J’ai réussi ma deuxième année de médecine. Les résultats des examens sont tombés. Plutôt corrects dans l’ensemble. Dans les 20 premiers de ma promo. Fierté ? Pas vraiment. Ce qui compte, à mon sens, c’est plutôt ce que j’en ai retenu. Et ça m’agace de l’avouer mais ce n’est pas grandiose …Si je trouvais le courage, je relirai sans doute quelques-uns des cours les plus utiles et les plus intéressants pour ne pas arriver comme une fleur, dans 2 ans, lors de la 1ère année d’externat, avec un grand vide absolu dans le champ de la cardiologie, de la pneumologie ou de la néphrologie. Parce que bachoter pour tout connaître le jour de l’examen c’est bien. Apprendre correctement pour savoir quoi chercher en face d’un malade, c’est surement mieux.
Rabat-joie ? Oh non, je suis content de ne pas avoir à me replonger dans mes bouquins dans un énième bachotage stupide, inutile et inefficace et de pouvoir profiter de mes vacances. En plus, j’ai validé mon UE optionnelle de master, autant dire que c’est plutôt apaisant. Je n’ai pas travaillé autant qu’en première année (encore heureux) et je m’en sors vraiment pas si mal. Mais voilà, une année de validée c’est rien d’autre qu’une année de plus. Bientôt, je dirai que je suis en 3ème année de médecine. Toujours un « tout bébé docteur », rien de significatif. Un petit pas de fourmis sur le long chemin qu’il reste à parcourir.
Mais cependant … cependant … la responsabilité, encore à des kilomètres, ne va pas tarder à pointer le bout de son nez ! Sournoise, elle approche, dans l’ombre. Un jour, elle m’attrapera, et ça sera terminé. Et ce jour se rapproche, inéluctablement. Et la pression monte, indubitablement. Mais s’agit-il vraiment du revers de la médaille ? N’est-ce pas là également la promesse de voir ses compétences grandissantes enfin mises à l’œuvre, pour le bien de la personne malade ? Pour ces hommes et ces femmes qui peut-être un jour auront l’audace ou la folle idée de mettre leur santé entre mes mains.
Devenir médecin. La pensée de l’accomplir ne franchit pas encore les barrières de mon esprit, comme s’il était trop pragmatique, trop réaliste pour ne serait-ce que tolérer l’idée. Les entrelacs de mes neurones sont comme des couloirs froids et austères où paradent des légions de GABA* à la manière des militaires, réprimant les groupuscules de Glutamate** manifestant contre la censure. On évitera désormais les métaphores neuro-physio-poético-burlesques, promis …
Ce jour-là, je redevins le patient. Un cabinet sympathique, cinq médecins généraliste, une secrétaire. Le téléphone sonnait régulièrement. Ayant pris rendez-vous le matin même, je m’y rendais pour la première fois, étant loin de ma grosse ville de résidence, profitant du début de mes vacances à la campagne. Enfin, profitant, jusqu’à ses cinq derniers jours où, écouter avec mon oreille gauche devenait de plus en plus délicat. Otite ? Bouchon de cérumen ? Autre ? Faites vos jeux.
Dans la salle d’attente, mes yeux se perdent sur les affiches, les décors, les autres. Je m’interroge : pourrais-je devenir généraliste ? Ce n’est pas une spécialité d’organe, ce qui me plait bien. Oui, mais la médecine interne, rêve de fou furieux qui n’a encore jamais vraiment vu ce qu’était la médecine, m’attire encore. Je me perds dans mes pensées. 15 minutes après l’heure de mon rendez-vous, on m’appelle.
Le médecin est un jeune homme, pas beaucoup plus grand que moi ce qui me soulage d’une peur irrationnelle : qui ferait confiance à un « petit médecin » ? Etant peu gâté par la nature à ce niveau, j’avoue avoir ressenti comme une sorte d’encouragement devant celui que je considérais comme une sorte de « futur pair ». Poignée de main ferme mais chaleureuse, j’entre. Il se présente et précise qu’il est remplaçant. Comme c’est la première fois que je viens, ça m’est égal. Il commence à m’interroger. Un collègue l’interrompt, il sort discuter. Je pense : quand même, il aurait pu s’excuser. Mais au fond, ça ne me gêne pas. C’est si facile d’oublier, et puis, si ça se trouve, il vient de commencer son remplacement. Ça peut stresser et faire oublier ces petites choses sans grande importance. Je repense à la façon de décrire ma plainte, le plus clairement possible, sans rien omettre. Faudrait que je décroche de la sémiologie, parfois. Il revient. Il me demande mon métier. Etudiant en médecine. « Ah ? Quelle année ? ». « J’ai terminé ma 2ème année ». « C’est bien ça ! Profites-en. Surtout la 2ème et la 3ème … tant que tu auras le temps ». On rit. On discute. Il m’examine. Il teste un appareil, m’explique. Me demande la sémiologie ORL. Mais c’est l’année prochaine. Vous avez fait votre pari ? Alors attention, rien ne va plus. Gagné, c’est un bouchon. Il nettoie tout ça, me déconseille le coton-tige à l’avenir. On discute. C’est le moment de régler. Mais il a déjà commencé à me faire sortir. Je demande : « Je règle à l’accueil ? ». Il sourit, me serre la main : « Non, on ne me l’a jamais fait à moi, mais tu ne règles rien ! ». Je le remercie, du fond du cœur, vraiment.
Parce que là, il ne s’en rend peut-être pas compte, mais il vient de pulvériser une barrière dans ma tête. Une légion de GABA vient d’être décimée en un instant. Le glutamate pète la forme, la manifestation prend de l’ampleur. On avait dit qu’on arrêtait les métaphores comme ça … Je repense à cette sorte de mythe, de tradition, inspirée du serment de l’ordre des médecins, où le confrère médecin ne fait pas payer sa consultation à son confrère malade. Je me sens tout à coup comme sur le pallier, porte entrouverte, de la grande maison des médecins. En face de quelqu’un qui vient de m’appeler à y entrer.
Ce médecin m’a rendu l’ouïe, mais pas seulement. Il m’a rappelé mon engagement sur un chemin interminable mais surement fantastique. Il a réveillé l’envie de faire ce voyage. Il a brisé une des barrières, et bien qu’il en reste d’autres, le GABA n’a qu’à bien se tenir … (on a dit STOP bon sang !).
* GABA : neuromédiateur « inhibiteur ».** Glutamate : neuromédiateur « excitateur ».