Le secret pour bien intuber…

Intuber. Ouvrons un gros ouvrage (l’externe en médecine en ouvre tous les jours certes, mais ça lui fait du bien de changer un peu de « matière » sans être trop dépaysé… ils sont fragiles, un peu, les carabins), j’ai nommé, le Larousse. Deux points, ouvrez les guillemets :

« En réanimation et en anesthésie, introduction dans la trachée d’un gros tube assurant la liberté des voies aériennes supérieures, permettant la ventilation artificielle, la protection du poumon et l’aspiration des sécrétions bronchiques. ».

Pour le bien de la métaphore à venir, supprimons « en réanimation et en anesthésie ». Le but est de viser large. La précision « dans la trachée », ne convient pas à la suite du propos. Je vous propose une version soft où vous supprimez ces mots, et une version plus hard, où vous choisissez un orifice de votre anatomie quel qu’il soit. Je crains pour les futures requêtes de moteurs de recherche qui donneront un lien vers cet article, de fait, je vous laisse imaginer par vous-même. Rayez trois fois en rouge fluo « assurant la liberté ». Puis supprimer le reste. Cela nous donne : « Intuber : introduction [où vous voulez] d’un gros tube ». Nous allons pouvoir commencer.

La formation médicale, ça date. D’aussi loin que l’histoire nous permet d’aller, à l’aube de l’humanité, médecine, religion et magie étaient étroitement liées. La transmission du « savoir » se faisait par tradition orale. Quelques textes référençaient les connaissances, comme le Papyrus Ebers ou le Code d’Hammurabi. Toute la tradition de l’Ayurveda, ancienne médecine chinoise qui trouve encore des applications aujourd’hui se retrouve également il y a 5 mille ans. En Grèce arrive Hippocrate, un asclépiade, c’est-à-dire disciple d’Asclépios, fils d’Apollon. Il suggère que les maladies ont des causes naturelles et, dans la logique grecque de l’époque, le Logo, il diffuse son savoir, il dialogue, il réfléchit. Après lui, deux écoles s’affronteront, les empiristes (adeptes de l’expérience) et les dogmatiques (fanatiques de la théorie pure). Plus tard, Galien, médecin romain des gladiateurs, reprends les idées d’Hippocrate. Dans un contexte où Rome organise l’enseignement médical et la déontologie. D’autres écoles s’opposeront à Galien, notamment les épicuriens, répartis en atomistes et méthodistes (ces derniers déclarant que la médecine s’apprenait en 10 mois et qu’elle se résumait à percevoir les signes des maladies pour installer le traitement adapté : toute recherche d’une étiologie, d’une cause, étant une perte de temps). On arrive à une longue période où la médecine stagne, au cours du Moyen-âge. Sauf dans le monde arabe, où Razi, Avicenne, Al Nafis, Averroès ou Maimonide et bien d’autres redécouvriront Hippocrate entre mille autres choses. En occident, on passe d’une période monastique où les moines pratiquent la médecine à base de la prise du pouls, du mirage des urines et de beaucoup de mysticisme. L’école de Salerne, au XIème siècle est la première à imposer au médecin un diplôme. Au XIIème siècle, le Concile de Tours de 1163 ferait dire ces mots à l’église Ecclesia abhorret a sanguine (l’église a horreur du sang), interdisant aux moines la moindre chirurgie. Une chirurgie qui, à l’époque, est souvent le gagne-pain de charlatans, où reléguée aux barbiers très méprisés. Ces derniers, par le biais de Pitard, fonderont la Confrérie de Saint Côme, première faculté de chirurgie reconnue par Philipe le Bel au XIVème siècle. Du côté de la médecine naissent les facultés de Montpellier (1220) et de Paris (1253) aux enseignements très opposés : l’une est ouverte, laïque, hippocratique là où l’autre est religieuse et dogmatique. A la renaissance, l’imprimerie casse le secret des savoirs médicaux partagés jusqu’alors par le biais des ouvrages recopiés à la main par les moines-scribes. Naissent les écoles d’anatomie, de grands noms trouvent leur renommée : Léonard de Vinci, Vésale, Paré, Paracelse…

Au 17ème, c’est une révolution scientifique avec Galilée, Newton, Harvey (circulation sanguine), Descartes, Jansen (1er microscope), l’essor de la physiologie. Les hôpitaux voient le jour pour enfermer les patients contagieux, incurables et tous les marginaux de la société. Les médecins sont critiqués dans les écris de Molière… Au 18ème : la vaccination (E. Jenner), la chimie (Lavoisier), les chirurgiens deviennent docteurs, Galvani et Volta se foudroient du regard, la percussion trouve sa place dans l’examen clinique. Des sociétés savantes (académies) se développent, l’enseignement au lit du malade également. A la fin du 18ème et durant tout le 19ème, Bichat provoque la révolution anatomo-clinique en encourageant les étudiants à disséquer les cadavres des patients décédés pour comprendre la raison de leur décès. Laennec révolutionne l’auscultation par le stéthoscope. Pasteur révolutionne le monde entier et des instituts se créent en portant son nom.

Et alors ? Alors, l’histoire nous montre qu’on parle beaucoup de l’évolution de la médecine à travers les âges, mais bien peu du cursus médical. On devine bien des débuts expérimentaux, très vites en querelle avec une vision plus théorique de l’art médical. On sent le désir d’encadrement par un diplôme, une formation. Les siècles récents laissent percevoir ce goût des médecins pour la recherche, le progrès. Jusqu’à l’ancien régime, l’enseignement était très scolaire, très théorique. En 1803, une loi met en place des écoles de médecine (devenues facultés en 1808). On a les officiers de santé, ayant appris sur le terrain et les docteurs en médecine ou chirurgie des facultés. Puis lors du 19ème siècle, on met en place deux concours : l’externat et l’internat. Purement théoriques. Seuls les étudiants reçus au concours de l’externat peuvent prétendre au concours de l’internat. C’est l’élitisme. En 1958, le statut de PU-PH est inventé pour éviter la fuite des grands praticiens dans le privé. L’enseignement reprend à l’hôpital. En Mai 1968, on supprime le concours de l’externat, on réconcilie la pratique et la théorie dans une formation où les matins sont occupés par des stages hospitaliers et les après-midi par des cours à la faculté. D’ailleurs, on ne devrait plus dire « externe », les textes les désignant désormais comme « étudiants hospitaliers ». Il n’y a plus qu’un unique cursus universitaire en 1984. Puis on fait une belle bêtise, à savoir qu’en 1971, on met en place le numérus clausus à l’issue de la première année de médecine. Wikipédia cite ces objectifs :

  • Réglementer le nombre de professionnels diplômés donc le nombre de professionnels en activité.
  • Réglementer le nombre de prescripteurs afin d’alléger les dépenses de la sécurité sociale.
  • Limiter le nombre d’étudiants dans des filières avec beaucoup de stages, dont la qualité serait amoindrie par un surnombre.
  • Assurer une capacité de travail et de mémorisation maximales par une sélection drastique, dans l’optique d’études longues et difficiles.

