Le grand saut : plonger dans la médecine

Cela fait longtemps que je n’ai pas écrit. Ce n’est peut-être pas si étrange que l’envie survienne en ce moment. Car aujourd’hui, c’est bientôt le premier jour du reste de ma vie, quelque part. Car aujourd’hui, c’est le dernier lundi de la dernière semaine travaillée en tant qu’interne. C’est la dernière ligne droite où l’imposture se cache derrière des croyances moins dysfonctionnelles à type de « c’est normal de ne pas tout savoir, je suis interne, j’ai encore beaucoup à apprendre ! » ou « si ça ne marche pas, c’est parce que je ne suis pas assez encadré/séniorisé » ou encore « au pire, si je ne sais pas, je demanderai à mon chef… ». Comme si apprendre à soigner se limitait à une grosse dizaine d’années d’études. Comme si, dans quelques jours, je m’endormirais interne et me réveillerait « sénior », touché par la grâce, ayant la science infuse et boursouflé d’un sentiment de légitimité soudain.

C’est plutôt un peu comme faire le grand saut, en haut du haut plongeoir. Grimper l’échelle est fastidieux et difficile, même si l’espoir et le rêve de sauter rend la montée excitante. On se laisser aller à imaginer le plongeon, agile et gracieux, les deux pieds bien joints soulevés par la force élastique de la planche, le corps magnifiquement aligné décrivant la courbe de l’arc de cercle parfait, les deux bras tendus symétriquement comme un bec de faucon pèlerin en pleine chasse, une sorte de ralenti cinématographique pour amorcer une descente rectiligne précise vers la surface immaculée de l’eau chlorée et scintillante, une entrée pleinement aérodynamique, un déferlement harmonieux de bulles et de gouttes jusqu’à parachever la performance avec la dernière perle d’eau retombant pile au point d’impact du plongeon… On se dit même que ça pourrait être facile, si on a bien travaillé, bien pris le temps de grimper chaque barreau de l’échelle, en sentant les tensions dans les muscles mis à l’épreuve, en comprenant chaque mouvement, chaque force en présence, chaque détail lequel, selon nos maîtres, si on l’oubliait, pourrait rendre le plongeon fatal. Ou ferait de nous un mauvais plongeur, indigne de prétendre plonger. La critique du plongeon des autres est d’ailleurs presque un sport national, et il est vrai que nous en voyons de toute sorte : des plats ventraux dramatiques (et parfois douloureux), des sauts partisans du moindre effort avec les deux pieds en avant et tant pis, des bombes qui vident la piscine sans scrupules pour les dommages collatéraux (et particuliers qui éclaboussent les autres plongeurs pour les couvrir de honte et les spectateurs qui ne demandaient qu’à ce qu’on prennent un peu soin d’eux).

Et puis, un jour que l’on attendait plus, on arrive en haut. Neuf, dix, onze, peut-être même douze mètres. En bas, des jeunes aspirants plongeurs nous regardent, avec ce même air admiratif que nous avions à leur place autrefois. Oui, autrefois, car il s’en est passé, quelques années, à grimper. A oublier, parfois, peut-être, cette place d’en bas, cette admiration, ou ce rêve de perfection. A s’oublier un peu soi-même, pour être garant d’une excellence, répondre aux attentes des maîtres, et surtout à celles des spectateurs dont il faut prendre soin : ne pas seulement leur offrir un spectacle, mais surtout leur rendre service, les guérir parfois de l’angoisse, les écouter toujours (même en étant aussi haut sur ce plongeoir), les accompagner dans le saut (et même avant, pendant, et après), les soulager souvent de l’attente dans laquelle ils sont eux-mêmes plongés. Et en même temps, ne pas se perdre dans l’océan de leurs attentes, savoir construire ensemble un chemin dans la tempête, une trajectoire pour le plongeon, en accord avec les valeurs savamment élaborées lors de l’ascension de l’échelle sous les yeux mystérieux de la société toute entière.

Alors comment ne pas s’agripper un instant, en sentant le vertige qui soudainement nous saisit, en haut du plongeoir, quand vient notre tour de sauter ? Comment ne pas sentir comme un rapport lointain avec l’idée d’une mort inéluctable, ce moment de la vie qui ne se vit qu’une fois, quand il s’agit un jour de passer de l’étudiant au docteur diplômé ? Comment ne pas figer jusqu’à notre souffle en apercevant à peine le bout de la planche, suspendue au-dessus du vide, de l’eau, des murmures des spectateurs, et de nos pensées automatiques et soudaines : « pourquoi ? Qu’est-ce que je fais là ? En suis-je vraiment capable ? Serai-je vraiment responsable ? Et si je rate ? Et si j’échoue ? Et si je tue ? L’ai-je même déjà fait en grimpant l’échelle ? Tout le monde saura alors ? Me laissera-t-on quand même sauter ? Puis-je même prétendre sauter ? Qu’est-ce que cela fera de moi ? Qu’est-ce que cela fera d’eux ? Et tous ces doutes sont-ils normaux ? »…

N’ayez pas peur d’avoir peur. Il y aura des sauts anxieux et des sauts heureux. Il y aura des sauts maitrisés et d’autres à perfectionner. Il y aura des sauts loupés, car un vent furieux, imprévisible et soudain détournera la trajectoire. Il y aura des sauts risqués qui se passeront pourtant bien. Il y aura toujours des sauts critiques, des sauts vertigineux, des sauts faciles et des premiers sauts. Et il y aura enfin, à chaque saut, une promesse d’empathie, d’implication et d’engagement, jamais plus léger que soi et son spectateur, toujours dans le respect de la vie, et résolument emprunte d’un peu de doutes, d’un peu de peur, d’un peu de folie, d’un peu d’amour, d’un peu de joie, d’un peu d’éthique et de beaucoup d’humanité.

Ceci n’est pas un point final. Ni même une virgule, mais peut-être juste une goutte dans la piscine…

Une brève histoire de la psychiatrie et de la psychologie (Partie 4/4)

Terminons cette série de billets, à voir comme de petites lucarnes sur l’histoire de deux professions complémentaires, avec tous les biais d’une histoire écrite par ceux qui sont là, et mes propres lacunes d’être humain qui n’est pas historien. Une histoire avec quelques nuances, quelques pensées, et quelques choix. Mais de quoi faire tourner la bicyclette qu’on peut avoir dans la tête et alimenter nos débats…

La place du psychologue : une profession médicale ?

