Chute de la nuit

La nuit ne tombe pas sous les néons vitreux,
Des couloirs aux murs blancs où se relaient les blouses,
Donnant soins et repas à quelques malheureux,
Dont le trouble accablant les poursuit, les épouse.

La nuit ne tombe pas sur les âmes brisées,
Qui ruminent leurs peurs, leurs regrets du passé,
Et dont les avenirs semblent flous et noircis,
En mangeant leur plateau haché, mixé, mal cuit.

La nuit ne tombe pas sur les ordinateurs,
Ces boites de Pétri en milieu grand ouvert,
Qui rament à trépas au rythme des erreurs,
Qui allument au moins nos plus noires colères.

La nuit ne tombe pas sur les saints protocoles,
Dont l’Administration raffole sans secret,
Traçables, validés et conformes aux décrets,
Nul ne sort des cases et des cotations folles !

La nuit ne tombe pas sur les vies qui s’éteignent,
Seules au fond d’un lit ou en pleine bataille,
Une main soutenue ou le cœur qui défaille,
La mort surprend parfois où la confiance règne…

La nuit tombe soudain quand un soignant s’effondre,
Quand sonnent les alarmes que les décideurs mutent,
Quand la cadence tue, carbonise et fait fondre,
Les valeurs du soin que les politiques buttent.

Rivage au clair de lune, Caspar David Friedrich, 1835

Héritage ancestral

Dites-moi, ô esprits séculaires d’autant,
Qui foulèrent la Terre au travers du temps,
Qui furent hommes et femmes dès l’aube de l’être,
Et seront, à la nuit, nos âmes en vos lettres.

Comment étaient vos jours, illustres, inconnus ?
Vos angoisses, vos amours, vos rêves perdus ?
Vos appels au secours, vos détours, votre histoire ?
Votre passage en vie, votre illusoire espoir ?

Quelle force avez-vous ? Quel éclat vous conduit ?
Quelles plaies souffrez-vous ? Et quel sang vous guérit ?
Quel pouvoir dressez-vous au néant de l’esprit ?

Un art, une science, un jeu ou une danse,
Un fragment de chance pour construire le sens,
Et passera la Mort qui jamais ne s’oublie…

Litthérapeute

Le bruit et le silence

Comme ce bruissement, discret dans le silence,
Un fin bourdonnement, qui frôle la conscience.
Plus on le perçoit bien et plus on s’y attarde,
Plus il devient distinct, plus il se fait vacarme.

Comme ces mots non-dits, que l’on espère entendre,
Au décours d’un conflit ou d’un être à s’éprendre,
Plus notre espoir simplet s’agite assourdissant
Dans notre esprit benêt, il se meurt lentement.

Comme un enfant muet dont la souffrance hurle,
Comme un regard perdu dans des pensées lointaines,
Comme un grand coup de fouet qui surprend l’incrédule.

Dans un temple sans bruit la sagesse murmure,
Là où la peur s’écrie, là où la foi stipule,
Le grondement du Doute aux oreilles des murs.

Litthérapeute

Crédit : Julio Llamas Diez 

Examen clinique

René Théophile Hyacinthe Laennec, inventeur du stéthoscope, en pleine auscultation.

Conscient et adapté, vigile et orienté.
Constantes bien normées, bonne hémodynamique.
Bruits du cœur réguliers, sans souffle et eucardiques,
Pas de pointe déviée, tous les pouls sont palpés.

Ventile en air ambiant, normopnée, eupnéique,
Au son des murmures, audibles, symétriques.
Abdomen souple, dépressible indolore,
Pas de cicatrice sur l’ensemble du corps.

Lucide et cohérent, pupilles réactives,
Sans aucun déficit sensitivomoteur,
Réflexes un peu vifs, petit moment rieur.

Des pieds à la tête, la clinique attentive
Fait le tour d’un être, et d’un autre contact,
Rencontre deux âmes au sein d’un précieux pacte.

Brèves sémio-poétiques – Partie II

Sur un visage las et au regard tragique,
Des yeux portent des flammèches hémorragiques.
Se trace son vague à l’âme hémodynamique,
En traits agités par un orage rythmique.

Et le regard fuyant vers un ciel trop serein
Le tonnerre omis pour une lune de miel
Où fuitent les idées et naissent sur son sein
Angiomes stellaires et silence sépulcral.

Son thorax en carène où son cœur en carafe
A arrêté, enfin, la torsade de pointe.
La vie, sans valeur, quitte des genoux marbrés.

Carapace vide d’un Cotard exaucé,
Où reposent en paix deux cents os de cristal,
Quelques taches rubis et un collier de perles.

De nouveau, merci twitter pour tes suggestions d’expressions médicales. Surtout, continuez de m’en envoyer !

Le Soignant patient

Le Temps est un allié quoi qu’on puisse en penser.
Il dissipe nos maux et dilue nos chagrins
Les jetant dans l’oubli et nous laisse espérer
Un destin plus heureux quand à nos lendemains.

Il n’est pas un bourreau, ce noble sablier.
Ce ne sont que nos yeux souvent baignés de larmes
Qui voient certains moments comme des coups d’épée
Nous perforer le cœur et nous laisser sans armes.

La dure vérité, douce réalité
C’est notre esprit troublé par de sombres pensées
Et qui ressent le mal jusqu’au fond de notre âme.

Mais le Soignant patient vient éteindre les flammes
D’un passé trop brûlant, d’un futur menaçant
Par un nouveau regard sur notre instant présent.