« En fait, c’étaient qui tous ces gens ? »

Las, l’ambiance relaxante d’un amphithéâtre où de jeunes têtes composent en silence sur des questions auxquelles j’ai contribué, je médite. Les lignes, imposantes, s’affichent à l’écran, tandis que du coin de l’œil, j’observe ces visages soucieux, fatigués, concentrés. Parmi eux, quatre ou cinq rangées seulement parviendront au bout de cette aventure, et décrocheront le droit de devenir médecin. Quatre ou cinq rangées récolteront le fruit d’un dur labeur, et arpenteront  les couloirs parfois sinistres de l’hôpital.

Combien se verront comme pour moi il y a peu, au cours d’un stage, errer dans le dédale aux murs blancs, suivant un enseignant formidable qui, lorsqu’il faut entrer dans une chambre, s’arrête, regarde la dizaine de tête encore vide qui trottinent derrière lui et leur demande d’attendre. Il entre alors dans la chambre, referme la porte, et chacun sait qu’il demande calmement et sincèrement au patient s’il accepte qu’une dizaine d’élève, pas un de plus, puisse entrer pour observer un instant l’examen qu’il subit. La plupart du temps, la femme, l’homme ou l’enfant devant tant de bienveillance et de respect accepte. L’enseignant retourner chercher ses élèves, leur demande d’être calmes, sérieux et courtois, et les fait entrer. Ils regardent ce qu’ils devaient voir, et sans plus attendre, s’en vont. Toutes les questions des professionnels en devenir trouveront une réponse, sauf quand elles n’en ont pas, ou pas encore. Puis, délicatement, il leur propose d’aller voir l’autre aile du service, rencontrer un autre professeur.

L’homme en question est un brillant spécialiste. Sa médecine à lui, c’est des patients qui défilent, toute la journée, et dont la source ne tarie jamais. A l’aide d’un long engin, flexible et technologique, il explore les voies aériennes et pulmonaires. Ainsi, devant une ribambelle d’étudiant, il détaille la procédure avec brio et moult termes techniques pour le néophyte. « Et là, nous sommes dans .. ? » « La lingula ». Pédagogue certes. Au milieu de l’examen, 3 autres étudiants entrent « Bonjour, est-ce qu’on peut assister à la fibro professeur ? » « Entrez donc tant qu’il y a de la place ! ». Comme les autres, inconnus du patient, ils s’avancent et prennent place. « Relevez un peu la tête monsieur ». Puis, la démonstration s’achève. Les étudiants qui tous n’ont pas été présentés commencent à sortir. Les suivant, j’entends « Et alors, tout est normal docteur ? » « Ah mais je ne sais pas moi, c’est le labo qui vous dira ». Et le savant entraine sa troupe d’admirateur vers une nouvelle salle voir un autre patient souffler dans des tuyaux pour faire des courbes. Treize qu’ils sont, treize qu’ils rentrent. Le patient en question, plutôt impressionné par la colonie de blouses blanches prends cela avec humour. Il souffle, l’infirmière grimace devant les tracés qui s’affichent sur l’ordinateur « Hum, on va la refaire celle-là ». Et le patient souffle à nouveau. L’exercice s’achève. Les toges blanches sortent. Je prends du retard pour remercier le patient. En quittant la pièce, je l’entends parler à l’infirmière « En fait, c’étaient qui tous ces gens ? ».

Soupir. Combien de ces jeunes premières années avanceront dans les rouages d’un CHU où les patients ne savent même pas à qui ils ont affaire, à cette bande de voyeurs que l’on ne leur a jamais présenté. Ces patients à qui on a vaguement demandé leur avis, sans jamais vraiment leur faire comprendre que oui, ils ont le droit de dire non. Et que non, on ne va pas moins bien les soigner pour cela.

Je vous entends presque penser «  mais pourquoi ne pas t’être présenté toi ? ». A cela, je n’ai pas d’excuses. Que des prétextes bidons. Oui, quand on arrive le premier jour dans un service, on n’aime pas trop faire mauvaise impression en jouant les rabats-joies éthiques à la noix. Oui, quand on est nouveau, on essaye plutôt de faire profil bas. Oui, se la jouer « bonjour, moi c’est machin, étudiant en médecine » devant une foule d’étudiant qui ne se présentent pas, c’est un peu présomptueux. Je crois à tort qu’être plus âgés et plus compétent me permettra de faire cela un jour. Mais soyons franc, ce n’est que de la lâcheté. Il est temps que ça change.

Je souffle. Ils ont bientôt fini de composer. J’espère vraiment que ces quatre ou cinq rangées seront composées de gens dotés de cette intelligence qui me fait défaut, et de ce courage que je n’ai pas. Des gens que je devrais franchement songer à imiter un tant soit peu …