In fine, l’histoire du métier de psychologue, s’il connait des intrications entre l’univers médical, le champ philosophique et l’émergence d’une science correspondant à des questions éternelles que se pose l’humanité, rencontre aujourd’hui un enjeu de définition majeur. Qu’est-ce qu’un psychologue ? En quoi se distingue-t-il d’autres professionnels (ou charlatans) ? Qu’est-ce qui, en clinique comme ailleurs, permet au psychologue d’agir selon un certain nombre de valeurs et dans le cadre d’une déontologie qui ne serait pas que déclarative ? Qu’est-ce qui, pour un psychologue clinicien, justifie que l’assurance maladie et la solidarité nationale finance et rembourse les consultations, dont l’intérêt en matière de soin de santé mentale et de santé publique n’est plus à démontrer ? Qu’est-ce qui fait du psychologue un professionnel à l’égal des médecins, dans son champ d’expertise, allié de poids des patients et des personnes qui le consulte ?

Les enjeux théoriques et dogmatiques qui gangrènent l’histoire de la psychiatrie et de la psychologie cliniques ne sont pas innocentes dans le maintien d’un statut quo indéfini du psychologue. Longtemps, un certain courant de psychanalyse s’est emparé d’un pouvoir sur les esprits, et le pouvoir apprécie rarement d’être partagé. Si les divergences d’opinions et de pratiques conduisent les professionnels de santé mentale à pérenniser des guerres intestines, elles ne servent probablement pas l’avancée du débat. La question d’un ordre professionnel des psychologues se pose sérieusement, dans ce contexte de diversités de chapelles, mais également de l’impact d’un tel ordre. Lorsqu’on regarde le mauvais élève qu’est l’ordre des médecins dans les métiers protégés, ou le caractère particulier de la tentative de création d’un ordre des infirmiers, on peut légitimement s’interroger sur les personnes amenés à diriger et faire vivre cet ordre, qui ne devrait effectivement n’avoir pour mission que de protéger la profession, règlementer la pratique et se montrer garant des enjeux déontologiques, mais non pas de détourner des fonds et ignorer les problématiques des professionnels… La création d’un ordre des psychologue est ainsi une sorte de vieux serpent de mer qui existe depuis plus de 50 ans, s’est vu refusé (alors même que l’ordre des infirmier a pu naître) et semble désormais sur le point d’apparaitre, notamment au regard de l’actualisation du code de déontologie des psychologue en Juin 2021 (8).

Les psychologues, du moins les cliniciens, méritent un statut de profession médicale. Tenant longtemps leur posture de « non professionnels de santé », pour des raisons probablement en lien avec la sphère psychanalytique, le fait d’être une profession « médicale » ne les dépossède pas pour autant d’une capacité de recul sur les processus à l’œuvre dans leur clinique quotidienne. Elle leur offre surtout l’autonomie dont ils ont besoin et qu’ils réclament, et une absence de hiérarchie avec les autres professionnels de santé et en particulier les médecins qui les ont tant et souvent méprisé. L’accès à un psychologue, en effet, n’est pas toujours motivé par des raisons de santé, par un « problème » à résoudre. Il s’agit parfois d’une démarche personnelle, d’un individu souhaitant mieux se comprendre, ou évoluer sur son chemin de vie. Si, dans ce cas, la question d’un remboursement (décent !) peut se poser (bien qu’il existe une visée préventive dans ce type de démarche), reste qu’un certain nombre de personnes viennent aussi chez leur médecin (ou chez leur psychologue) pour un « check-up » inutile ou commandité par quelques sociétés, pour parler, pour pleurer sans trouble associé, pour prendre une décision importante dans leur vie, ou pour bien d’autres mystères en toute « bonne santé » que l’âme humaine sait garder depuis l’aube de l’humanité.

Psychodynamicien, cognitivo-comportementaliste, systémicien, existentialiste, développementaliste… chaque approche a ses intérêts et ses inconvénients. Une réflexion d’ordre « evidence based » ne peut se défaire, aussi, des interrogations épistémologiques sur ce que la science peut mesurer, et sur les deux autres piliers du modèle, à savoir l’expérience du praticien et le rôle du patient/de l’acteur. La richesse d’une diversité de pratiques, ou de modèles intégratifs, permet de bâtir des ponts plutôt que de creuser des fossés, de cesser d’alimenter des guerres de pouvoir. De même qu’assujettir la consultation d’un psychologue au bon vouloir d’un médecin dont ce n’est ni l’expertise, ni le champ de compétence, peut s’apparenter à une tentative de prise de pouvoir de la profession médicale sur une profession qui n’est en rien subordonnée à celle-ci. Entretenir des jeux de dominations dans le parcours de soin ne rend nullement service à un patient qui peut vouloir préserver une partie de sa santé dans le secret d’un professionnel qui ne soit pas son « médecin de tous les jours », surtout quand ce dernier connait et suit toute sa famille par exemple. De même que des administratifs fixant 22€ la consultation de 30 minutes n’ont semble-t-il aucune expertise de la réalité d’une consultation chez un psychologue, assoient-ils un biopouvoir foucaldien illusoire pour prétendre se préoccuper sincèrement de la santé mentale des français ? Le contrepouvoir dans la démocratie sanitaire impose d’entendre les acteurs et les auteurs des soins. Puissent-ils être écoutés…

1.           Phèdre [Internet]. 2021 [cité 1 mai 2021]. Disponible sur: https://www.livredepoche.com/livre/phedre-9782253082385
2.           Aristotle. Métaphysique d’ Aristote. Germer-Baillière et Cie; 1879. 544 p.
3.           Aristoteles, Bodéüs R. De l’âme. Réédition. Paris: Flammarion; 2018. 330 p. (GF).
4.           Descartes R. Les passions de l’âme. Jacq. besongne; 1651. 342 p.
5.           Jouanna J. Hippocrate. Édition mise à jour. Paris: Les Belles Lettres; 2017. 719 p.
6.           Bianic TL. Une profession balkanisée : les psychologues face à l’État en France (1945-1985). Politix. 11 oct 2013;N° 102(2):175‑207.
7.           ROGERS C. La relation d’aide et la psychothérapie. ESF Sciences humaines; 2019. 332 p.
8.           CERéDéPsy. Code de déontologie des psychologues [Internet]. 2021 [cité 13 juin 2021]. Disponible sur: http://www.codededeontologiedespsychologues.fr/IMG/pdf/Code_psychologue_2021_-_texte_definitif_-_couleur.pdf

Chute de la nuit

La nuit ne tombe pas sous les néons vitreux,
Des couloirs aux murs blancs où se relaient les blouses,
Donnant soins et repas à quelques malheureux,
Dont le trouble accablant les poursuit, les épouse.