Je ne commenterais pas. Je n’ai ni le recul suffisant, ni les compétences pour, même si mon instinct me dit que tout ça ne tourne pas très rond. Mais ça ne s’arrête pas là. Dans les années 1990, on impose à tous les étudiants en médecine de faire l’internat pour se spécialiser. Jusqu’en 2004, la médecine générale n’est pas considérée comme une spécialité, désormais oui. Puis en 2010, ils créent la première année commune aux études de santé, la PACES, qui réunit les premières années de pharmacie, médecine, maïeutique, odontologie, kinésithérapie et d’autres filières dans un joyeux concours qui, j’en suis certain, contribue à renforcer les liens entre ces corps de métiers qui se sont toujours, de tout temps, fait de gros bisous baveux.

L’une des nouvelles idées en ce moment, c’est de changer un peu ce qui se passe durant l’internat. Actuellement, si on récapitule toute la formation médicale actuelle depuis le commencement, après s’être tapé une année débile de sélection stupide en PACES, l’étudiant passe 2 ans de formation plus « tranquilles » (en terme de pression de sélection puisqu’il suffit de valider ses examens pour être admis dans l’année supérieure). Au bout de 3 ans, l’étudiant valide un Diplôme de Formation Générale en Science Médicale (DFGSM). Puis il entame 3 années d’abrutissement où il enchaine les matinées de stages et les cours à la faculté pour apprendre 300 et quelques items de pathologies, parfois très long (100 belles pages pour le diabète, « par cœur ») : c’est l’ex-externat. Tout ça pour passer un Examen Classant National (ECN) qui, selon son classement, lui donnera le choix de sa future spécialité et de son lieu de formation. L’interne, victorieux à l’ECN, alterne des stages de 6 mois dans un cursus déterminé selon la spécialité qui l’intéresse pour se former à être le médecin de ses rêves…

Et donc bientôt, grâce à une extraordinaire réforme pondue par un gouvernement en crise hémorroïdaire, l’interne pourra voir sa spécialité changer en cours de route parce qu’un administratif dit « coordonnateur » en décidera autrement, car ce type sera jugé compétent pour dire si l’interne a le profil ou non. Il choisira ses stages, sa « sur-spécialisation », et si l’interne n’est pas vraiment d’accord, il aura tout le droit et le plaisir d’aller se faire voir. Au bout de 2 ou 3 ans, l’interne sera nommé « interne sénior ». Il aura les responsabilités d’un chef de clinique assistant (période actuellement réalisée éventuellement après l’externat, à raison de 2 à 4 ans dans un service, souvent tremplin à un titre de praticien hospitalier accessible sur concours), mais sans le tremplin, sans les compétences, et sans le salaire, bien sûr. En clair, même après 6 à 7 ans de parcours et 2 concours, vous ne saurez toujours pas ce que vous allez faire exactement et vous ne serez pas un tant soit peu maître de votre devenir. Tout ça pour répondre à des questions démographiques absurdes par la façon dont on les aborde et surtout dont on propose de les corriger. Et les revendications de #PrivésDeDesert (http://www.atoute.org/n/Medecine-Generale-2-0-Les) ? Et l’intérêt des concours ?

Ah oui, en ce moment aussi, l’ECN cherche à se réformer. Histoire de faire plusieurs conneries d’un coup. L’objectif, c’est de permettre à 8000 candidats qui étaient classés jusqu’alors sur via des dossiers bien plus pertinents car sur tablettes (adieu radio mal imprimées ininterprétables, réponses des premières questions suggérées par la suite du dossier, et écriture illisible…). Ca part d’une excellente chose, élargir le classement devant le pourcentage très élevé d’ex-aequo. L’idée aussi, c’est de virer la rédaction manuscrite par un système de QCM. Oui, de questions à choix multiples. Comme en PACES. On coche des cases et si on a coché les bonnes, on a gagné. Parce que les patients, ils viendront vous voir et termineront leur dialogue par « Vous pensez que j’ai : A. Un rhume ; B. Une bronchiolite ; C. Un cancer des vois aéro-digestives supérieures ; D. … ». Mais s’il n’y avait que ça. On nous avait promis de belles images, quelques questions ouvertes attendant une petite phrase que l’on aurait tapé, sans propositions à cocher. On nous avait vendu un peu de pédagogie autour de cette réforme qui fait surtout économiser pas mal de temps/d’argent de correction. Et bien la pédagogie s’envole et les économies grossissent. Comme souvent…

Voilà, vous savez intuber les gens vous aussi. Faîtes-leur des promesses, mais surtout, ne les tenez pas.

Comme il faudrait apprendre

Comme tu m’as proposé, légèrement, entre deux heures perdues au milieu de la nuit.
Comme tu m’as souris, gentiment.
Comme j’ai bredouillé, bêtement, que je ne savais pas, que je n’avais jamais fait, que ça me stressais.
Comme tu m’as dit qu’au pire, ça raterait et qu’on ne réussissait pas à tous les coups.

Comme l’heure est venue, la nuit suivante.
Comme tu m’as encouragé en me disant que si on ne s’y attaquait pas, on ne le ferait jamais.
Comme tu m’as expliqué, simplement et doucement.
Comme je t’ai écouté, simplement et efficacement.

Comme cette tubulure se prenait pour une veine.
Comme ce cathéter coulissait si particulièrement.
Comme on procède, étape par étape.
Comme on manipule, geste par geste.

Comme tu m’as tendu le garrot, expliqué la technique.
Comme j’ai bidouillé, à te faire bien rire.
Comme on a recommencé, sans jugement ni précipitation.
Comme j’y suis arrivé, sans mal ni pression.

Comme tu m’as tendu le bras avec un grand sourire.
Comme je n’ai pas tremblé.
Comme tu me guidais, délicatement.
Comme j’ai avancé, précautionneusement.
Comme j’ai repéré ta veine, qui bien visible, me facilitait la tâche.
Comme j’ai lâché le garrot qu’on aurait dit un habitué.
Comme j’ai piqué, sans trop d’appréhension.
Comme le sang a coulé dans le repère du cathéter.
Comme j’ai retiré mon aiguille et glissé une compresse.
Comme j’ai maintenu ta veine pendant que je branchais la tubulure.
Comme j’ai injecté pour ne pas voir de gonflement.
Comme j’ai aspiré pour regarder ton sang.
Comme j’ai posé le scotch et le film collant.
Comme tu as déclaré que c’était excellent.
Comme tu m’as assuré que « j’étais tout à fait capable ».
Comme tu as balayé la moindre de mes angoisses sur les gestes techniques.
Comme tu m’as surpris en me disant ne pas avoir eu mal.
Comme on a poursuivi en retirant le dispositif.
Comme on suivait tes indications calmes et posées.
Comme on a progressé sans se presser.
Comme on s’en est sorti sans douleur ni maladresse.

Comme tu m’as montré les secrets de la pose d’une perfusion, d’une dilution, et tant d’autres encore.
Comme j’ai réalisé une fois de plus que les médecins, souvent, ne savaient rien de tout cela.
Comme j’ai refais le vœux de rester humble.
Comme j’ai aimé ces heures nocturnes, au sommet d’un hôpital, entre deux paires d’yeux et une tubulure percée.

