magique, entre autre, qu’ils entretiennent la vie, plutôt que la seule survie. J’espère aussi me faire pardonner de toutes celles et ceux que j’aurais pu blesser. J’ai une pensée particulière, évidemment, pour toutes ces « shitstorms » twittérales, où certains mots ont pu être dit, et, 140 caractères aidant, être mal pris, dans un sens comme dans l’autre. Je citerais par exemple Stockholm (@Taltyelemna), qui ne me lira probablement pas mais si quelqu’un peut lui transmettre ; Le Druide (@panarmorix) pareillement ; CoVerSyl (@Monparnal) surement aussi ; Christian Lehmann (@LehmannDrC) probablement ; Fluorette (@fluorette) tristement ; Mathias Wargon (@wargonm) que je remercie pour des échanges toutefois constructifs malgré tout ; et d’autres auxquels je ne pense pas dans l’instant, mais ce qui ne rend pas moins grave le mal qu’un de mes écrits/twitts aurait pu produire. Ces excuses sont sincères. Dans la vraie vie, si vous me connaissiez, vous pourriez constater que je ne suis clairement pas du genre à chercher le conflit, la souffrance d’autrui, ni à imposer mes idées ; mais plutôt, dans une approche de co-discussion (et j’insiste sur le « co »), de remise en question perpétuelle (surtout de moi-même) et de curiosité à l’égard des autres.

Enfin, je rêve, déjà tout simplement d’un twitter apaisé, où les « shitstorms » ne seront plus des « shitstorms » mais vraiment des occasions d’échanger. Ou chacun saura garder son agressivité, même si souvent, peu sont agressifs pour être agressifs, mais simplement parce que les sujets abordés nous tiennent à cœur, et l’urgence/l’importance du sujet nous précipite. Les réseaux sociaux sont une forme de caricature à l’extrême sous l’angle de notre narcissisme, et l’impression de liberté d’expression qui y règne est sans doute à l’origine de débordements. Sans faire face aux visages de nos millions d’interlocuteurs potentiels, comment appréhender cet instant, ce kaïros où l’on va trop loin, où la blessure entaille la chair, et où les larmes de tristesse ou de rage peuvent couler ? Ecrire pour être lu, lire pour écrire. Cela devrait peut-être faire place à échanger pour échanger. Echanger pour mieux soigner, car je crois mieux soigner grâce à vous toutes et à vous tous, échanger pour mieux aimer, car sous toutes ses formes, l’amour nous lie les uns aux autres, et c’est peut-être le rêve le plus magique et pourtant réaliste qui soit. Alors, pour terminer, je voudrais remercier non seulement mes proches (JV, best-trésorier-ami ever, Eranea qui assure comme co-externe et amie, Lulu-e pour sa douce folie et son amitié, Raph pour son courage dont il saura faire face pour aller mieux et son amitié, Levé-du-jour avec le label du meilleur cadeau d’anniversaire depuis 24 ans, et bien d’autres encore dont un Grand-nouveau-chat-adorable et donc adoré), ma famille évidemment qui a besoin de temps et de courage pour se remettre de ses fragmentations, mais aussi, dans le désordre : Florence (@Babeth_AS), @ElvireBornand, @Dupuis_sandra, Christine (@GeluleMD), Irulan (mystère) pour, le #MedEdFr mais pas seulement, toutes des personnes formidables ; @BeaulieuBap pour une très belle rencontre et une amitié déjà précieuse ; @docteurniide aux échanges toujours fascinants – une rencontre quand tu veux ! ; @ClaraDeBort évidemment, pour montrer que de vrais échanges soignants directs et indirects sont possibles pour le bien de tous ; @Formindep pour le rêve d’une médecine libérée de l’emprise de @JeSuisBigPharma (bien qu’il nous fasse beaucoup rire, ce compte-là) ; @HygieSuperBowl aux réflexions torpilles mais pertinentes ; @docfak @Dr_Chaton, @Stabilo Boss, @Globbelyne, @Robin_ANEMF, @SolenneVASSE, @Quentin_ANEMF et toute la ribambelle d’étudiant.e.s en médecine de twitter ; @MartinWinckler avec cette belle rencontre, ces échanges et, cette grosse partie de ma vocation que je te dois ; @Fluorette et @docteurgece pour nos IRL et la planche de charcut’ qui n’y a pas résisté ; @SylvainASK, notamment pour le 1er DM que j’ai reçu et qui disait « La plume ou la blouse ? je dirais la plume ET la blouse, ça apporte un peu d’humanité à la technicité 🙂 » : marion (@solenus) bien sûr ; et de nombreux médias qui m’ont contacté (@jimweb @egoraFR @leQdM @WhatsUpDoc_mag et @LeHuffPost) et m’ont permis de proposer quelques réflexions ; et bien d’autres encore comme Qffwffq (@qffwffq) avec qui (mais je dirais presque HEUREUSEMENT) on n’est pas toujours d’accord, mais qui, en plus d’avoir du répondant constructif, comme tout bon neurologue, entretient le mystère quant à savoir si vous les ennuyez ou s’ils vous tolère quand même ;). Je pense également à @Dzb_Dix_sept et ses poèmes, @Dr_Boree, @BruitDesSabots, @Martinez_J_, @DocArnica, @bellezebut75, @agathetournesol, @RomainEugene (bien sûr ++), @SNJMG (quand même J), @Nicolas_C4, @AnneAdamPluen, @_ccilie, @Leya_MK (comment oublier mon âme jumelle ?), @PiR2_BA, @garsanis, @Galatee et tellement d’autre que ce post deviendrait beaucoup trop long.