La nuit ne tombe pas sur les âmes brisées,
Qui ruminent leurs peurs, leurs regrets du passé,
Et dont les avenirs semblent flous et noircis,
En mangeant leur plateau haché, mixé, mal cuit.

La nuit ne tombe pas sur les ordinateurs,
Ces boites de Pétri en milieu grand ouvert,
Qui rament à trépas au rythme des erreurs,
Qui allument au moins nos plus noires colères.

La nuit ne tombe pas sur les saints protocoles,
Dont l’Administration raffole sans secret,
Traçables, validés et conformes aux décrets,
Nul ne sort des cases et des cotations folles !

La nuit ne tombe pas sur les vies qui s’éteignent,
Seules au fond d’un lit ou en pleine bataille,
Une main soutenue ou le cœur qui défaille,
La mort surprend parfois où la confiance règne…

La nuit tombe soudain quand un soignant s’effondre,
Quand sonnent les alarmes que les décideurs mutent,
Quand la cadence tue, carbonise et fait fondre,
Les valeurs du soin que les politiques buttent.

Rivage au clair de lune, Caspar David Friedrich, 1835

Examen clinique

René Théophile Hyacinthe Laennec, inventeur du stéthoscope, en pleine auscultation.

Conscient et adapté, vigile et orienté.
Constantes bien normées, bonne hémodynamique.
Bruits du cœur réguliers, sans souffle et eucardiques,
Pas de pointe déviée, tous les pouls sont palpés.

Ventile en air ambiant, normopnée, eupnéique,
Au son des murmures, audibles, symétriques.
Abdomen souple, dépressible indolore,
Pas de cicatrice sur l’ensemble du corps.

Lucide et cohérent, pupilles réactives,
Sans aucun déficit sensitivomoteur,
Réflexes un peu vifs, petit moment rieur.

Des pieds à la tête, la clinique attentive
Fait le tour d’un être, et d’un autre contact,
Rencontre deux âmes au sein d’un précieux pacte.

Lettre d’un ingrat corporatiste

A l’intention de ces mesdames et messieurs les députés (Mme Fiat, Mme Autain, M. Bernalicis, M. Coquerel, M. Corbière, M. Lachaud, M. Larive, M. Mélenchon, Mme Obono, Mme Panot, M. Prud’homme, M. Quatennens, M. Ratenon, Mme Ressiguier, Mme Rubin, M. Ruffin et Mme Taurine) auteurs de la proposition d’amendement n°1039 de l’article L.4131-6 du code de la santé publique.

Après 6 ans de formation universitaire dont j’ai réglé les droits d’inscription – comme toutes celles et ceux qui, comme certain.e.s d’entre vous l’ont fait, s’inscrivent dans l’enseignement supérieur – comprenant au moins 3 ans d’externat, c’est-à-dire, d’un mi-temps entre les bancs de la facs et plusieurs services hospitaliers (où j’assumais ainsi, entre deux leçons de médecine, le remplacement du déficit en personnel de santé : brancardage, secrétariat, standardiste téléphonique, etc.) tout en préparant un concours redoutable qui allait déterminer mon choix de spécialité et la région de ma formation des 3 à 5 prochaines années, je me suis engagé, de plein gré, dans l’internat de médecine générale.

Je découvre votre amendement avec une franche stupéfaction. Elle vire à une vive indignation en lisant ces lignes putrides : « Cette liberté d’installation constitue une forme d’ingratitude corporatiste envers la collectivité », « la liberté d’installation totale […] les mène à privilégier leur confort de vie présumé sur leur mission de service public ». Je me demande : à quel moment avez-vous commencé à penser qu’un argumentaire basé sur l’insulte et le mépris serait pertinent, d’autant plus pour élaborer une politique de santé ?

Je n’aimerai pas avoir besoin de vous rappeler les conditions de formation en médecine telles qu’elles sont actuellement. Les concours répétés, le climat de compétition perpétuelle, une tradition folklorique malsaine (que je dénonce bien volontiers), des externes payés indemnisés au lance-pierre pendant 3 ans (150€/mois en 4e année, 250€/mois en 6e année[i]), des internes payés de 1300 à 2000€/mois pendant les 3 à 5 ans de formation où ils assurent le fonctionnement de bien des services hospitaliers qui fermeraient sans eux en moyennant une quantité de travail de l’ordre de 60 à 90h par semaine dans le silence le plus méprisant de toute structure institutionnelle, des taux de suicides, d’anxiété et de dépression qui feraient de France Télécom un très petit joueur[ii], des conditions de travail où peuvent s’enchainer parfois plus de 24h sans interruption pour répondre aux besoins de santé à des degrés d’urgences variables faute d’une politique de santé optimale… Voici le confort de vie que les médecins privilégient déjà pendant leur formation, en vertu de principes d’éthique, de règles déontologiques (donc qu’ils se sont donnés eux-mêmes) et d’intégrité, et ce, pour leurs patients.

Je n’aimerai pas non plus vous rappeler l’état actuel du système de santé et plus particulièrement en ce qui concerne les soins primaires. Le résultat d’une politique hasardeuse de restriction du numérus clausus sans évaluation de ses effets à long terme. Le souci, après plus de 50 ans d’hospitalo-centrisme, du « virage ambulatoire », d’autant plus économiquement viable qu’il vise à réduire les durées d’hospitalisation, mais dont les moyens alloués ne permettent pas une réelle politique de prévention pour réduire ces hospitalisations. L’augmentation risible du prix de la consultation de médecine générale en secteur 1 (de 16,90€ en 1996 à 25€ depuis 2017) qui ne tient pas compte de l’inflation, du coût de la vie et des charges, de l’augmentation de la complexité des soins inhérente à l’accroissement constant des maladies chroniques, des polypathologies et du vieillissement de la population (problématiques pour lesquelles rien n’est fait, à part réduire le budget alloué, le personnel et le nombre de structures d’accueil, proposer des tarifs ridicules aux infirmiers libéraux, rembourser l’homéopathie en lieu et place de soins réellement utiles… on attend vos amendement sur ces sujets).