NEJM : Nouvelle Etude d’un Journal Maison

Sémiologie du syndrome de l’étudiant en médecine : des éléments nouveaux

Litthérapeute

______Introduction

L’étudiant en médecine est un étudiant un peu particulier. Déjà engagé dans un circuit complexe, difficile, semé d’embuches, on peut réellement parler d’étudiant en médecine à partir de la DFGSM 2 (2ème année). Rappelons brièvement le schéma général de ces études en pleine réforme (pour la signification des acronymes, voir (1) dans les références bibliographiques en fin d’article) :

Schéma Général des Etudes Médicales

Annexe 1 : Schéma Général des Etudes Médicales

Au cours de ces 6 + w + x + y + z + ϵ années d’études (w étant un entier compris entre 0 et 1 correspondant au nombre de PACES effectué, x étant le nombre de redoublement au cours du cursus de l’étudiant dans la filière médecine comprenant également d’éventuelles années sabbatiques, y étant le nombre d’années durant l’internat, et z le nombre d’années suivant l’obtention d’une thèse où le normalement « docteur » peut encore être considéré et se considérer comme un étudiant en médecine, ϵ permettant de prendre compte d’éventuelles erreurs), l’étudiant en médecine développe une symptomatologie qui lui est propre. La variabilité du tableau clinique est assez vaste, mais des éléments semblent converger comme le montrent quelques études (2).
Mon travail suggère l’existence d’un nouveau symptôme dans ce syndrome.

______Matériel & Méthodes

Etude rétrospective portant sur une cohorte d’étudiants en médecine d’une faculté au cœur de la France (promotions : DFGSM 2, DFGSM 3 regroupées sous le nom « DFGSM ») et n’en déplaise à l’ANAES, oui, c’est du niveau 4, preuve de niveau C.

Table 1 : Population étudiée

Table 1 : Population étudiée

Les sondages ont été élaborés selon la technique « fait maison pour faire joli » et les tests statistiques sont basés sur le test « Ca fait joli dans mon gros délire » (abrégé CFJDMGD).

______Résultats

Pour commencer ce travail, il a été demandé aux étudiants sur quel support ils se basaient pour préparer leurs examens (figure 1).

Figure 1 : Source pour réviser

Figure 1 Source pour réviser

On observe une nette tendance à l’utilisation de la « Ronéo » pour réviser ses cours. De quoi s’agit-il ? Il est question d’un système mis en place par les étudiants de la promotion qui attribue à chacun un ou deux cours auxquels il doit obligatoirement assister afin de le retranscrire le plus fidèlement possible. La retranscription est envoyé à un groupe coordonnateur qui se charge de compiler l’ensemble des retranscriptions et d’en faire une impression hebdomadaire qu’il distribue à l’ensemble de la promotion.
Pourquoi la réponse « notes personnelles » n’a-t-elle pas été proposée ? Nous avons demandé aux étudiants s’ils allaient en cours sachant qu’une réponse positive impliquait une présence à au moins 60% des enseignements (figure 2).

Figure 2 - Présence des étudiants en cours

Figure 2 – Présence des étudiants en cours

Ainsi, près de 10% des étudiants sondés assistent à plus de la moitié des cours magistraux. Ceci pourrait s’expliquer par l’existence du système de la « Ronéo » et de son efficacité quand à servir de support à la révision de ses partiels.
L’étudiant en médecine révisant, j’ai suivi le degré de conscience (mesuré par le score Glasgow {Attention ce lien est une référence sérieuse, vraiment}) de la plupart d’entre eux (moi compris) au cours d’une après-midi consacrée à la lecture de la Ronéo (figure 3).

Figure 3 - Glasgow au cours d'une séance de révision sur la Ronéo

Figure 3 – Glasgow au cours d’une séance de révision sur la Ronéo

Le point à 15h est dû à une légère somnolence rendant l’ouverture des yeux « à la demande » (E3 V5 M6). Le point à 16h est une petite accentuation de la somnolence rendant la réponse verbale parfois confuse (E3 V4 M6). Le point statistiquement vérifié à 17h montre un endormissement responsable d’une absence d’ouverture des yeux sans stimulation douloureuse, aucune réponse verbale et une réponse motrice (réveil) à la douleur (E2 V1 M5). Le point à 18h s’explique de la même façon que le point de 15h.
Ce graphe a été retrouvé au moins une fois chez l’ensemble de la population étudiée (conformément aux critères d’exclusion cités en table 1), bien que des variations en termes d’heure à laquelle survenait l’endormissement ont été observées. De même, la durée du sommeil s’étendait de 15 minutes à plusieurs heures (figure 4).

Figure 4 - Fréquence du symptôme et durée du sommeil

Figure 4 – Fréquence du symptôme et durée du sommeil

______Discussion

Le tableau clinique du syndrome de l’étudiant en médecine peut donc se compléter d’un symptôme d’endormissement diurne à la lecture de la ronéo. Ce symptôme est particulièrement retrouvé lors de certaines périodes de l’année, notamment à la fin de chaque trimestre de DFGSM. La plupart des sujets expriment une volonté pré-critique de s’allonger un instant sur leur lit ou leur canapé pour « lire confortablement ». La période critique de l’endormissement survient de façon sournoise, et il semble encore plus compliqué d’y résister lorsqu’on prend conscience de son imminence. Quelques cas d’endormissements « sur le bureau, le nez dans la ronéo » ont également été rapportés.
Les biais statistiques absolument minimes de cette étude, pionnière en la matière, ne sauraient en dédouaner de sa qualité (il paraît que les bons scientifiques doivent se vendre, je vise Nature, pas vous ?). Il serait intéressant de comparer la prévalence de ce symptôme avec d’autres populations étudiantes et d’évaluer sa fréquence au cours d’une année scolaire. Outre sa valeur presque pathognomonique, il convient donc de souligner l’importance de cette découverte et la manière dont l’identification de ce symptôme permettra d’améliorer le diagnostic de ce syndrome. Les derniers éléments de cette étude suggéraient une augmentation du phénomène lors de lecture de ronéos portant sur la biophysique, les biostatistiques, et les catalogues microbiologiques. Des tests diagnostiques rapides sur une lecture de la physique quantique en scintigraphie pulmonaire pourront ainsi être proposés à ces patients en vue d’optimiser par la suite leur prise en charge (un brevet est actuellement sur le point d’être déposé, candidats contributeurs, veillez contacter l’auteur).

______Références bibliographiques

(1) – Abréviations de l’annexe 1 :
DFGSM = Diplôme de Formation Générale en Sciences Médicales ;
DFASM = Diplôme de Formation Approfondie en Sciences Médicales ;
ECN = Examen National Classant

(2) – Syndrome de l’étudiant en médecine, publié dans Litthérapie, par Litthérapeute.

Ps : je précise que je n’ai absolument rien contre le NEJM, ni aucun journal en particulier, mais que ça me faisait juste beaucoup rire d’écrire un article « à la manière d’un article scientifique » 😉

Radiologie 1

J’ai achevé il y a peu un stage de radiologie dans un centre spécialisé en cancérologie. Autant dire qu’au départ, je pensais que j’allais passer plus d’un long mois à m’ennuyer profondément (pour rester poli), le maigre intérêt compensant l’absence de patient qu’était d’apprendre à lire une radio ou un scanner s’amenuisant s’il se réduisait à mesurer des métastases ou des tumeurs primitives : de la « boulométrie » me dira plus tard un interne sympathique.