Ah oui, quand même, un dernier rêve : devenir un médecin pas trop mauvais. Du coup, je retourne travailler. Et je vous souhaite à tous de joyeuses fêtes de fin d’année !

La Manif pour TOUT

Que cela soit pour lutter contre le mariage gay, interdire l’IVG ou, peut-être bientôt, un film d’animation jugé « pornographique », certaines organisations manifestent à tire-larigot, arguant la défense d’une opinion collective. Face à ce genre de motifs, on ne peut que constater l’écart depuis les « manifestations » de 1789 à la conquête d’une République, ou, plus récemment peut-être, celles de Mai 68, à l’origine d’une « société post-moderne ». Alors, si on remet à sa juste place La Manif pour tous (c’est-à-dire, bien loin d’ici, merci), on peut peut-être se poser la question de la Manif pour Tout.

Qu’est-ce qui justifie que, parce que notre vision du monde est plus ou moins étriquée, l’on puisse défiler dans la rue pour interdire et protester contre des droits qui ne nous concernent pas directement et n’introduisent aucune forme d’inégalité entre les êtres humains ? Qu’est-ce qui permet à Monsieur Untel, catholique hétérosexuel pratiquant (mais pas trop souvent, c’est péché) et né une cuillère en argent dans la bouche (et pas ailleurs), de se battre corps (pas trop) et âme pour interdire à Mademoiselle Unetelle, issue d’un milieu défavorisé, violée, violentée et j’en passe, de recourir à l’IVG ? En quoi est-il légitime que Madame Machin, fière militante du Sens Commun, face défiler ses enfants en leur faisant porter des bannières aux slogans charmants tels que « un papa, une maman » ou « on s’est battu contre les pédés, on se battra contre l’IVG », alors même qu’une interdiction (du mariage) des personnes de même sexe ou l’interdiction de l’IVG n’aura pour elle comme conséquence, au mieux, de la faire se sentir plus confortable avec l’idée merveilleuse qu’elle a de son petit monde parfait ; alors même que ces gens privés de droits se verront attaqués sur leur légitimité à aimer, se verront stigmatisés et seront les proies d’une homophobie socialement acceptée (et rappelons que si être homophobe permet de gagner les primaires de droite, l’homophobie, entre les agressions et les suicides, tue) ; enfin, vous souvenez-vous des temps où l’IVG était techniquement possible mais interdite ? Vous en voulez encore des femmes qui meurent d’endométrite séquellaire des « faiseuses d’anges », des aiguilles à tricoter mal désinfectées, des réseaux clandestins parfois hors-de-prix… ?