Mais, vous savez parfaitement tout cela, et tout ce que je n’ai pas encore dit, et ce qu’il faudrait ajouter pour dresser un tableau sincère et exhaustif pointant la responsabilité des décisions publiques aboutissant à l’état du système de santé dans lequel il se trouve. Certains médecins ont joué leur rôle dans ce massacre. Pendant ce temps, la plupart des soignants, la majorité silencieuse, s’est contenté de faire ce qu’elle a toujours fait : prendre soin des gens.

Je me suis demandé si la coercition que vous prônez, pour de mauvaises raisons (à ma connaissance, les insultes et le mépris, s’ils sont de – mauvais – procédés rhétoriques de spectacle, n’ont rien de pertinent dans un argumentaire d’un Etat de raison), était éthique. Je ne suis pas politicien, c’est-à-dire, je ne suis pas, comme vous, élu pour organiser, protéger et exercer le pouvoir d’une société organisée au service de cette société. Néanmoins, en tant que citoyen, votre démarche m’interpelle. Quels principes, quelle humanité, permettent à des êtres humains en charge des décisions politiques, d’imposer dans l’insulte et le mépris à ceux qui soignent d’aller soigner des territoires plutôt que des personnes ? N’envoie-t-on pas plutôt les médecins soigner des fantasmes, instruments d’un électorat potentiel, en jouant la carte des « déserts médicaux » ?

Parce que la problématique des zones sous-dotées en médecins n’est pas une question de médecine. Non, la « désertification médicale » n’est qu’un symptôme. Le signe d’une urbanisation accélérée, d’une quête de l’emploi qui rencontre plus de succès autour des grandes villes, de familles naissantes qui veulent des écoles, un cinéma, un supermarché et des opportunités de vie modernes, d’une population vieillissante qui s’isole dans l’indifférence générale, et qui, en effet, passé un certain âge et un certain nombre de maladies, demande des soins longs, complexes, et souvent réalisés avec le peu de moyens que la société accepte de mettre en œuvre. Ces « déserts » sont désertés par tout ce qui fait une vie : médecin, écoles, culture, emploi, fonction publique, grandes surfaces, etc. Y poser un médecin ne changera pas la considération ingrate, hypocrite et politique que l’on daigne leur accorder en période électorale ou de clivage social.

Parce que le mythe du médecin nanti, comptant amoureusement ses billets chaque soir, et ne travaillant que deux heures tous les quatre matins entre deux sessions de golf est à abattre. Le médecin travaille en moyenne 50h par semaine[iii], dont beaucoup sont perdues dans des actes administratifs lourdingues ou des consultations aux motifs surfaits : arrêt de travail exigé par l’entreprise pour une ou deux journées, certificat à la pratique de l’aqua-pétanque en balle de mousse de compétition, etc.. A cela, encore, vous répondez par des mesures inappropriées qui altèrent davantage la qualité des soins, mais c’est un autre débat[iv].

Oui, le médecin doit être attentif à son confort de vie. Cet engagement déontologique vient d’être ajoutée à la déclaration de Genève[v] (« Je veillerai à ma propre santé, à mon bien-être et au maintien de ma formation afin de prodiguer des soins irréprochables »), sorte de serment d’Hippocrate mis à jour, proposé par l’OMS et déjà prononcé par les nouveaux médecins du monde entier à l’obtention de leur diplôme. Un médecin déjà maltraité pendant sa formation (qui rend bien plus à la société que ce qu’elle ne lui donne, lui faisant notamment économiser 80.000 à 120.000€ pendant son internat[vi] !), éprouvé par la nature même des situations inhérentes à sa profession, et qui serait d’autant plus contraint d’aller travailler là où il ne pourrait s’épanouir faute d’une problématique non médicale à résoudre, peut-il vraiment apporter un soin de qualité auxquels les français ont le droit ? Faut-il rappeler encore qu’un médecin sur deux connaîtra un burn-out au cours de sa carrière et que le burn-out est à l’origine de nombreuses erreurs médicales[vii] ? Quelle gloire tirerons nos politiques à envoyer des médecins résoudre un problème sociétal plutôt que d’accomplir leur métier, si c’est pour n’offrir que le mirage de soins, fautes de vrais moyens, à une population qui mérite bien mieux qu’une santé dégommée à coups d’économie de bouts de chandelles, de mépris et de coercition ? Il suffit de réfléchir : vous vous rendez compte de l’impact d’un médecin généraliste qui changerait tous les trois ans dans ces régions sur la qualité des soins ? Quel lien ? Quel suivi ? Qui satisfaites-vous dans cette mesure, sinon et seulement vous-mêmes ?

La solution n’est probablement pas dans l’entretien du clivage d’une société déjà bien ébranlée. Il ne s’agit pas de prendre des mesures pour prendre des mesures, ni de rassurer les égos de quelques politiques présents pour ordonner mais absents (souvent) des bancs de l’hémicycles (et du terrain) pour réfléchir, ni encore de renvoyer la patate brûlante de la responsabilité dans les mains de qui voudra bien la tenir. Une réelle politique d’attractivité des territoires doit être portée, au-delà des mots, dans une vraie considération de ces territoires qui souffrent non pas d’un manque de médecins, mais d’un manque de tout, et d’abord, de considération. Qui seront les députés courageux, éclairés et humains qui accepteront ce challenge, pour des soins de qualité, pour tous les français ?

La coercition n’est pas une solution, c’est au mieux un mirage, au pire, une politique ingrate de politiciens privilégiant leurs perspectives électorales sur les besoins en santé de pauvres gens qu’ils méprisent. Rendre aux territoires leur attractivité, guérir les blessures sociétales de ces régions carencées, retrouver une collectivité humaine renversant la tendance à l’individualisme, n’est-ce pas une mission fondamentalement politique qui donnerait envie, librement, de venir à n’importe quel citoyen, soignant, et pas seulement ?

Je ne suis pas politicien. Je suis un médecin généraliste en formation. Mon métier, c’est prendre soin. Et je ne sais pas soigner avec les mains liées.