Mais, en étudiant relativement sérieux que j’essaye de paraître, je me suis présenté tous les matins dans le premier sous-sol du bâtiment, et j’ai posé mes fesses dans les fauteuils plutôt confortables pour river, quatre heures durant, mes yeux sur les doubles écrans de chaque poste d’ordinateur dans une salle à l’éclairage propice à une bonne petite sieste. Les premiers jours, alors que j’arrivais à 9h, parfois un peu plus tôt, et que je me retrouvais seul avant que, vers 9h30, les premiers arrivants ne m’entraînent avec eux pour boire un café, la chef adorable qui me supervisait me répéta à plusieurs reprises « mais ne vient pas avant 9h30-10h, ça ne sert à rien vraiment, viens quand tu veux ». J’admets avoir fini par arriver à 9h30, en culpabilisant un peu au départ. Puis j’appris que j’étais sensé être entouré de 4 externes que je n’ai jamais vu au cours de mon stage. Ça aide à se sentir un peu sérieux. Un peu.

Vers 11h ou 11h30 mais plus rarement, je m’entendais dire « Bon… tu veux y aller ? » ou bien « Tu pars quand tu veux hein ! » ou encore « Bon et bien, à demain ? C’est l’heure, aller, files ! ». Au début, je restais pour « encore un cas ou deux » histoire de partir au moins à 12h (je sortais d’un stage où je ne quittais pas le service avant 13h). Puis, petit à petit, j’ai accepté de sortir plus tôt. Si j’étais assez mal à l’aise au départ, ça allait mieux par la suite, après avoir rapidement fait le tour des scanners, IRM et autres images qu’on voyait régulièrement dans le service…

Bref, dans le jargon de l’étudiant en médecine, ça s’appelle un stage de planqué. J’aurais très bien pu, si je l’avais voulu, ne pas me présenter plus d’une demi-journée par semaine. J’aurais pu en profiter pour bosser mes cours ou glander. J’aurais pu rester chez moi sans le moindre stress de ne pas valider. Mais honnêtement, j’aurais été stupide, car il y a plusieurs choses pour lesquelles, finalement, je suis content de ce stage, même si ce n’est pas forcément très médical…

D’abord, j’ai pris conscience, à nouveau, de l’importance de l’équipe soignante. Pas seulement les médecins, mais aussi les secrétaires, infirmiers, aides-soignants, internes, manipulateurs radio, et j’en oublie. Dans la journée type du radiologue dans ce service, il y a ces longs moments d’interprétation d’images sur leurs ordinateurs, un micro à la main, et ils récitent des heures durant des comptes rendus. L’enregistrement est ainsi directement envoyé aux secrétaires qui ont alors la tâche ingrate de le retranscrire. Il y a les radiologues qui commencent leur rapport par « Dr. Machin, imagerie du xx/xx/2014, M. Bidule Truc … ». Il y en a d’autres qui débutent par « Bonjour, c’est untel pour l’imagerie du xx/xx/2014 de M. Bidule Truc… ». Les premiers concluent souvent par « point final. ». Les seconds terminent par « point final, merci X. ». Ça n’a l’air de rien, mais souvent, c’est assez révélateur de leur comportement à l’égard des autres blouses qui arpentent le service. Néanmoins, il convient de ne pas être catégorique, de ne pas juger trop vite…

J’ai discuté un moment avec une radiologue dont la réputation dans sa spécialité de radiologie était tout aussi connue que ce que ses collègues appelaient un sale caractère. C’était une radiologue de la première catégorie précédemment exposée. Je tire un peu le trait pour les besoins de l’histoire, vous vous rendez bien compte. Cette radiologue, un peu sèche donc, très expressive sur sa lassitude à 9h45-10h quand le besoin d’un deuxième ou troisième café se faisait ressentir, me demanda en passant quelle spécialité je visais, si j’en avais une petite idée, déjà. Je n’aurais peut-être pas dû lui dire qu’entre la médecine générale et la médecine interne, mon cœur balançait mais qu’il était peut-être encore un peu jeune pour bien appréhender la question, car la rumeur se répandit assez vite et bientôt, radiologues et radiothérapeutes essayèrent de me convaincre de l’intérêt de leur spécialité et du fait qu’ils me voyaient bien dedans. Pour revenir à la radiologue, celle-ci m’avoua alors qu’elle aussi, jadis, elle voulait faire interniste. Elle me raconta alors la raison de son changement, à l’aube de son internat. Toute jeune interne dans un service de médecine interne justement, elle rendait visite à une patiente pour qui l’expression « ne pas aller dans son assiette » était un doux euphémisme. Palpitations, nausées, douleur préchordiale, angoisse… Et la jeune interne qui à l’époque savait réciter par cœur la prise en charge d’un angor ou d’un infarctus du myocarde suivit les directives de son item dûment appris : ECG, Troponines, appel de la réa et tout le tralala (vous m’excuserez de ne pas encore connaître d’items et d’avoir encore quelques mois de répit avant de me plonger la tête dans le guidon… Pardon !). Parallèlement, le stress montait chez elle tandis qu’elle appelait le chef de service à la rescousse. L’homme en question arriva et, d’après ses mots, fidèles à la médecine interne, il commença à se poser trente-six questions sur le dosage de différents anticorps aux noms plus barbares les uns que les autres et à formuler cinquante-six hypothèses diagnostiques. A côté de ça, les doigts tremblants devant l’état de la patiente qui s’aggravait et aucune nouvelle des brancardiers pour le transfert en réa, notre jeune interne disposait tant bien que mal les électrodes de l’électrocardiogramme sur le corps souffrant de la patiente. Bip – Tût – Bipbip … vûtttttt (ndlr : comprendre le bruit de l’impression d’une feuille comportant des tracés tels que ci-dessous).

Signe typique d'un infarctus du myocarde 1 minutes puis 1 heure après.

Signe typique à l’ECG d’un infarctus du myocarde 1 minutes puis 1 heure après.

Précis, direct, clair, contrairement manifestement au grand manitou de la médecine interne, très compétent dans sa discipline, mais qui paraissait dépassé par la prise en charge de cette urgence. Pour elle, l’examen était sans appel : un infarctus du myocarde, avait dit la machine. Et où étaient ces brancardiers ?! Ni une, ni deux, elle décoinça le lit et s’engagea dans les couloirs de l’hôpital en direction de la réa. Son propre cœur battant à tout rompre, c’est quand elle franchit les doubles portes du dit service que celui de sa patiente s’interrompit. Réanimation cardio-vasculaire comme « je ne saurais plus faire aujourd’hui », me dit-elle. La patiente repart, l’équipe de réa prend le relais. Elle recevra quelques heures plus tard les dosages, une imagerie, et pléthores d’examens dont le verdict allait toujours dans la même direction. Peut-être que l’une des cinquante-six hypothèses de la grande pointure qu’était son chef de clinique qu’elle idolâtrait, ça c’était sûr, était bonne. Peut-être que l’une des trente-six questions qu’il s’était posé était pertinente. Néanmoins, pour elle, les examens avaient fait le diagnostic. Après quelques mois, elle changera de spécialité. Tiraillée entre l’envie de savoir « un peu de tout » mais de ne plus jamais être dépassée par la clinique, elle tomba amoureuse de la radiologie. Parce qu’ainsi, quand il y a quelque chose, tu le vois ou tu le soupçonnes. Le champ d’application est extrêmement large. Et parfois même, tu sais ce que c’est, tu ne te retrouve pas comme un con devant ton patient souffrant sans trop savoir ce qu’il a. « Et j’imagine que ce qui t’intéresse c’est de savoir ce qui est arrivé à ma patiente ? ». Elle ne me laissa pas le temps de répondre que je n’y pensais même pas. « Elle est morte dans la nuit d’un second arrêt en réa… bon, au boulot ! Non, d’abord un café puis au boulot ! ».