Les clichés sont volontairement utilisés, certes, mais toute ressemblance avec une situation réelle ne serait que purement fortuite. Au-delà de ces considérations personnelles à peine orientées, une question se pose : qu’est-ce qui rend légitime une manifestation concernant les droits d’autrui, quand ceux-ci n’ont aucune conséquence directe sur ma propre situation ?

Rappelons que le droit de manifester n’existe pas, à proprement parler, dans le droit Français ou la Constitution. Les quelques conditions juridiques qui s’y appliquent sont notamment l’obligation de déclarer une manifestation dans un délai précis, et certaines conditions de faisabilité (risque de trouble de l’ordre public sans moyen d’encadrement, situation exceptionnelle ou si ses mots d’ordre sont contraire à la loi). Alors, la loi autorise-t-elle une manifestation dont le motif derrière l’hypocrisie politiquement correcte de défense des enfants ou de l’institution du mariage est celui de l’homophobie ?

Pour revenir à la question d’origine, la présence même d’un début de condition « quand ceux-ci n’ont aucune conséquence directe sur ma propre situation » évoque la nécessité de critères qui distingueraient une manifestation « légitime » d’une manifestation « illégitime ». Comment ne pas virer à une forme de totalitarisme par répression de la liberté d’expression ? Sommes-nous revenu à l’éternel débat entre éthique conséquentialiste et éthique déontologique ? En effet, en médecine par exemple, quand il faut justifier un acte thérapeutique, la notion de balance bénéfice/risque se confronte à (ou se renforce par) certains principes dont primum non nocere pour argumenter l’attitude choisie. Quid de la manifestation portant atteinte aux droits de femmes et d’hommes que je ne côtoie pas et dont les limitations que je cherche à leur imposer n’affecteront au mieux que l’idée du monde parfait auquel je rêve la nuit ? (Revendication déontologique versus contre-arguments conséquentialistes). Mais alors, si je suis un homme, comment justifier ma participation aux manifestations pour le maintien du droit à l’IVG ? (Revendications conséquentialistes versus contre-arguments déontologiques).

Au-delà même des arguments de chaque débat, la question de fond (qu’est-ce qui justifie une manifestation ?) reste entière… et bien délicate. C’est un enjeu démocratique majeur si les majorités (ou les plus bruyants) s’octroient le droit de dissimuler les minorités, pourtant premières concernées par les effets des revendications disputées.

La même réflexion en vers : Manifestation

Manifestation

Tu dis le monde tel que tu voudrais qu’il soit
Pas le moindre pastel, pas d’écart à tes lois
Il n’y a de l’amour qu’à ceux qui te ressemblent
Sans le moindre recours, tous les non-aimés tremblent.

Parce que ta vision, éblouie de principes,
En oublie la raison dans tes discours publiques,
Dans tes condamnations de ces personnes-types,
Dont la seule exaction : un amour atypique !

Un amour, c’est certain, qu’à défaut de comprendre
Tu ne peux tolérer : « On pourrait se méprendre !
On commence à céder… et l’on se fait surprendre !
Ce mariage malsain… puisse-t-on le reprendre ! »

Te voilà dans les rues qu’il te faut purifier
De tous ces malotrus qui souillent tes idées
Ton discours défenseur, politique exigence,
Est soldat de valeurs, de famille et d’enfance.

Et dans tes mots violents tu défendrais tes droits,
En privant ceux des gens, rien qu’au nom de ta foi ?
En mettant tes enfants, les pancartes dressées,
Des Jésus avançant, de leur croix bien chargés ?

Dis-moi, noble héros, héraut de la patrie,
Vois-tu dans tes grands mots, cet invité non-dit
Ce rien d’homophobie que tu rends acceptable
Qui tue la tolérance et l’amour véritable.

Cet amour que chacun est en droit d’accorder,
Ou bien de recevoir, et sous toutes ses formes ;
Au moins à son prochain, au mieux à son aimé.e
Le cœur libre d’avoir un penchant « non conforme » !