[i] https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000032795945

[ii] https://www.anemf.org/blog/2017/06/13/enquete-sante-mentale-des-jeunes-medecins-2/

[iii] https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/article201015.pdf

[iv] https://www.change.org/p/agn%C3%A8s-buzyn-non-%C3%A0-l-abattage-en-m%C3%A9decine-g%C3%A9n%C3%A9rale

[v] https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9claration_de_Gen%C3%A8ve

[vi] https://www.egora.fr/actus-pro/etudes-de-medecine/17420-120-000-euros-par-cursus-ce-que-fait-economiser-un-carabin-a-l?page=0%2C1

[vii] https://jamanetwork.com/journals/jamainternalmedicine/article-abstract/2698144

 

PS : Etant donné les nombreux retours quand à cette lettre, je souhaite juste préciser certaines choses. Il s’agit d’une réaction essentiellement sur la forme d’un amendement qui insulte et méprise toute une profession. Il semblerait que ce texte ait été retiré car « comportant des erreurs ». Il m’arrive rarement de traiter qui que ce soit d’ingrat corporatiste par erreur. Et c’est bien dommage si les députés à l’origine ne sont pas suffisemment informés des réalités de la situation. Réinvestir les territoires sous-dotés en médecin, dans un contexte de manque global de médecins en France, ne peut se faire sans une politique plus large d’attractivité des territoires. Cette politique ne peut être une simple recette universelle. Chaque territoire doit faire le point, identifier les besoins et manquements particuliers qui le caractérise, et proposer des solutions adaptées. Et les médecins, comme les autres citoyens, viendront. De nombreuses organisations (ANEMF, ISNAR-IMG/ISNI, REAGJIR…) de médecins et de jeunes médecins proposent des solutions incitatives, qui sans coercition, offre de belles perspectives pour charmer des médecins qui, naturellement, librement, viendront s’installer là où on en a besoin. 

Brèves sémio-poétiques – Partie II

Sur un visage las et au regard tragique,
Des yeux portent des flammèches hémorragiques.
Se trace son vague à l’âme hémodynamique,
En traits agités par un orage rythmique.

Et le regard fuyant vers un ciel trop serein
Le tonnerre omis pour une lune de miel
Où fuitent les idées et naissent sur son sein
Angiomes stellaires et silence sépulcral.

Son thorax en carène où son cœur en carafe
A arrêté, enfin, la torsade de pointe.
La vie, sans valeur, quitte des genoux marbrés.

Carapace vide d’un Cotard exaucé,
Où reposent en paix deux cents os de cristal,
Quelques taches rubis et un collier de perles.

De nouveau, merci twitter pour tes suggestions d’expressions médicales. Surtout, continuez de m’en envoyer !

Le savoir illusoire

Étalage précis, en rangées symétriques
Dispersées dans l’amphi, les étudiants composent.
Je m’arrête un instant, mon cerveau se repose
Mon esprit divagant, d’humeur mélancolique.

A quelle aspiration ces blouses en formation
Se dévouent-elles tant ? Autant de conviction
En de grandes idées : vouloir sauver des vies…
Mais quelle vanité ! Que font-elles ici ?

Pour le titre « docteur », elles cochent des cases
Pour prétendre savoir, elles font des périphrases
Et la conscience en moins font de l’Art une science.

Quand le vivant, soudain, les fait sortir des livres
Et entrer dans l’humain : ils sont benêts et ivres
Ces futurs médecins découvrant l’impuissance !

Consentir : marche ou crève.

Je pourrais commencer par bien d’autres choses, et plus graves, néanmoins, je dois laisser le temps s’écouler, le sable couler pour générer le désert de l’anonymat, et peut-être une petite chance à un infime espoir de me montrer que l’avenir donnera tort à ces funestes annonces du présent. Cependant, la rage bouillonne et je voudrais la canaliser un instant en partageant avec vous cette petite réflexion quant à une situation tellement banale, mais ô combien délicate et cruelle… Et pardon, je suis en colère.

Passant devant les box des urgences, les chefs interpellent les quelques externes masculins qui composent la nouvelle équipe : « Ah oui, il y a quelques patientes qui vont refuser ce se faire examiner par un homme. Dans ce cas-là messieurs, ne perdez pas votre temps à discuter, vous venez nous chercher tout de suite et on remettra les pendules à l’heure. Nous partons du principe qu’elles sont dans un CHU, et qu’elles n’ont pas le choix : ou elles se font examinées, ou elles sortent voir ailleurs ». Consent. Marche ou crève. Plie-toi au système inhumain hospitalier, ou va mourir ailleurs.

Cela a l’air de ne choquer personne. C’est même plutôt quand, Candide, vous exprimez votre désaccord que vous recevez des regards courroucés, ébahis, plein d’incompréhension. Et des arguments de la plus haute qualité.

1. « Bah oui, elles ont choisi de venir dans un CHU, ça veut donc dire qu’elles acceptent d’être examinées par des étudiants, alors si elles refusent, elles sortent se faire soigner ailleurs ». Bien sûr, que suis-je bête, quand on se retrouve en pleine nuit à saigner, souffrir, vomir ou j’en passe, on pense tout de suite à vérifier que l’hôpital juste à côté de chez soi est bien un centre hospitalier non universitaire. Les ambulanciers, s’ils viennent vous chercher, vous demanderont immédiatement si vous souhaitez aller dans un CHU, c’est d’ailleurs leur première priorité. La maison de retraite qui envoie un pensionnaire aux urgences fait particulièrement attention à savoir si cette dernière souhaite ou non aller dans un CHU. Evidemment. Ah oui, et forcément, comme il y a « universitaire » dans CHU, ça veut nécessairement dire qu’en franchissant la porte de l’établissement, un consentement magique est présumé acquis pour tout examen, par toute personne, en toute circonstance. C’est beau, quand même, le pouvoir universitaire !

2. « Que ça soit un homme ou une femme, un médecin (même encore étudiant) est avant tout un médecin, un point c’est tout ; refuser d’être examiné.e par un médecin d’un certain sexe, c’est une discrimination ! ». En voilà une belle. Tout le monde revendique une médecine humaine, mais dès qu’il s’agit du médecin, houlàààà attention, non, ce n’est pas un homme ou une femme, c’est « un médecin ». Ok, très bien. Vous savez ce qu’il y a sous la blouse des médecins ? Ca !