Ça me rappelle le blog d’Alors Voilà – Baptiste Beaulieu et son très bel article « La femme qui soignait ». Est-ce qu’on a tous nos raisons, en s’engageant en médecine, de faire ce que l’on fait ?

Aller, je garde le reste de ce que je voulais dire pour une autre fois. Je retiens cependant de ce stage qu’à mon avis, je ne ferais pas radiologue, ni, désolé mon interne génial (dont je vous parlerai à l’occasion), radiothérapeute. Même les courtes entrevues avec les patients en mammographie ou en échographie ne suffisent pas à me convaincre. Je reste pour l’heure devant mon dilemme dichotomique : médecine générale – médecine interne. Mais j’essayerai quand même de ne pas être trop idiot et de m’autoriser à changer d’avis

Paroles d’outre-tombe

Ils ont les visages figés en des grimaces d’agonie,
Ils ont les membres gelés, lourds et inanimés.
Ils portent les traces d’une longue histoire, d’un passé,
Des séquelles ci-et-là du départ de la vie.

 Au coin de sa bouche, les traces d’une coulée de sang,
Son épaule gauche enraidie par l’usure du temps.
Ses orbites sont vides, défaits de leurs yeux,
Etaient-ils verts, étaient-ils bruns, étaient-ils bleus ?

 Elle semble là et lasse, allongée sur la table glacée,
Elle subit les quolibets de ceux qui l’appellent,
Comme tous les autres dormeurs éternels :
Truc, chose, machin, corps, cadavre ou macchabé.

 Peut-être qu’elle entend les remarques déplacées,
Sur ses œdèmes post-mortem ou son corps vieillissant,
Sur son odeur ou sa peau jaunie qui au fil du temps,
Pourri peu à peu même si elle est bien suturée…

 Que certains enterrent le respect pour se protéger,
D’une expérience unique mais ô combien difficile,
Si cela peut se comprendre, ce n’est guère facile,
De pardonner ces actes dont les vivants sont épargnés.

 Car se taire et apprendre, au moins dans le silence,
En découvrant les formes que la peau dissimule,
Les os, les muscles, les vaisseaux, leur fonction et leur sens,
Epargne au dormeur ces propos ridicules.

 Il est incroyable de franchir ce genre de barrière,
Que sont la peau et les chairs pour voir ce qui nous constitue,
Grâce à la volonté de l’être dont on déchire les tissus,
Qui jadis offrit son corps pour nos lumières.

 Allongés sans rien dire, ils déballent leur histoire,
Ils font nos connaissances, enrichissent notre savoir,
Nos premiers gestes techniques, de l’incision aux points,
Sans craindre la douleur des maladresses de nos mains.

 Ils sont là, muets et éveillent fascination et épouvante,
Nous rendant humbles et modestes devant la condition humaine,
Car dans cette salle, en ces heures, ces deux dernières semaines,
La mort n’a jamais été aussi vivante.

 

A ceux qui soulèvent les draps pour comparer les pieds des cadavres en grommelant que le leur a « les pieds tous pourris » alors qu’on dissèque la main.
A ceux qui se permettent des remarques intelligentes telles que « on lui a défoncé le bras », « ce sont vraiment des cadavres de merde » ou « nous avons les moyens de vous vidanger madame » en pleine dissection.
A ceux qui comparent les odeurs de ce qu’ils appellent « trucs » en oubliant que les trucs furent des êtres humains.
A ceux qui se cachent derrière l’excuse de l’expérience difficile à dédramatiser pour se permettre toutes les conneries qu’ils peuvent faire en violation du respect qui relève pourtant du plus simple bon sens.

Et ceux qui me prendront pour un vieux réac’ coincé et barbant, je vous l’affirme : j’assume, et que cela puisse permettre aux morts comme aux vivants d’être respectés et à la dignité de tous d’être préservée.

La mort n’a jamais été aussi vivante – TP de dissection

La salle, immense et si petite en même temps. Des rangées de tables. D’un côté, vide, un drap bleu moulant parfaitement le rectangle plat de la surface. De l’autre, des formes redoutables laissent à chacun imaginer l’être plongé dans un sommeil éternel, qui attend, juste en dessous.

C’est un raz de marée. Des étudiants surgissent de la porte principale. Si les premiers arrivants respectent un silence de mort, un brouhaha grandit rapidement entre les quatre murs sans fenêtres. Un endroit cryptique, pour un acte longtemps discuté au fil des ans…

Un appel succinct. Une ruée vers la blouse de plastique, les gants stériles, la charlotte. Certains odieux personnages commencent déjà à relever les draps qui couvrent les corps. Ils s’esclaffent lourdement, des remarques fusent, toutes plus efficaces à me faire bouillir de l’intérieur. Ils ne sont qu’une minorité des étudiants en médecine, mais ceux sont eux que l’on voit manquer ainsi à toutes les règles de savoir-vivre, de respect et de bon sens. C’est ceux-là que l’on retiendra. Et pas tous ceux qui, silencieux, attendent calmement que les choses se passent, sous contrôle des encadrants.

Un groupe se forme autour du professeur responsable. Il dit des mots vrais, mais durs, et à la limite d’être dérangeants. Il rappelle que ces gens sont venus de leur vivant donner leur corps à la science après leur mort à des fins d’apprentissage et de recherche scientifique et médicale. Il déclare qu’il n’y a pas de questions à se poser, pas de problème d’éthique, et que nous disséquons « en toute légitimité ». Aurait-il dû préciser que ça l’était  tant que nous restions dans les fins d’apprentissage et de recherche ? Dire « pas de questions éthiques à se poser » était-il pertinent ?

Le groupe se dissout et c’est l’exode vers les dormeurs éternels. Certains n’ont plus de tête. D’autres ont le visage figé dans une grimace, à tout jamais. Je vise un petit groupe d’étudiants que j’apprécie, et dont je sais les préoccupations un tant soient peu éthiques et respectueuses de la personne humaine. J’entends, en serrant les poings pour rester calme, les commentaires des ingrats qui cherchent « un bon cadavre ». Une étudiante se pointe « Ah votre truc il sent moins mauvais. Notre truc pue, c’est une horreur ». L’un de mes poings craque. Je suis trop sec, mais je ne peux le contenir : « Truc ? Hé-ho, ce sont des êtres humains je te rappelle ! ». A peine affectée, elle me répond le plus naturellement du monde « Ouais enfin, ce sont des trucs là ». Les commissures de mes doigts me brûlent de la frapper. « Non. Ce sont des êtres humains. Des gens. Des personnes. ». Et je retiens, juste derrière mes dents serrées, le flot d’injures que j’ai envie de lui cracher à la figure. Jamais telle colère à l’encontre d’un camarade de promo ne m’avait saisi.

Dans l’article 2 du code de déontologie médicale, il est écrit : « Le respect dû à la personne ne cesse pas de s’imposer après la mort ».

J’eu pensé être plus marqué par cette première rencontre avec la Mort. Peut-être m’étais-je préparé psychologiquement. Je retiens pourtant le visage de ce corps sans vie, marqué par les années, l’expression glacée dans un rictus presque douloureux et, sur la joue depuis la bouche, comme les traces d’une ultime coulée de sang. Je garde en mémoire, les premiers coups de bistouri, la peau qui se fend comme une motte de beurre, mes hésitations à soulever un muscle avec le doigt, la peur de déchirer la structure aussi rigide qu’inerte, la crainte de mettre trop de force en y allant quand même voyant l’enseignant tirer fermement les tissus sans le moindre doute. Comme si, quelque part, j’avais peur de faire du mal… Je me rappelle les orbites vides, sans yeux, le contact glacé de ses bras décharnés, le temps passé, à la fin, à recoudre proprement malgré l’encadrant qui disait « Tes points sont jolis, mais accélère un peu si tu veux finir à l’heure et dis-toi que de toute façon, on rouvre demain ».