SousLaBlouse

Ne vomissez pas, ce n’est que moi. De la chair, des os, un cœur, une âme parfois… un être humain. Qu’est-ce qu’un être humain ? N’est-ce pas déjà un homme ou une femme, du moins corporellement parlant ? N’est-ce pas ensuite un individu qui, loin de la machine, ne peut se défaire de certaines caractéristiques proprement humaines : la raison, mais aussi, une personnalité, un comportement, une certaine spiritualité, une individualité… Le médecin délaisse dans son comportement de professionnel certains traits propres aux êtres humains pour inscrire sa pratique au service de la personne qui sollicite son expertise, au profil d’un professionnalisme idéalement non-juge, bienveillant, à l’écoute. Mais le médecin ne peut renier son sexe, son âge, ou son apparence. Si la personne qui fait appel à lui y trouve, pour une raison valable ou non, quelque chose qui ne la met pas en confiance ou en condition d’être soignée par ce professionnel, c’est son droit, son humanité, quelque part. Alors on me dira « Et si le patient refuse d’être examiné par un médecin noir de peau, tu trouverais ça normal toi de cautionner ce racisme ? ». Au risque d’en choquer pas mal, oui. Parce que comprendre l’autre, ce n’est pas être d’accord avec les valeurs de l’autre. Comprendre, en ce sens, se rapproche de l’empathie. Ce n’est pas réfléchir ou ressentir pour l’autre, c’est se mettre à sa place, comme si on pensait ce qu’il pensait. Ce n’est pas accepter ses idéologies, c’est les reconnaître, voir qu’elles sont là et vraies pour lui, même si on ne les partage pas. Ce n’est pas juger, ou n’accepter que ce que l’on conçoit comme juste. C’est percevoir pleinement son point de vue, et lui montrer qu’on l’a compris. Ce qui ne veut pas dire non plus accéder à toutes ces requêtes. Si un patient ne veut pas être examiné par un soignant, pour quelque raison que ça soit, c’est son droit. Si on est en mesure de lui proposer un autre soignant, alors pourquoi ne pas simplement le faire ? Il me parait essentiel, à chaque nouvelle rencontre avec un patient, de considérer qu’il est possible que le contact ne se fasse pas, et que ça ne soit ni la faute de l’un, ni la faute de l’autre. De la même façon que nous croisons des gens qui vont entrer dans nos vies, et d’autres rester de parfaits inconnus, voir des personnes à carrément éviter. L’inconscient, le hasard, le destin… qu’importe la raison.

3. « Mais tu te rends compte, si tout le monde refuse d’être soigné par untel ou unetelle, ça serait intenable et carrément pas rentable ! ». Déjà, combien de patients refusent d’être soignés par un soignant ? Cela arrive, certes, mais le chiffre ne doit pas être supérieur à ceux qui acceptent au premier contact de se faire prendre en charge par « le premier soignant venu ». Ensuite, plutôt que de chercher une raison pour laquelle s’indigner quant au refus de la personne à se faire soigner par un soignant particulier, pourquoi ne pas plutôt essayer d’utiliser son énergie pour tenter de résoudre le problème. Après tout, une femme refusant d’être examinée par un homme peut le faire pour des raisons peut-être religieuses, mais peut être aussi plus profondes et qu’elle ne balancera pas comme ça au premier soignant qu’elle rencontrera, d’autant plus si elle « ne le sent pas ». Alors oui, ça nécessite de s’adapter, et, je le reconnais, dans certaines circonstances, ce n’est pas toujours possible : dans l’urgence (mais est-ce que le patient est réellement en mesure de manifester ce genre de préférences quand sa vie est mise en jeu à court terme ? Et dans ce cas, à l’instar des témoins de Jéhovah qui refusent la transfusion par exemple, s’ils sont parfaitement conscients et informés des risques de leur refus de prise en charge et du fait qu’il n’y ait aucun moyen faire autrement, on peut respecter leur décision), ou bien lorsque le service est surchargé de travail et ne peut vraiment pas répondre à la demande, par exemple. En dehors de l’hôpital, le patient peut choisir son médecin plus facilement la plupart du temps : déjà, il lui faudrait trouver plusieurs médecins qui acceptent de le prendre comme patient, ce qui n’est pas mince affaire dans certains endroits. Ensuite, les premières consultations sont des tests, et à tout moment, la relation peut s’interrompre pour mille et une raisons. Alors non, c’est pas pour autant qu’on devrait aligner tous les médecins et étudiants du service à l’entrée de chaque patient pour lui demander lesquels il accepte pour s’occuper de lui. Mais c’est reconnaître que la rencontre ne fonctionne pas avec un soignant et pourra marcher à merveille avec un autre, pour peu qu’il soit disponible. Et dans le cas contraire, expliquer, ne pas juger, comprendre, manifester de l’empathie, et proposer une solution, quand bien même un peu décevante, mais ne pas jeter la personne dehors. C’est si difficile de bredouiller quelque chose du genre « Oui madame, je suis désolé car j’entends bien que vous préfèreriez être examinée par une femme. Malheureusement, le service est surchargé, et aucune soignante n’est disponible à l’instant. Ce que je vous propose, c’est de commencer à discuter un peu de vos antécédents médicaux si vous êtes d’accord et de voir comment les choses se passent, le temps qu’une soignante se libère, ou bien de patienter pour l’attendre, quitte à attendre un moment, qu’est-ce qui vous conviendrait ? ». Bref… Tendre la main, plutôt que de foutre un coup de pied au cul pour mettre à la porte. On est dans un hôpital, un hospice, un lieu d’hospitalité oui ou merde ?! Vous noterez que je passe sur l’argument de la rentabilité. Il y a un moment où la médecine ne sera plus humaine ni même thérapeutique, mais strictement économique, et ce jour-là, peut-être que je changerai de pays ou que je dévisserai une plaque je n’ai même pas encore. La santé se fourvoie dans un système dirigé par des comptables, ou par des soignants qui se sont oubliés. Mais quand on écrit ça, on se fait traiter de conspirationniste, et les débats politiques resteront, pour l’heure, dans ma sphère privée.

Pour terminer ce billet, je n’ai pas de belle conclusion. Je voudrais juste glisser ici quelques petits extraits de la fameuse charte de la personne hospitalisée (version complète ici). Vous savez, cette petite affiche colorée qui tâche les murs au blanc douteux de nos établissements de santé, et notamment nos fameux CHU. Ca sort d’une loi, et en substance, ça dit ça :

Article 1 : « Toute personne est libre de choisir l’établissement de santé qui la prendra en charge, dans la limite des possibilités de chaque établissement. Le service public hospitalier est accessible à tous, en particulier aux personnes démunies et, en cas d’urgence, aux personnes sans couverture sociale ».

Article 2 : «  Les établissements de santé garantissent la qualité de l’accueil, des traitements et des soins. Ils sont attentifs au soulagement de la douleur et mettent tout en œuvre pour assurer à chacun une vie digne, avec une attention particulière à la fin de vie ».

Article 4 : «  Un acte médical ne peut être pratiqué qu’avec le consentement libre et éclairé du patient. Celui-ci a le droit de refuser tout traitement. (…) ».

Article 8 : « La personne hospitalisée est traitée avec égards. Ses croyances sont respectées. Son intimité est préservée ainsi que sa tranquillité ».

Article 11 : « La personne hospitalisée peut exprimer des observations sur les soins et sur l’accueil qu’elle a reçus. (…) ».

Ah et puis, pour le plaisir, l’article 6 (R.4127-6) du code de la santé publique : « Le médecin doit respecter le droit que possède toute personne de choisir librement son médecin. Il doit lui faciliter l’exercice de ce droit. ».

Voilà. Il est peut-être temps de penser à mettre tout ça en application. Ça serait déjà pas mal. Les belles déclarations, c’est bien. Les voir transcrites en actes, c’est mieux.

Notre plus grand secret …

Le Secret Médical

Louis Portes, ancien président du conseil national de l’ordre des médecins, écrivit « Il n’y a pas de médecine sans confiance, de confiance sans confidence et de confidence sans secret ». Et si le secret médical devait se résumer à quelques mots, il s’agirait sans doute de ceux-là. N’en déplaise à Kant pour qui la vérité prime, la confession médicale fut l’affaire des guérisseurs depuis la nuit des temps…

Près de 900 ans avant J.C., la Bible, déjà, dans ses proverbes, inscrivait « As-tu un procès avec ton prochain, défends-toi mais sans dévoiler des secrets qui ne t’appartiennent pas : tu serais blâmé par ceux qui t’entendent et décrié sans retour ». Le secret, au sens large, devait demeurer entre le confessé et le confesseur. Le légendaire Hippocrate (460-377 avant J.C.) en fera un engagement solennel dans le sacro-saint Serment « Quoi que je voie ou entende dans la société pendant, ou même hors de l’exercice de ma profession, je tairai ce qui n’a jamais besoin d’être divulgué, regardant la discrétion comme un devoir en pareil cas. ». Ainsi, avant une quelconque autorité fut-elle divine, royale ou légale, les médecins grecs s’imposèrent eux-mêmes le respect du secret comme une obligation, le plus grand déshonneur revenant à ceux qui y dérogeraient. Etait-ce vraiment en vue de protéger les intérêts de leurs malades ou bien, comme l’étymologie du mot « secret » le laisse entendre, une manière de se séparer (secerno) du commun des mortels, de se doter de quelques attributs rares (secretus), et ce dans l’optique de se distinguer dans la société ? Quoi qu’il en soit, le Moyen-Âge ne permit pas d’en savoir plus, car cette époque fut, une fois de plus, une ère de recul dans la progression humaine. La médecine, comme bon nombre d’autres disciplines, se plongea dans la sphère religieuse de manière presque indiscernable si bien qu’on peut retrouver ci-et-là quelques références au secret du confessionnal qui pouvaient s’étendre à la pratique médicale. A titre d’humour, on peut citer Celse qui déclare « qu’un médecin prolixe équivaut pour le patient à une seconde maladie ». C’est peut-être chez les médecins arabes que le secret médical initié par Hippocrate trouva refuge pendant cette période. La Renaissance fit naître les premières obligations posées par une autorité, en l’occurrence, par exemple, la fameuse faculté de Paris qui décrètera en 1598 l’importance du secret en des termes vraiment intéressants « Que personne ne divulgue les secrets des malades, ni ce qu’il a vu, entendu ou compris ». Quelques théoriciens, dont deux particulièrement (Jean Bernier et Jean Vernier), consacreront des ouvrages au secret médical et tenteront de dégager un dogme, bien que leurs recommandations restent empreintes de mysticisme religieux. Il faut attendre le premier code pénal de 1810 à l’époque Napoléonienne pour voir apparaître la première obligation légale au secret professionnel dans l’article 378 : « La révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 100.000 F d’amende. ». Ainsi, l’infraction commise par la révélation du secret professionnel est punie, car référencée dans le code pénal (en accord avec l’article 111-3 du code pénal, le fameux principe de légalité des délits et des peines qui dit que « Nul ne peux être puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont pas définis par la loi … »). Le temps passe et paraît en 1947 le code de déontologie médicale, dont l’article 4, comme aujourd’hui, répond à la question soulevée à l’époque hippocratique et médicalise le secret professionnel : « Le secret professionnel, institué dans l’intérêt des patients, s’impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi. Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l’exercice de sa profession, c’est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il a vu, entendu ou compris ». Tiens donc, voilà donc des mots de presque 400 ans… Enfin, dernière étape clef dans l’histoire de ce secret, la loi du 4 Mars 2002, bien sûr, aussi importante que vicieuse à l’égard du secret puisqu’elle en simplifie l’accès pour les membres de la famille ou le patient lui-même, déclare dans l’article L.1110-4 « Toute personne prise en charge par un professionnel, un établissement, un réseau de santé ou tout autre organisme participant à la prévention et aux soins a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant ».

Le secret médical s’impose donc désormais aux médecins comme un devoir, le code de déontologie apportant une précision du secret professionnel figurant dans le code pénal. L’enfreindre est un délit pouvant être puni d’un an d’emprisonnement et de 150.000€ d’amende. Le secret s’impose à tout professionnel de santé. Les informations ne peuvent transiter d’un professionnel à un autre que dans le cadre d’une prise en charge et de la continuité des soins pour la personne malade dont l’accord est présumé acquis, mais qui peut décider qu’un professionnel quel qu’il soit ne soit pas informé. Le patient ne peut délivrer le médecin de son obligation au secret, même devant le juge, ce dernier ne le pouvant pas non plus (hors dans le cas d’une procédure très règlementée, la commission rogatoire, et sous de multiples conditions). L’obligation de respecter le secret continue même après la mort du patient, 3 dérogations existent néanmoins pour les ayants droits, c’est-à-dire, les héritiers légaux, et les informations délivrées ne peuvent servir qu’à 3 grandes clauses (et doivent se limiter aux détails nécessaires à ces clauses) : connaître la cause de la mort, défendre la mémoire du défunt et faire valoir les droits des ayants-droits. Le secret s’impose donc même à l’égard d’autres médecins qui ne participent pas à la prise en charge du patient. Il couvre non seulement l’état de santé du patient, mais aussi son nom : un médecin ne peut pas dire s’il a eu oui ou non untel en consultation. Il existe bien sûr des dérogations légales telles que la déclaration des naissances ou des décès, des maladies contagieuses à déclaration obligatoire, etc. (liste exhaustive : http://www.conseil-national.medecin.fr/article/article-4-secret-professionnel-913).