Je m’étais dit que les étudiants en médecine étaient un peu moins farouches qu’on ne les présentaient. Que le folklore des doigts coupés et volés en douce n’était que mythe. Je m’étais presque laissé avoir, sortant de la salle étrange avec quiétude. Outre mes poings parfois serrés quand j’entendais une phrase telle que « Il a trop une salle gueule ce macchabée », ou « Putain, nous on a fait de la boucherie ! » ou encore « Ah regardez, il jute votre corps, trop dégueulasse ! », globalement, tout s’était « bien » passé.

Jusqu’à ce que j’apprenne que des photos mettant en scène quelques étudiants stupides et irraisonnés devant les corps inanimés, façon selfi, circulaient sur un réseau social. Concertation avec mes collègues, entre élus représentants étudiants. Ce n’était pas notre rôle, mais un rappel à l’ordre s’avérait nécessaire. J’ai bondit quand on m’a dit que c’était une façon de se protéger d’une expérience difficile. La protection psychique par la tournure en dérision des événements ne doit simplement pas se faire en violant à la fois la loi, le bon sens et le respect de la personne humaine. Si c’est compréhensible, ce n’est en aucune façon excusable. Pardonnez-moi d’être un peu extrémiste sur ce point, mais j’ai tendance à croire qu’on ne peut pas se permettre le moindre petit écart concernant ces choses-là. Il y a des limites à ne pas franchir, ni même approcher. Alors ce n’est pas notre rôle de faire la morale, en tant que représentants des étudiants. Mais en tant qu’étudiants en médecine, ça fait partie de notre responsabilité de rappeler à nos camarades que bientôt, ils seront appelés « docteur » et devront concilier l’exercice de leur profession et leur vie privée avec respect de tout ce qui fait l’essence du médecin, et notamment, le respect du secret, de l’éthique, et du respect lui-même. Un brin d’humanité, somme toute. Ce qui a été fait n’est pas correct. « Alléger l’expérience difficile », s’ils sont capables de cela dès le premier jour, pour ma part, c’est qu’ils n’ont pas dû le vivre si difficilement. Chacun réagit comme il est, certes, mais à partir du moment où les notions de respect sont violées, le bon sens devrait nous rattraper…

Ma première rencontre avec la Mort, je crois que je ne l’ai pas encore faite consciemment. Mon esprit s’est blindé, sur-préparé, et l’affect n’a pas encore été touché par cet évènement. Cela risque d’être difficile quand la conscience se réveillera. En attendant, je me bats pour que les Morts, à l’instar des Vivants, soient respectés. Quitte à passer pour le collègue inflexible, bourré de vieux principes à la con, et sans humour. Peut-on rire de tout ? Pas n’importe quand, ni n’importe comment, au moins.

Navré pour cet écrit sur le vif, mais la fureur devait sortir, au risque que j’étrangle quelqu’un. Inutile d’appeler les secours, je suis non-violent 😉

Stage de sémiologie – Jour 7 : L’effet blouse blanche

Le matin, aux alentours de 8h et demi, j’erre comme une âme en peine dans les tréfonds des sous-sols de l’hôpital. Des rangées de voitures, sur trois ou quatre niveau, tracent un chemin labyrinthique jusqu’aux escaliers permettant d’émerger à la surface. Mais je me souviens des premières excursions, pensant monter sagement les marches et débarquer dans le hall central que je connaissais bien… j’avais encore à l’époque une vision naïve des couloirs hospitaliers, j’ignorai alors qu’il fallait bien sûr s’extirper du dédale aux murs blancs. Un escalier, une porte à droite, un couloir, un angle, une porte à gauche, une autre tout de suite à droite, un couloir, une porte battante, puis deux, et enfin, un escalier descendant pour arriver dans le dit hall. L’automatisme désormais acquis ne se fit pas en une seule fois…

Au niveau de la première porte battante, nous nous croisons. Personnage plutôt imposant, le visage renfrogné de l’homme pas très heureux d’aller à l’hôpital de si bonne heure (qui est vraiment heureux d’aller à l’hôpital, quelle que soit l’heure de la journée ?), il s’accorda la priorité. Je m’étais de toute façon déjà, par réflexe, écarté. Nos yeux s’étaient à peine rencontrés, mon timide « bonjour », peut-être un peu trop bas, ne rencontra aucune réponse, si ce n’est ce visage caractéristique qu’ont les gens des grandes villes, signifiant assez bien « je t’ai vu, mais je ne souhaite pas t’accorder mon attention et le bonjour, c’est démodé ».  Nous nous quittons avec un souvenir de cette rencontre aussi marquant que la trois cent soixante-cinquième fois qu’on ouvre seul un yogourt.

Le matin, à l’hôpital, peu avant l’arrivée des médecins et d’un bon nombre de personnel dans les services pour prendre le relai de l’équipe de nuit, il existe un endroit où la densité de personnage par mètre carré explose tous les records. Le cliquetis d’une caisse sonne à intervalles réguliers, les gens font la queue, une délicate odeur de café se laisse agréablement ou malheureusement, ça dépend des goûts, humer. Si le breuvage chaleureux et caféiné a plutôt tendance à me rebuter, un thé allègrement citronné où un mauvais soda sans sucre n’est pas de refus. Le temps d’attendre ses collègues, de saluer les courageux qui montent déjà, plus en avance que moi, dans les services. Le temps de se réveiller un peu, psychologiquement du moins, aussi.

Retour au parking. Le stagiaire de DFGSM n’a que très rarement un endroit où se changer dans le service. Laisser toutes ses affaires dans un coin n’étant jamais très prudent (les vols sont dits assez fréquents à l’hôpital), le coffre de la voiture constitue un parfait vestiaire de substitution. Les conditions d’hygiènes étant toutefois assez limites (bien que de nombreux médecins enseignants traversent allègrement tout l’hôpital pour se rendre à la cafétéria, où sortent même en blouse pour rejoindre le bâtiment d’en face où se tiennent les amphithéâtres, on peut alors se poser la question de qui, entre l’étudiant qui n’a pas le choix et le médecin voyageur est le plus à risque d’un point de vu hygiène de blouse ?).

Le matin commence vraiment à avoir un sens dès que les 5 kilos de livre de poche, stéthoscope, marteau réflexe, lampe, montre à gousset, carnets de notes et autres objets qui débordent des poches de la blouse nous pèse sur les épaules. Voilà, je me sens tout à coup encore plus moins-que-rien, usurpateur de l’identité de médecin qu’un jour je devrais vraiment porter, avec les cent kilos de responsabilité en plus. Je suis un stagiaire en sémiologie, même pas externe, je ne sers à rien pour les patients, je suis là pour apprendre. Et j’aime ça. Finalement, un passage en psychiatrie pour masochisme s’avère peut-être nécessaire…

On retourne dans les couloirs sinueux. Si les blancs des murs ne nous semblent plus vraiment homogènes comme ils le seraient pour un visiteur ponctuel, nous ne sommes, ma collègue et moi, pas complètement dans notre élément non plus. Pourtant, jour après jour, notre démarche devient un peu plus sûre : sans doute parce que nous n’hésitons plus pour trouver notre chemin vers notre destination pour encore un mois et quelques. Jusqu’au prochain changement de service d’affectation.

Et là, au niveau d’une porte battante, nos regards se croisent à nouveau. Si le temps s’écoulait plus lentement, je suis presque persuadé que l’on verrait cette dilatation subtile, cette mydriase d’angoisse. L’homme imposant s’interrompt, et avant même que je ne lui laisse le passage, il s’écarte de lui-même. Comme si, cette fois, devant ces porteurs de blouse blanche, il n’avait pas le droit de prétendre à la priorité.

En traversant un couloir où deux rangées de chaises, pour la plupart occupées, se font face, porter une blouse vous expose à de multiples paires d’yeux qui portent un vaste panel d’émotions. Ci-et-là, des regards angoissés. Parfois, des regards ébahis, impressionnés. D’autres fois, des fureurs contenues. Souvent, un genre de grand, trop grand respect. Quelque fois, un discret appel à l’aide. Les gens s’écartent plus volontiers pour vous laisser passer. Bien évidemment, ils vous demandent également leur chemin dans le labyrinthe hospitalier, et du haut de votre énorme expérience de la structure (qui se compte en journées, s’il vous plait !), vous vous tournez avec un air faussement assuré vers les panneaux fléchés. Jusqu’à ce que petit à petit, l’habitude fasse jaillir les bonnes indications d’orientation de votre bouche (vu le nombre de fois que vous vous êtes perdu en apportant un dossier dans le service recherché, vous commencez un peu à savoir où il se cache… un peu).

Je parlais d’usurpation d’identité. Parce que si sur votre joli badge, il est écrit, au mieux, « étudiant en médecine », les regards ne s’y posent pas toujours. La blouse suffit à crier au monde entier « ce personnage est médecin ! ». Sans aller jusqu’à provoquer une vague d’émeute façon Nespresso et George Clooney, les gens vous considèrent toutefois avec des égards que vous ne méritez pas (et que même le médecin, selon moi, ne devrait pas imposer d’office : les égards, comme le respect, se méritent mutuellement par l’attitude, et non le diplôme).

En début d’après-midi, à l’hôpital, la blouse est rangée. Les gens, de nouveau, prennent la priorité. Ça vous semble un peu plus normal, même si vous aimiez bien que vos « bonjour » rencontrent une réponse…

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Stage de sémiologie – Jour 6 : A fleur de peau

Et je pose ma main, juste sur ton poignet
Sur un vaisseau battant, assez régulièrement.
Premier contact pour te demander simplement,
Si mes doigts inquisiteurs ne sont pas glacés.

Et je pose ma main, juste sur ta poitrine,
Entre la quatrième et la cinquième cote,
Ton palpitant s’agite sous ta peau si fine,
Il bat la cadence, paisible et sans faute.

Et je pose ma main, juste sur ton thorax,
J’en apprécie la forme et ta respiration.
Je plaisante, tu ris, et je cherche le bon axe,
Pour mener l’examen sans trop d’hésitations.

Et je pose ma main, juste là sur ton ventre,
Où cadrant par cadrant, j’inspecte et je palpe,
J’écoute et percute, cherchant bien en ton centre,
Un indice, une cause au mal qui te frappe.

Et je pose ma main, juste là, sur ton corps,
Royaume de ta plainte qui prend bien des formes,
Douleur et malaise et quelles autres encor ?

Tes yeux qui m’implorent, tes questions multiformes,
Et je pose ma main, juste sur ta douleur :
Un remède comme un autre, dans la douceur.

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Stage de sémiologie – Jour 5 : Je ne suis pas un héros !

La patiente, sous les conseils du médecin et la dizaine d’yeux qui observaient la scène, attrapa l’oreiller qu’elle roula en boule, pressa contre son ventre tandis qu’elle était assise et se pencha en avant. Son dos était désormais assez rond, peut-être même un peu trop, ce que le médecin fit délicatement remarquer en disant « Wouha, vous êtes souple ! ». Elle rit, de ce rire un peu forcé, un peu franc, mais que l’angoisse de la situation retenait dans la gorge.

« Ca va durer longtemps ? » demanda-t-elle.
« Pas plus d’une minute ou deux, ne vous inquiétez pas ».

Il lui avait tout expliqué, assis, en face, juste avant qu’elle ne se mette dans cette position. Que le patch sur son dos allait anesthésier l’endroit de sorte à ce qu’elle ne sente pas la douleur à l’introduction de l’aiguille. Qu’elle risquait de sentir cette aiguille dans son dos, que ce n’était pas une sensation très agréable mais qu’elle n’aurait pas mal normalement. Qu’il en avait déjà fait un certain nombre, que lui-même en avait déjà eu, qu’il parlait en connaissance de cause. Que les tubes iraient ainsi dans différents services : bactériologie, biologie, immunologie… Que les résultats orienteraient la prise en charge. Il lui demanda si elle avait des questions. Elle répondit que non, mais qu’elle était très douillette et risquait de crier. Il l’apaisa d’une plaisanterie. Elle ricana, mais s’inquiéta soudainement.

« Il faut que quelqu’un me tienne parce que je risque vraiment de me raidir et de casser l’aiguille si je me redresse ! »

Il la rassura. Casser l’aiguille ? Très très très peu probable. Mais oui, quelqu’un allait être à côté d’elle si elle préférait. L’interne commença à préparer le matériel tandis que le médecin, dans le dos de la patiente, prenait ses repères.

« Vous me dîtes quand vous piquez hein ? Vous ne me faîtes pas de coups dans le dos ! »
« Ne vous inquiétez pas, je vais tout vous dire : là, je suis en train de prendre mes repères, ce sont mes doigts que vous sentez. Voilà. »

Tout en délicatesse, il effleura les crêtes iliaques de la patiente, rejoignit ses pouces sur la ligne des épineuses, compta, recommença, vérifia, et traça avec son stylo une croix en prévenant la patiente. L’interne de son côté ouvrait les paquets de compresses, en imbibait certaines de bétadine, disposait le champ stérile, tout en faisant régulièrement tomber les tubes. Dans la chambre, je trouvais qu’il commençait à faire chaud. Une chaleur familière…

« Vous êtes prête ? »
« Oui… »
« Alors on y va, je pique… Voilà, pour la piqûre, c’est terminé. Maintenant, on commence à remplir les tubes, mais pour ce qui est de la piqûre, donc de ce qui aurait pu être douloureux, c’est fini ! »

Goutte à goutte, un peu plus lentement que d’ordinaire, des perles d’un liquide translucide, clair comme de l’eau de roche, tombaient dans le tube tremblotant que l’interne maintenait en dessous de l’aiguille qui ressemblait désormais à un genre de robinet, planté dans le dos de la patiente. Telle la sève d’un érable, lentement, les dix gouttes nécessaires au remplissage d’un tube s’enchaînaient. A chaque nouvelle goutte, il me semblait que la pièce gagnait un degré Celsius supplémentaire.