Quelques aspects « pratiques » du secret médical

→ Ainsi, un mineur séropositif qui ne souhaite pas que ses parents soient informés de sa maladie en a le droit (art. L1111-5 du code de la santé publique). La prescription d’une contraception, l’IVG ou l’accouchement pour une mineure sont des actes qui ne demandent pas, pareillement, le consentement des parents. Toutefois, dans une  situation de suspicion forte de maltraitance, le secret est l’objet d’une dérogation car le médecin doit avertir les autorités judiciaires (procureur de la république auprès du tribunal de grande instance, cellule départementale de recueil et d’évaluation de l’information préoccupante) et ne dénoncer que les faits (pas les auteurs présumés). Pour revenir au VIH, le médecin n’a pas le droit de prévenir le partenaire du patient si celui-ci refuse. Il peut proposer d’être présent pour répondre à d’éventuelles questions lorsque le patient en parlera à son partenaire, mais il ne peut, légalement, révéler son statut à sa place.

→ Si le médecin au cours d’une consultation apprend que son patient a commis un crime, il n’est pas obligé d’avertir les autorités sauf dans le cadre de l’assistance aux personnes en danger ou si le patient déclare vouloir faire usage, acquérir ou posséder une arme (qu’il compte utiliser). Dans le cadre d’une saisie judiciaire, la présence d’un magistrat instructeur ou d’un officier de police, et d’un membre du conseil de l’ordre des médecins est obligatoire en plus d’une commission rogatoire. Les informations récupérées au cabinet par exemple ne pourront qu’être celles servant exclusivement à l’enquête. Si un médecin soigne une personne blessée par arme à feu ou arme blanche, il ne peut avertir les autorités (hormis en cas de sévices constatés sur une personne vulnérable : mineur, personne âgée…). Attention, répondre à une question d’un patient par mail par exemple est risqué : si une autre personne accède au message, la messagerie électronique n’étant pas considérée comme fiable, vous pourriez être poursuivi pour violation du secret médical.

→ Une compagnie d’assurance qui contacte le médecin traitant du patient pour vérifier si la cause du décès n’est pas liée à une cause d’exclusion du contrat perd son temps. Le médecin ne peut absolument rien révéler directement à cette compagnie, seuls les ayants-droits du patient peuvent avoir, sous certaines conditions, accès à ces informations qu’ils transmettront ou non à l’assureur.

Réflexion

Aujourd’hui, qu’en-est-il du secret médical ? S’il fait l’objet de nombreux textes, s’il est souvent un élément invoqué par les médecins des séries télévisées, il n’est pas rare de croiser quelques blouses blanches dans la queue de la cafétéria, ou entre deux étages dans l’ascenseur, à raconter comment monsieur Machin s’est pointé aux urgences avec cet élément oblong dans l’anus, ou comment le condylome de madame Bidule est énorme ! Des grands médecins, des stagiaires, des infirmières et bien d’autres, attendent ainsi leur sandwich ou le bon étage. Dans la vie privée des professionnels de santé, c’est aussi un parcours du combattant, parfois, d’esquiver les questions sur un proche. « Et comment va notre ami Jacques ? Il était patraque ces temps-ci, c’est le cœur, c’est ça ? » dit-on, en vous regardant fixement. Long silence. Jacques, votre ami commun, n’a peut-être pas envie qu’on déballe toute son histoire médicale dans son dos… Pas facile, non plus, dans l’associatif ou à certaines réunions, quand Untel ne peut pas venir parce qu’il « est fatigué » ou « n’a pas envie » dixit son bref message. Presque inéluctablement, les questions fusent : « Qu’est-ce qu’il a ? ». On veut savoir, même si ça ne nous concerne pas. Et parfois, parce qu’il vous en a parlé ou que vous l’avez croisé à l’hôpital, vous savez qu’Untel n’est pas un « gros feignant », « rabat-joie », « quelqu’un sur qui on ne peut décidément pas compter » parce qu’Untel récupère de sa dernière chimio.

J’ouvrai ce billet par une phrase de Louis Portes, cet ancien président du Conseil National de l’Ordre des Médecins. Un homme vraisemblablement courageux, manifestement dévoué à l’exercice médical dans le respect des règles de l’Art et donc de la personne humaine. Rappelons le contexte historique en 1944, sous l’occupation Allemande. Une circulaire de l’occupant encourageait les médecins à participer à la déportation en dénonçant les juifs malades et blessés qu’ils étaient amenés à soigner. C’est alors que Louis Portes s’adressa solennellement à tous ses confrères : « Le Président du CNOM se permet personnellement de rappeler à ses confrères qu’appelés auprès d’un malade ou d’un blessé, ils n’ont d’autre devoir à remplir que de leur donner leurs soins. Le respect du secret professionnel étant la condition nécessaire de la confiance que le malade porte à son médecin, il n’est aucune considération administrative qui puisse les en dégager. ».

La loi existe pour donner un cadre à l’exercice médical, pour protéger patients et médecins, pour donner un semblant d’ordre à notre chaos humain. Si le médecin doit la connaître, il doit aussi considérer la notion de « grey zone ». Prendre, peut-être, une forme de liberté dans certaines circonstances particulières. Révéler des morceaux du secret car la situation, complexe, douloureuse, humaine, s’y prête. Assumer les conséquences. Toute situation est unique, toutes les situations sont différentes. S’adapter. Ce que le genre humain et la vie, font depuis la nuit des temps.

 

Sources :

PS : j’invite les savants (médecins, avocats, professionnels de santé en tout genre, professionnels de tous les horizons) à me signaler les erreurs, de la forme comme du fond si vous en percevez. Je vous en remercie par avance.