Il y eu d’abord un tube. Trente secondes. Puis un deuxième. Quarante-cinq secondes. Puis un troisième, plus d’une minute. Un quatrième que je pensais être le dernier, tandis que des genres de mouches envahissaient mon champ visuel, que le sol semblait tanguer comme une caravelle en pleine mer agitée, et que des pulses pas très réguliers jouaient une drôle de musique en résonnant dans mon crane soudain très lourd. Une minute encore.

« Ne vous inquiétez pas madame, le liquide s’écoule lentement parce que vous êtes un peu maigre. » Puis, doucement, à l’interne : « on va en faire six, ça évitera de la repiquer, la pauvre ».

Ouais, le malaise vagal. Je maitrise. Faut dire qu’il m’arrive assez régulièrement à l’hôpital. Alors j’ai développé tout un panel de techniques. D’abord, quitter la scène des yeux, et jeter des regards rapides dans différentes directions comme pour se secouer les neurones et demander au sympathique de reprendre la main. Ensuite, marcher un peu, trouver un prétexte pour faire quelques pas, en pensant de toutes ses forces à une situation stimulante (genre une rencontre avec un ours au sortir d’un parking mais c’est mieux si la situation est un réel souvenir). Ou encore, quand ça devient vraiment bancal comme situation, s’accroupir pour faire comme si on avait besoin de relacer ses chaussures. Faire tomber malencontreusement son stylo. Ou faire comme si on avait besoin de poser son carnet sur sa cuisse pour écrire un truc. Discrétion quasi-assurée mais pas garantie. Je n’ai encore jamais eu besoin de sortir de la chambre.

Pourquoi être discret ? Mais parce que « le malaise vagal, c’est trop la honte ! ». C’est être une « petite nature », trop fragile pour faire médecine voyons. Tout le monde en a fait un ou deux, peu s’en vantent. Bah non. Je suis désolé, moi je me sens pas bien quand je vois un liquide qui s’écoule un peu trop lentement (même si tout va bien), et que les mains de l’interne imitent à la perfection un syndrome parkinsonien, et qu’une demi-douzaine de personnes sont là, vaguement inquiètes, à attendre dans un silence un peu lourd. Mettez-moi devant une résection d’un lobe du foie, il ne se passera rien. Non, navré, mais le stétho autour du cou, la démarche assurée dans les couloirs, les « bonjours je suis le médecin » alors que ce n’est pas vrai (au même titre que les « j’en ai déjà fait plusieurs des gaz du sang, ne vous inquiétez pas » alors que ce n’est pas vrai), ce genre de choses … désolé vraiment, mais je ne peux pas. L’exaltation à l’idée d’aller ausculter un patient inconnu parce qu’il a un truc « comme dans les livres » ou « que tu ne verras qu’une fois dans ta vie », non, ce n’est pas mon dada. Je suis désolé d’être fragile et de ne pas toujours oser demander au patient de se mettre à nu pour inspecter la peau, palper les orifices inguinaux, ou faire un toucher pelvien quand je sais que derrière moi, trois autres beaucoup plus qualifiés vont passer, et qu’avant moi, cinq autres y sont déjà allés. Peut-être que je ne suis pas fait pour être médecin alors. On verra. Je ne suis pas un héros.

En tout cas, j’ai vu ma première PL (« ponction lombaire »). Examen effectué dans les règles de l’art, par un chef de clinique très à l’écoute de ses patients (et vraiment impressionnant !). En douceur. Si bien qu’à la fin …

« Ca va madame ? Vous n’avez pas eu mal ? »
« Non, mais bon, docteur, je ne vous cache pas que je suis déçue… »
« Ah bon ? Pourquoi ? »
« Et bien, vous savez que j’aime bien râler… »
« Oh oui, j’ai déjà vu ça »

Rires.

« Et bien là, je ne peux pas. J’ai rien senti. Je ne peux pas râler ! »
« Et bien tant mieux ! »

Rire général.

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Stage de sémiologie – Jour 4 : Cirrhose

Les moelleux au chocolat ont fait un sang d’encre lors de la visite. Très appréciés, les médecins n’ont pas été les seuls à en profiter, l’équipe paramédicale s’est également vue proposer quelques-unes de mes confiseries maisons. Je ne remercierai jamais assez ma grand-mère pour sa recette qui m’a valu de passer une excellente matinée.

La visite donc. Toujours 7. Ce qui est toujours plus agréable que 15. Je pense, chaque fois, qu’un jour peut-être je pourrais devenir chef de clinique. Je me demande si je songerai à ce que je ressens en tant qu’étudiant stagiaire. Si je ferais en sorte de prévenir le patient que c’est « la visite » et qu’il y a du monde, mais que s’il le souhaite, il peut demander à ce que tout ce gentil petit monde sorte, bien que cela serait dommage car, avec son accord, les jeunes bébés docteurs peuvent apprendre à reconnaître les signes qui leur permettront, plus tard, de reconnaître la maladie dont il souffre chez d’autres personnes et ainsi les soigner. Mais que bien entendu, cela reste sa maladie, son hospitalisation et que pas un seul instant il doit se sentir obligé d’accepter la visite de peur d’être moins bien soigné s’il refuse, que c’est tout à fait normal de se sentir mal à l’aise.

Lorsque j’ai dû aller ausculter une dame, je me suis retrouvé derrière son dos et, levant les yeux, j’ai été frappé d’une douzaine d’yeux qui me regardaient presque. En réalité, ils étaient fixés sur la patiente, mais même de ma place, je trouvais la situation extrêmement angoissante. Tous ces regards, comme des juges inquisiteurs. Pourtant bienveillants parfois. Mais même ceux-là sont debout, tandis qu’on est assis ou allongé. Ceux-là même paraissent grands, impressionnants dans leur blouse (presque) immaculée. Bien que je comprenne cette sensation, jamais je n’ai eu l’impression de la partager autant. Comme une proie au milieu d’un troupeau de lions. Comme une monstruosité au milieu d’une fête foraine. Comme un patient au milieu de sept soignants.

Au cours de la visite, on m’interroge sur les signes cliniques de la cirrhose. Vaguement sûr, j’y vais. Et comme j’ai quand même réussi à oublier l’encéphalopathie hépatique, je vais les citer ici (désolé pour les non-initiés) histoire de les avoir en tête. Définitivement. D’abords les conséquences de l’hypertension portale avec la circulation veineuse collatérale, la splénomégalie et les varices (hémorroïdes, ou varices œsophagiennes pouvant se suspecter s’il y a déjà eu hématémèse par exemple). Ensuite, l’insuffisance hépato-cellulaire qui est responsable de l’apparition d’angiomes stellaires, d’érythrose palmaire, de leuconychie/hippocratisme digital,  de gynécomastie/d’aménorrhée/d’hypogonadisme, de troubles de la coagulation, d’encéphalopathie hépatique (avec donc en premier l’inversion du rythme nycthéméral, etc.), le flapping trémor/astérixis, d’asthénie et d’ictère à bilirubine conjuguée voir mixte d’apparition souvent tardive. Le fameux foetor hepaticus (histoire de faire savoir à votre prochain qu’un lavage de dents ne lui ferait pas de mal…), une certaine sensibilité aux infections, et bien sûr, une rétention hydrosodée souvent remarquée par l’ascite viennent compléter le tableau. Voilà. Ça devrait rentrer à force. Jusqu’à la prochaine fois.

De toute façon c’est ça la médecine. Apprendre, oublier. Réapprendre, oublier. Apprendre toujours, oublier de moins en moins, mais toujours un peu. Jusqu’au prochain réapprentissage.

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